« La Fabrique du mensonge » ou la propagande du sentiment

Le 19 février dernier est sorti le biopic historique La Fabrique du mensonge, un film réalisé par Joachim Lang et retraçant le parcours du propagandiste le plus connu de l’histoire contemporaine, Joseph Goebbels. En l’espace de quelques années, il aura construit l’illusion la plus sophistiquée de la politique et permis aux générations actuelles de réfléchir à la communication politique sous toutes ses couleurs.

Le long-métrage commence par plusieurs panneaux textuels nous avertissant de ce que le réalisateur veut proposer : l’étude des plus grands criminels de l’histoire pour la compréhension des démagogues d’aujourd’hui. Succède à cela une prolepse de la fin du film et de la vie de notre protagoniste, mort avec sa femme et ses enfants pendant que les rues de Berlin étaient libérées par les soldats américains et russes. De 1938 au 1er mai 1945, Goebbels s’est fait garant de la propagande nationale-socialiste et a fini par devenir le plénipotentiaire du IIIe Reich en lieu et place d’un Hitler faiblissant. 

L’un des partis pris de ce film, c’est de montrer le ministre de la Propagande dans sa vie privée. On y voit la relation à la fois conflictuelle et nécessaire entre Goebbels et sa femme, Magda. L’éminence grise du régime dictatorial est connue pour ses rapports à la gent féminine. Des écarts qui sont censés ne pas être tolérés dans cette idéologie qui prône la pureté et la stabilité de la vie de famille. Le chancelier force lui-même le couple Joseph-Magda à rester ensemble, à éviter le divorce pour ne pas entacher l’image du régime. À partir de ce point, la relation devient contractuelle, on ne les voit jamais dans leur intimité sentimentale, ils ne sont qu’ensemble lorsqu’ils reçoivent des invités ou se rendent à des événements. Par ce biais, le film montre à quel point l’idéologie, l’image prime sur le sentiment, un paradoxe lorsque l’on sait que c’est précisément ce dernier que Goebbels cherche dans ses actes de propagande.

Le sensationnalisme, clé du coeur des foules

J’aimerais revenir sur deux éléments du film qui me semblent tout à fait intéressants à montrer. Ce sont deux événements qui vont faire de Goebbels le propagandiste le plus tristement célèbre de l’histoire mondiale. Le biopic expose d’abord l’élaboration de la “Nuit de Cristal”, une nuit de pogroms perpétrée contre les Juifs allemands dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. À ce moment de l’histoire, Goebbels est en disgrâce auprès du chancelier, il ne parvient pas à enrager un peuple qui refuse l’idée de la guerre. Il est alors informé, dans la journée du 7 novembre, que le secrétaire de l’ambassade allemande à Paris a été attaqué dans un attentat mené par un juif polonais souhaitant se venger des maltraitances qu’ont subies les membres de sa famille en Pologne. Dans le biopic, la scène le montre dans son bureau, l’œil vif, conscient de l’opportunité que le malheureux vient de lui créer. Il mobilise alors tous les canaux disponibles de l’époque, radio, presse écrite, affiches, etc. Il organise aussi en secret la nuit du 9 novembre, en informant les organismes de répression. Ces derniers lancent les hostilités et le peuple se joint à ce déchaînement de violence. Prémisse de la Shoah, cette nuit cause la mort de près de 2500 personnes, la déportation de 70 000 autres, le saccage de 7 500 commerces tenus par des Juifs et l’incendie de 277 synagogues à travers le pays. 

L’autre moment clé de son histoire intervient bien plus tard, après la débâcle de Stalingrad le 2 février 1943. Deux semaines plus tard, le 18 février, Goebbels prononce son discours le plus célèbre dans le palais du Sport de Berlin. Conscient que l’Allemagne perd du terrain aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, il se prononce et fait approuver par 15 000 délégués la guerre totale, c’est-à-dire la mutation de tous les pans de la société vers la guerre, de l’industrie à l’agriculture. La séquence est une alternance d’images d’archives de l’époque et de scènes tournées où le ministre répète son texte devant le miroir. Dans ce discours, il évoque les thèmes classiques de la communication martiale, à savoir la patrie en danger, la force cachée du peuple ou pour le Reich, la menace juive qui toque à la porte. Une phrase restera célèbre, la dernière : “Et maintenant peuple, lève-toi, et toi, tempête, déchaîne-toi”. Cet engagement et ce discours lui vaudront, l’année suivante, d’être nommé plénipotentiaire du Reich par un décret signé par Adolf Hitler. 

Réflexion sur la communication de nos jours

Si, bien sûr, le journalisme n’est pas encore complètement de la propagande, force est de constater que certains médias reprennent quelques codes de cette façon si… particulière de communiquer. Prendre un fait divers pour le généraliser et le politiser, c’est aujourd’hui monnaie courante. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de cette attaque au couteau à Mulhouse le samedi 22 février. Immédiatement après le tragique événement, l’affaire est reprise à droite à gauche, on rappelle les actes de l’année 2023, son allégeance supposée à l’islamisme politique, mais on oublie bien vite le profil schizophrène du personnage et l’absence de suivi psychiatrique de l’assaillant qui était simplement assigné à résidence. Le locataire de Beauvau a préféré mettre en cause l’Algérie, les accords de 1968 et “l’immigration de masse” causée par ces accords, un fait facilement contré par le fait que la part des Algériens dans l’immigration en France est de 12,7%. Par comparaison, celle des Marocains, qui ne disposent pas d’un tel accord, est de 11,7% selon Hocine Zeghbib dans une tribune pour Le Monde.

Voilà un artefact de propagande, c’est une politique de l’opinion, du sentiment qui dirige désormais l’Intérieur et le Premier ministre, on se souvient des propos, démentis depuis, de François Bayrou au micro de LCI sur la “submersion migratoire”. Ce thème, récurrent dans les discussions publiques et politiques, est certainement l’un de ceux qui polarise le plus ; il met en lumière la complicité tacite et inquiétante entre un gouvernement macroniste de droite et l’extrême-droite.

 

📩 Prendre le temps de comprendre, chaque mois.

Nos journalistes enquêtent, analysent et vous livrent l’essentiel.

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

Copyright 2024 – Mentions légales