L’université d’Aix-Marseille est prête à débourser 15 millions d’euros pour accueillir des scientifiques américains menacés dans leur pays. La communauté scientifique aux États-Unis fait face à des restrictions majeures, notamment avec une réduction drastique des financements fédéraux qui affecte particulièrement les organismes de recherche essentiels.
La situation est particulièrement alarmante au sein des institutions fédérales. Le NIH, première agence mondiale de financement médical avec un budget de 47 milliards de dollars, a perdu 6 % de ses effectifs, soit 1 100 employés. Par ailleurs, les contrats de recherche ont été divisés par deux, tandis que les contributions aux coûts indirects ont chuté de 50 % à 15 %, entraînant des pertes estimées à plus de 4 milliards de dollars pour les institutions de recherche. Cette crise touche particulièrement les recherches sur la santé des femmes, le genre et les populations minoritaires, remettant en question la liberté académique.
Trump démantèle les institutions scientifiques fédérales
« The Trump administration’s threat to dismantle NOAA is an attack on the safety and wellbeing of American communities. » — Sarah Poon, Associate Vice President, Resilient Fishery Solutions at Environmental Defense Fund
Les institutions scientifiques fédérales américaines font face à un démantèlement méthodique depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Des licenciements massifs aux restrictions budgétaires, en passant par la censure de certains termes scientifiques, l’appareil de recherche public américain subit une transformation sans précédent.
L’agence fédérale américaine responsable de la surveillance météorologique, océanique et climatique (NOAA) est particulièrement touchée, avec la suppression de 800 emplois du jour au lendemain. Ces coupes affectent principalement le National Weather Service, branche essentielle de la NOAA, ainsi que les divisions de recherche climatique et océanographique. Par conséquent, la collecte de données en temps réel via satellites, bouées et avions chasseurs d’ouragans risque d’être considérablement ralentie.
Les scientifiques américains signalent également que les collaborations internationales sont désormais entravées. Selon un chercheur, « il est désormais difficile, voire impossible pour les employés fédéraux d’assister à des conférences à l’étranger en océanographie et météorologie ». Plus grave encore, l’Institut français de recherche sur l’océan (Ifremer) indique que les échanges avec les scientifiques américains sur la surveillance océanique se sont « purement et simplement arrêtés » depuis mi-février.
Le NIH perd 6 % de son personnel et la moitié de ses financements
Les National Institutes of Health (NIH) ont imposé un plafonnement à 15 % du financement des « frais indirects » liés à la recherche, contre une moyenne antérieure de 27 à 28 %. Cette mesure devrait permettre d’économiser 4 milliards de dollars annuellement selon l’administration, mais les scientifiques avertissent qu’elle met en péril l’espace de laboratoire, l’équipement et les opérations essentielles. Jeffrey Flier, ancien doyen de la faculté de médecine de Harvard, a qualifié cette décision de « folle ».
Pour éviter de perdre les financements et subventions, une liste de mots à proscrire a été diffusée. Ce document, consulté par le Washington Post, proscrit notamment les termes « activisme », « équité », « égalité », « inclusion », « femme », « minorités » et « climat ». Selon Alessandro Rigolon, professeur associé en urbanisme, même le simple fait de mentionner « changement climatique », « émissions » ou « justice environnementale » dans un titre peut entraîner le retrait d’une subvention déjà obtenue.
🚨BREAKING. From a program officer at the National Science Foundation, a list of keywords that can cause a grant to be pulled. I will be sharing screenshots of these keywords along with a decision tree. Please share widely. This is a crisis for academic freedom & science.
— Darby Saxbe (@darbysaxbe.bsky.social) 2025-02-04T01:26:32.536Z
Des intelligences artificielles analysent désormais les sites web des universités à la recherche de ces mots interdits. Conséquence immédiate : de nombreux scientifiques américains reformulent leur vocabulaire pour « masquer la réalité de leurs recherches et passer entre les mailles des filets », tandis que d’autres anticipent en modifiant complètement leurs travaux pour éviter toute mention de changement climatique.
Des scientifiques américains cherchent refuge à l’étranger
L’université d’Aix-Marseille (AMU) a lancé le programme « Safe Place For Science » destiné aux chercheurs américains dont la liberté académique est menacée. Ce dispositif pourrait bénéficier d’un financement de 15 millions d’euros sur trois ans pour accueillir une quinzaine de scientifiques. La fondation AMIDEX soutient particulièrement les postes concernant le climat, l’environnement, la santé et les sciences humaines et sociales.
Le succès de cette initiative est déjà remarquable. En seulement dix jours après son lancement, le programme a reçu plus d’une centaine de candidatures. La ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, et le ministre de la Recherche se sont rendus à Marseille pour soutenir cette initiative.
D’autres initiatives européennes tendent la main aux scientifiques menacés
L’AMU n’est pas seule dans cette démarche. L’université Paris-Saclay propose également plusieurs dispositifs, notamment des contrats de thèse pour les doctorants américains et des financements pour les séjours de chercheurs confirmés. Les « chaires Jean d’Alembert » permettent ainsi des séjours de six à douze mois dans ses laboratoires.
