L’Église à la recherche de son nouveau souffle

À chaque conclave, l’Église catholique joue bien plus qu’une simple succession spirituelle : elle élit un chef d’État influent à la tête de 2,2 milliards de fidèles. Le choix du pape, hautement politique, reflète des équilibres géopolitiques complexes. Entre continents en concurrence, traditions et volontés de renouveau, le trône de Saint-Pierre cristallise des tensions mondiales souvent invisibles.

Depuis l’élection inattendue du pape François en 2013, premier pontife venu d’Amérique latine, l’équilibre du pouvoir catholique a été changé. Sous son mandat, l’Église a vu émerger des voix venues de lieux souvent marginalisés par la religion : l’Afrique, l’Asie, voire même le Pacifique ont été ainsi mieux intégrés à l’institution chrétienne. Et à l’heure où s’ouvre un nouveau conclave, la question se pose avec acuité : l’Église catholique incarnera-t-elle une continuité avec François, en voguant vers de nouveaux horizons ou un retour aux ancrages traditionnels européens ?

Il était venu pour changer les normes. En mars 2013, l’élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio avait surpris le monde catholique. Premier pape non européen depuis plus de quinze siècles, précurseur issu des Amériques, François Ier marquait une rupture symbolique et politique. En venant d’un continent souvent oublié dans les hautes sphères vaticanes, mais devenu, en nombre de fidèles, l’un des cœurs battants de l’Église. Ce choix inattendu ouvrait une nouvelle ère : celle d’un catholicisme plus global, moins eurocentré. Lors de son pontificat, François a engagé cette décentralisation du pouvoir ecclésiastique en nommant des cardinaux venus de régions jusqu’alors absentes de la carte vaticane : la Mongolie, les îles Tonga, ou encore le Soudan du Sud. Sous son impulsion, l’Église s’est redessinée. À la fois moins italienne et moins européenne, elle est devenue plus que jamais représentative de la diversité du monde catholique ». Un collège cardinalice, organe électoral du futur pape, qui s’est transformé, bien plus cosmopolite mais où l’Europe occupe encore une place centrale.

Cependant, des déséquilibres demeurent, certains pays très catholiques comme la Bolivie restent sans représentant parmi les cardinaux. Mais la tendance est nette. François a préparé le terrain pour que, demain, un successeur vienne lui aussi des périphéries. Ce basculement pourrait-il s’incarner dans un pape africain ou asiatique ? Le conclave à venir pourrait bien répondre à cette question.

Le continent africain, poumon de la foi chrétienne

Tandis que l’Europe s’interroge sur son recul spirituel, l’Afrique réaffirme sa foi. Possédant près de 20 % des catholiques dans le monde, le continent africain affiche une santé religieuse qui contraste avec la perte de croyance au Nord. D’après des études au Nigeria, près de 90 % des catholiques vont encore à la messe chaque semaine. À Enugu, la Bigard Memorial Seminary forme chaque année des centaines de futurs prêtres. Sur le plan spirituel, l’Afrique est déjà un moteur. Seulement, le chemin s’annonce encore long pour s’affirmer comme une voix politique au sommet de l’Église.

L’idée d’un pape africain n’est pourtant plus une simple projection symbolique, les bookmakers ne s’y trompent pas en se basant sur des dynamiques concrètes. Cependant, la voix des dix-huit cardinaux africains qui participeront au prochain conclave, soit 12 % du collège électoral, pourrait paraître faible dans la décision finale. Pourtant, parmi eux émergent des candidats crédibles, à l’image de Peter Turkson, originaire du Ghana, et de Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa. Si tous les deux incarnent un catholicisme conscient des injustices, engagé face aux défis contemporains, les obstacles demeurent pour en constituer des papabiles sérieux. Le poids africain dans la Curie romaine reste limité. Les structures ecclésiales sont parfois fragiles, et portent les maux de scandales passés sous silence, des défis de gouvernance et une corruption persistante. Sur le plan doctrinal, l’Afrique affiche un profil contrasté : conservatrice sur les mœurs, mais sensible aux questions sociales. Une ambiguïté qui trouble une partie des décideurs à Rome.

Pourtant, un pape africain incarnerait un basculement historique. Celui d’un christianisme mondial qui ne regarde plus uniquement vers l’Europe, mais reconnaît l’ascension spirituelle du Sud. Encore faut-il que l’Église, dans sa vieille machine institutionnelle, accepte d’évoluer en ce sens.

L’Asie a l’avenir pape-able

Moins visible, mais loin d’être marginalisée au sein de l’organisation vaticane, l’Asie pourrait bien créer la surprise lors du prochain conclave. Continent largement façonné par d’autres religions comme l’hindouisme, l’islam ou encore le bouddhisme. Le continent abrite pourtant plus de 400 millions de chrétiens. Aux Philippines, troisième nation catholique du monde après le Brésil et le Mexique, près de 80 % des habitants se réclament du catholicisme. C’est de cet archipel qu’émerge l’un des favoris à la succession de François : le cardinal Luis Antonio Tagle.

Âgé de 67 ans (jeune pour le statut), ce prélat originaire de Manille est souvent décrit comme l’héritier spirituel du pape actuel (au point d’avoir été surnommé « le François asiatique »). Il incarne une Église tournée vers les périphéries, soucieuse des exclus et attentive aux minorités. Son empathie, sa proximité avec les fidèles et son émotion assumée ont notamment plu lors du sommet sur les abus sexuels de 2019, ont marqué les esprits, jusque dans les couloirs de la Curie romaine. Originaire du Sud, Tagle incarne une religion plus progressiste, plus ouverte sur le monde. Occupant une place stratégique dans la diplomatie vaticane, il incarne le candidat naturel de la continuité et séduit ceux qui souhaitent prolonger l’élan de réforme et d’ouverture impulsé par François. Mais son image d’ouverture sociale, dans un contexte de raidissement conservateur, pourrait aussi constituer un frein à l’accession au siège de Saint-Pierre.

À l’instar de l’Afrique, l’Asie reste sous-représentée dans la gouvernance de l’Église. Rares sont les cardinaux du continent à bénéficier d’une stature internationale comparable à celle de Tagle. Et il faudra plus que du charisme pour s’imposer dans une chapelle Sixtine qui résonne encore des traditions du vieux monde. L’élection d’un pape asiatique, inédite dans l’histoire, incarnerait une révolution, celle d’un catholicisme plus global, décentré, résolument tourné vers le Sud et l’Est du monde.

Les jeux sont loin d’être faits. Comme le veut l’adage : « Qui entre pape au conclave en sort cardinal ». Rien n’est encore joué, mais déjà les lignes de vie se dessinent. Entre désir de continuité portée par le Sud et nostalgie d’un ancrage européen, entre conservatisme doctrinal et ouverture sociale, l’élection du prochain pape dépassera largement les enjeux théologiques et viendra incarner une opinion sur le futur du monde.

Les continents du Sud frappent à la porte du pouvoir spirituel, porté par une foi vive et des figures charismatiques. Mais Rome, malgré les gestes de François, reste un bastion lent à céder. L’élection d’un pape venu des périphéries consacrerait un véritable basculement géopolitique et spirituel. Le conclave, une fois encore, révélera autant sur l’avenir du Vatican que sur l’état du monde.

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