Le texte de François Hien se joue au théâtre de la Tempête depuis vendredi. La Peur traite des abus sexuels et de l’omerta dans l’Église, mais surtout de la nature humaine. Et nous emporte avec une intensité rare.
Le père Guérin a été mis au placard. Son évêque revient le chercher et lui propose une paroisse… s’il le soutient dans son « assainissement de l’Église ». En d’autres termes, s’il ne témoigne pas contre lui pour avoir passé sous silence les agissements d’un prêtre pédophile.
L’histoire se dessine
La lumière ne cache au départ rien du public, disposé en « U » autour de la scène basse. Le décor est minimaliste : une table, deux bancs, deux tabourets. Les acteurs en changent naturellement la disposition au fil de l’action. La mise en scène frappe par sa simplicité, alors qu’elle parvient astucieusement à mettre en place deux trames temporelles simultanément. Le présent, avec les conversations entre le prêtre, sa sœur Mathilde, et les jeunes Morgan et Tawfik. Et quand il raconte, le passé s’invite : les interactions revivent devant les yeux de l’interlocuteur et du public. L’histoire se dessine touche par touche. Les événements qui ont conduit au procès contre l’évêque. Les raisons de l’écartement du père Guérin et sa psychologie, aussi, qui se révèle progressivement dans toute sa complexité.
Le prix du silence
Un évêque qui tente à tout prix de protéger l’Église d’un côté ; une victime d’un prêtre pédophile de l’autre. Et entre les deux, le père Guérin louvoie entre son devoir, sa rectitude morale et ses turpitudes intérieures. La culpabilité envahit l’espace, et étouffe chacun des personnages à sa manière. Morgan, victime dans son enfance, devient la conscience du père, le pousse, le questionne, le rudoie. Lui-même ne survit que de haine, et de la souffrance du silence. Un bâillonnement terrible, qu’on tente de comprendre alors que la colère nous arrive en pleine face. Le sujet, terriblement actuel, a aussi un goût d’intemporel. Comme ancré dans les fondations d’une maison ancienne et majestueuse, gangrénée pourtant jusqu’à la moelle.
Pas de diabolisation
La pièce ne cède pas à la facilité de dépeindre l’Église comme une bête unique et monstrueuse. A travers les déclarations rêveuses et érudites du père Guérin, fin connaisseur des subtilités de la théologie et animé d’une foi sincère, on aperçoit une part saine de la religion catholique : tolérante, humble et généreuse. Que l’on soit ou non croyant, difficile de rester insensible à la spiritualité lumineuse qui se dégage du personnage, superbement campé par Arthur Fourcade. Morgan, la victime des agissements d’un prêtre et d’un système qui ne l’a pas protégé, l’avoue. Il y a une majorité de types bien dans l’institution, et Guérin en fait partie. Alors pourquoi a-t-il cessé d’agir ?
Derrière le prêtre et la victime, des hommes
La grande force de la pièce réside là. Bien plus qu’un récit autour du fléau de la pédophilie, c’est une histoire de nature humaine. De construction, d’amour, de conflits internes, de culpabilité, encore. De peur aussi. Le père Guérin découvre, guidé par ses proches, que son statut de prêtre ne l’exempte pas des faiblesses et des sentiments du commun des mortels. Tawfik, déchiré par des sentiments et des allégeances contradictoires, se bat pour construire sa propre individualité. Le jeune Morgan, si plein de colère, réalise doucement que la vérité ne git peut-être pas où il le pensait. À coups de dialogues ciselés et d’envolées, d’éclats dialectiques et de prises de conscience, un chemin se trace. Fait d’acceptation et de liberté. On le suit avec eux, emportés et frappés au cœur.
Le texte est écrit par François Hien et interprété par l’Harmonie communale, une troupe lyonnaise pleine de talent. La pièce se joue au théâtre de la Tempête, dans le 12e arrondissement, jusqu’au 16 février 2025. Courrez-y.