Au niveau européen, Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, coordonne les efforts avec onze autres pays pour mobiliser des fonds. Il encourage l’utilisation de programmes existants comme « Choose Europe », « Marie Curie » ou « Euraxess ». La France prépare également « Odysee France », un dispositif spécifique pour les jeunes chercheurs américains.
Par ailleurs, une fondation de recherche sur le cancer à Paris a débloqué immédiatement 3,5 millions d’euros pour accueillir des chercheurs américains spécialisés dans ce domaine. Plus de 350 scientifiques ont signé une pétition demandant à la Commission européenne de créer un fonds d’urgence de 750 millions d’euros.
Ces mesures rappellent le programme « Pause » déjà mis en place par AMU, qui a permis d’accueillir 25 scientifiques venant d’Ukraine, du Yémen, d’Afghanistan et des territoires palestiniens.
La liberté académique subit des attaques
« Those among us who are unwilling to expose their ideas to the hazard of refutation do not take part in the game of science. » — Karl Popper, Philosopher of Science
Au-delà des coupes budgétaires, la liberté académique américaine fait face à une offensive sans précédent. Les restrictions, censures et intimidations se multiplient, créant un climat de peur parmi les chercheurs.
Le 9 mars dernier, un chercheur français en mission pour le CNRS a été refoulé à son arrivée aux États-Unis. Lors d’un contrôle aléatoire à l’aéroport, les autorités ont fouillé son téléphone et son ordinateur, y découvrant des messages critiquant la politique scientifique de l’administration Trump. Ces messages ont été qualifiés de « haineux » et pouvant être « assimilés à du terrorisme ». Le scientifique, qui travaillait dans le domaine spatial et devait assister à une conférence près de Houston, s’est vu confisquer son matériel professionnel avant d’être expulsé vers l’Europe. Le ministre français de l’Enseignement supérieur a déploré cette situation, rappelant l’importance de « la liberté d’opinion, la recherche libre et les libertés académiques ».
Les universités qualifiées ‘d’ennemies’ par le vice-président J.D. Vance
Les déclarations du vice-président J.D. Vance illustrent la posture hostile de l’administration envers le monde universitaire. « Les professeurs sont l’ennemi. Les universités sont les ennemies », a-t-il affirmé. Cette rhétorique s’accompagne de menaces concrètes: « Les fonds fédéraux seront coupés pour tout collège, école ou université qui autorise des protestations illégales ».
La surveillance des échanges scientifiques atteint un niveau inimaginable. Les chercheurs de la NOAA doivent désormais obtenir une autorisation préalable avant même de parler à leurs homologues canadiens. Ces nouvelles directives s’appliquent aux voyages internationaux, aux réunions virtuelles et même aux simples courriels échangeant des données scientifiques. Cette surveillance généralisée crée un climat d’autocensure au sein de la communauté scientifique, où nombreux sont ceux qui se sentent « assis sur un siège éjectable ».
Les domaines scientifiques spécifiquement ciblés révèlent une stratégie
L’offensive contre la science aux États-Unis n’est pas aléatoire. Une analyse approfondie révèle que certains domaines scientifiques sont particulièrement ciblés, suggérant une stratégie délibérée visant à entraver les recherches qui pourraient contredire certaines positions idéologiques de l’administration.
Les sciences du climat subissent une pression. Les pages consacrées au changement climatique ont disparu des sites de la Maison Blanche, du département d’État, de la défense, des transports et de l’agriculture. Sur le site de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), les sections dédiées au climat ne sont plus accessibles depuis la page d’accueil. Cette agence, créée en 1970 suite au scandale du DDT, risque désormais de perdre sa branche recherche, menaçant plus de 1000 scientifiques spécialisés. Les conséquences sont graves pour la protection de l’eau, de l’air et la recherche sur les polluants comme les PFAS.
En Floride, sous l’impulsion du gouverneur Ron DeSantis, les enseignements fondamentaux de sociologie ont été supprimés des universités. Ils ont été remplacés par un « cours d’Histoire factuelle » tandis que l’enseignement supérieur « se concentrera désormais sur la préparation à des emplois demandés et bien rémunérés, et non sur l’idéologie ‘woke' ». Cette attaque s’inscrit dans une guerre culturelle plus large contre tout ce qui ressemble « de près ou de loin aux savoirs critiques ».
La communauté scientifique mondiale s’inquiète. Les restrictions ciblées sur les études climatiques, la recherche médicale liée au genre et les sciences sociales révèlent une stratégie délibérée visant à entraver certains domaines scientifiques.
Néanmoins, la réponse européenne, notamment française, témoigne d’une solidarité internationale. Les initiatives comme « Safe Place For Science » de l’Université d’Aix-Marseille offrent une lueur d’espoir aux chercheurs américains menacés. Par conséquent, ces programmes d’accueil permettent non seulement de préserver la liberté académique, mais aussi de maintenir la continuité des recherches essentielles.