Relativement méconnus, les écrivains publics offrent une large variété de services à un public tout aussi divers. Plus qu’une assistance face aux difficultés de la langue, ils apportent conseils et soutien grâce à un métier plein d’humanité.
Le Nouveau Petit Robert de la langue française définit l’écrivain public comme : « une personne qui rédige des lettres, des actes, pour ceux qui ne savent pas écrire ou qui maîtrisent mal l’écrit ». Souffrant d’un manque de visibilité, le métier est aujourd’hui peu connu. On compte pourtant en France près de 1000 écrivains publics déclarés – la profession n’est pas réglementée – sans compter ceux exerçant de manière autodidacte.
Au-delà de l’illettrisme
Sa définition l’annonce, le rôle de l’écrivain public est bien souvent associé à l’illettrisme. L’Agence nationale de la lutte contre l’illettrisme (ANLCI) estime à 7 % de la population française âgée de 18 à 65 ans le nombre de personnes qui ont reçu un enseignement scolaire mais qui maîtrisent mal la langue écrite – à ne pas confondre avec l’analphabétisme, l’absence d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour eux, les démarches administratives et la recherche d’emploi se transforment bien souvent en épreuve. Un certain nombre d’écrivains publics tiennent, bénévolement ou non, une permanence au sein des Caisses centrales d’activités sociales (CCAS) ou d’autres structures d’accueil publiques, et proposent un accompagnement à ces citoyens en situation d’illettrisme.
Pascal Delugeau, écrivain public et membre du conseil d’administration du Groupement des Écrivains-Conseils® (le GREC, un réseau professionnel proposant une mise en relation des écrivains publics, la promotion du métier et diverses formations) rappelle pourtant que ce profil ne constitue pas la majorité de ses clients. « Je reçois des demandes très diverses, qui ne se cantonnent pas à l’accompagnement face à l’illettrisme. Celui-ci fait bien sûr partie de notre métier, mais on peut venir en aide de bien des façons et sur bien des sujets. »
A l’écoute de tous
Le panel de services proposé par les écrivains publics est en effet très large : il compte bien la relecture, correction ou rédaction de documents administratifs (réclamations, recours, résiliations…) et professionnels (lettres de motivation, curriculum vitae, demandes d’augmentation ou lettres de démission) ; mais aussi de correspondances privées, de discours, de mémoires ou de biographies. « Il y a un point commun entre toutes les missions que nous sommes en mesure d’effectuer : l’humain, affirme Pascal Delugeau. Au GREC, nous ne nous assurons pas seulement du niveau de langue et de connaissances des nouveaux arrivants. Nous leur demandons surtout s’ils ont déjà écouté quelqu’un dans le besoin et s’ils savent faire preuve d’empathie. » Parfois, il suffit d’un conseil ou d’un avis pour adoucir une situation difficile et restaurer la confiance de son interlocuteur.
Pour Grégoire Blondel, lui aussi écrivain public et membre du GREC, la rédaction de biographie est l’exercice le plus stimulant. Il lie maîtrise de la langue, nécessité de retranscrire à l’écrit en étant à la fois lisible et fidèle, et grande capacité d’écoute. « On rencontre des situations intéressantes, parfois difficiles ou émouvantes. J’ai travaillé avec des personnes âgées souhaitant transmettre des souvenirs à leurs petits-enfants, ou avec des passionnés de généalogie voulant retracer la vie d’un ancêtre. » L’écrivain public crée des liens.
L’écrivain public et la société
Le métier est aussi un pont entre les réalités sociétales et les pouvoirs publics. Témoins de phénomènes et d’évolutions, les membres du GREC s’attachent à les étudier et à les diffuser. Récemment, ils se sont rassemblés devant une commission sénatoriale pour parler d’illectronisme, cette difficulté ou incapacité à utiliser les outils et les ressources numériques. Puisque ces derniers ont progressivement pris une place prépondérante dans tous les aspects de la vie quotidienne ces dernières années, le nombre de personnes touchées par l’illectronisme ne fait qu’augmenter. « Nous rencontrons de nombreuses situations de détresse, et nous souhaitons partager la réalité du terrain avec les décideurs. C’est une façon de les pousser à agir pour ces gens en difficulté », explique Pascal Delugeau. Dans ce but, les écrivains publics du GREC ont rassemblé leurs témoignages dans un ouvrage : Écrire pour dire, vivre, survivre. Ils espèrent rappeler aussi, à travers lui, l’importance du rôle social de ceux qui ont choisi d’écrire pour les autres.
Un peu d’histoire…
Le métier d’écrivain public constitue l’héritage des scribes antiques. Les images les représentant et leur production nous sont surtout parvenues de l’Antiquité égyptienne, où ils sont des fonctionnaires d’État au statut prestigieux. Formés dans des temples ou des établissements spécialisés, les scribes sont lettrés et habilités à manier la langue écrite. Ils posent par écrit les lois, les décisions administratives et les comptes, participant ainsi à haute part au fonctionnement de la bureaucratie. Les finances, le droit, la justice, la religion, le pouvoir royal et exécutif, la magistrature, l’armée : autant de domaines pour lesquels ils sont indispensables. Les scribes rendent aussi accessibles des documents écrits à une population principalement analphabète en rédigeant des contrats, des comptes ou des lettres pour le service des particuliers. Dans l’Europe du Moyen Âge, les moines et les clercs détiennent cette fonction de copiste et scribe. La population reste analphabète et connait peu le latin, langue d’usage de l’époque. Des laïcs professionnels s’y prêtent également à partir du XIIe siècle et participent à la copie et à la diffusion de nombreux ouvrages antiques ainsi qu’à la mise par écrit des lois, des contrats et des textes administratifs. Écrivain public devient dans l’Occident du XIVe siècle un métier à part entière. Ses membres prodiguent conseils, rédactions commerciales et support juridique à la classe bourgeoise. Cette clientèle s’élargit progressivement aux étudiants, aux officiers publics et aux grandes lignées nobles qui souhaitent faire rédiger des mémoires familiaux. Jusqu’au XXe siècle, en fonction des législations et du degré de professionnalisation de certains domaines – notamment juridique – le métier d’écrivain public connait plus ou moins de succès, mais subsiste tout de même à différentes échelles. Sa forme actuelle a été portée par ces différentes évolutions.