Présentée le 21 mai 2024 au festival de Cannes et sortie dans les salles françaises le 12 mars 2025, Parthenope est la dernière production du réalisateur cisalpin Paolo Sorrentino. Il y met en scène la vie de Parthenope, femme de la petite bourgeoisie napolitaine, de sa naissance en 1950 à nos jours en 2023.
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, ou comme celui-là qui conquit le cœur de Parthenope. La sirène, éprise de lui, tente alors de le faire venir à elle par sa douce voix. Le héros, ne voulant pas risquer la vie de son équipage sur les récifs, leur ordonne de se boucher les oreilles et de s’attacher quelque part sur le navire, il se sort de cette péripétie. Dévastée, la douce décide de se jeter à l’eau pour se noyer, et s’échoue près de Naples. Elle renaît en 1950, sous les traits d’une fillette née les pieds dans l’eau, hurlant à la vie pour le plus grand plaisir de ses parents. L’enfant devient femme et le film occulte les premières années de vie pour arriver directement aux 18 ans de la jeune femme. Les amours naissent, ambigus, indicibles, sans lendemain, vrais parfois, impossibles souvent, la seule fidèle étant la liberté.
Naissance et vie de la Parthénope vénusienne
Le film est particulièrement retors à l’interprétation, notamment à cause de ses dialogues brillants mais bien souvent abstraits. En revanche, l’imagerie dégage une symbolique forte, elle s’arme d’un arsenal référentiel conséquent qui apporte une profondeur, une signification à certains personnages, notamment Parthenope et son grand frère Raimondo. La principale étant, à mon sens, le célèbre tableau de Botticelli : La naissance de Vénus. À travers cette peinture, on remarque tout de suite l’amalgame fait entre la sirène Parthenope et Vénus, déesse romaine de l’amour, de la séduction et de la beauté féminine. Notre protagoniste naît de la mer, sort presque de l’écume, elle pousse ses premiers cris dans l’eau salée de l’amère mer. Plutôt que de s’échouer sur les plages napolitaines, elle en prend possession, elle en fait sa demeure, son domaine. C’est de cette eau que la Vénus moderne sort d’ailleurs la première fois qu’on la voit à ses 18 ans. La Vénus jouit des mêmes attributs que la déesse, elle attire les regards de toutes et tous, elle n’est pas que belle, elle est la Beauté. Cette perfection s’accompagne d’une forme de nonchalance qui lui fait oublier sa propre apparence, elle ne comprend pas ou ne veut pas comprendre que sa silhouette est devenue le centre de l’attention des Napolitains. Au-delà de son apparence physique, Parthenope fait montre d’une qualité intellectuelle rare chez les êtres humains ; elle se révèle être une remarquable anthropologue et dispose d’une répartie absolument sans failles, qualité qui la rapproche de certains personnages mais qui l’éloigne de beaucoup d’autres, notamment certains de ses plus proches.
Du tableau, l’on retire aussi une signification pour le souffle de Raimondo. On aperçoit plusieurs plans de ce dernier pousser un long souffle sans trop savoir pourquoi. Il le fait d’abord pendant que sa mère est enceinte de Parthenope et quelques autres fois à Capri pendant leurs vacances. Plus que de simples gamineries, ce souffle est un clin d’œil subtil au tableau du Florentin, avec la représentation de Zéphyr, le dieu du vent de l’ouest qui incarne aussi les vents doux. Sur le tableau et dans la mythologie, c’est lui qui a guidé le coquillage de Vénus sur les côtes de l’île de Cythère puis de Chypre. Raimondo s’improvise ici guide, vent porteur de Parthenope vers l’âge adulte. Malgré tout, son souffle ne la portera pas vers lui et, confondant la passion passagère à l’amour définitif avec un autre, il décide, après un dernier souffle, de se jeter à l’eau. Son corps est battu par les vagues et les rochers, il finit par être ramené vers sa Naples natale.
Fuite en avant
Parthenope c’est aussi l’histoire d’une fuite, fuite de Parthenope pour échapper à la maternité, maternité qui viendrait entraver la jeune femme dans une illusion de stabilité, de bonheur et d’amour familial. Après la disparition tragique de Raimondo, les parents de la Vénus de Naples se détachent progressivement d’elle, rejetant la culpabilité du suicide du jeune homme sur elle, et elle seule. Son père sombre petit à petit dans une léthargie destructrice, merveilleusement illustrée par la décrépitude progressive du logement de la famille. Il lui somme alors de faire un petit-fils qu’il présente comme la seule solution pour Parthenope de se racheter. Elle décide alors de s’enfermer dans une tentative désespérée de devenir actrice. Elle prend des cours et rencontre une des comédiennes les plus en vogue en Italie à cette époque, Greta Cool, qui lui ferme définitivement la porte du cinéma au nez. La raison : ses yeux sont vides, morts, ils n’ont pas une trace de joie ou d’espoir, et ce depuis le décès de son frère et l’abandon de ses parents. Elle finit par tomber enceinte d’un homme rencontré pendant le gala tenu par Greta. Malgré cette “heureuse” nouvelle pour le père, ce dernier reste hagard, s’enfonçant dans l’éternelle perdition du deuil. Elle décide d’avorter, ne souhaitant pas avoir un enfant dont elle ne veut pas vraiment et qui pourrait constituer une chaîne qui l’empêcherait de vivre librement.
Elle prend alors la décision de prendre l’opportunité que lui tend son directeur de thèse : partir à Trente lui succéder dans chaire de recherche d’anthropologie. Elle fuit donc tout, Naples, sa famille, tout ce qui pourrait la rattacher à cette idée de la maternité. Cette ville qu’elle a personnifiée dans ses joies, ses amours, sa liberté, ses peines, ses malheurs, cette ville qui l’a vue naître, cette ville enfin pour qui elle symbolise la virginité, le chant et la mort ; c’est cette ville qu’elle fuit, n’y ayant trouvé que la mort de son frère, de ses liens familiaux, de son insouciance.
Finalement Parthenope c’est l’histoire d’une femme qui a tout perdu à Naples, qui n’a jamais eu de retour de bâton de la part de qui que ce soit, hormis son directeur de thèse, seule relation platonique au passage. Elle a donc logiquement fait le choix de se tourner vers une carrière d’anthropologue pour voir, étudier l’humanité, la comprendre et mettre des mots sur ses maux, ses joies, ses relations.