Le 6 janvier, un documentaire est sorti dans nos salles. Réalisé en collaboration avec Mediapart, Personne n’y comprend rien vient mettre la lumière sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi, un formidable imbroglio politique et l’un, si ce n’est le plus gros scandale de notre république.
Le film prend ses racines dans une longue enquête menée par Mediapart et ses journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske. L’investigation aura duré 14 ans, entre 2011 et 2025. Le film sort deux jours avant le début du procès de l’ancien président de la République pour cette affaire.
De quoi est accusé Nicolas Sarkozy ?
Pour bien commencer, il faut remonter en 2005. À cette époque, Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur sous le deuxième mandat de Jacques Chirac. À la tête de son cabinet se trouve Claude Guéant. Les ambitions politiques de Sarkozy se font déjà sentir, nous ne sommes qu’à 2 ans des élections de 2007. C’est lors de cette année que les premiers contacts sont faits entre les proches de Sarkozy et les hauts dignitaires du régime libyen au moyen de visites pour la plupart tenues secrètes. Claude Guéant, directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué de l’Aménagement des territoires, s’y rendent.
Là-bas, ils discuteront d’une transaction particulière. En échange du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, le ministre doit s’arranger pour faire sauter le mandat d’arrêt international émis à l’encontre d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et responsable de l’attentat contre l’avion DC-10 d’UTA ayant causé la mort de tous les passagers dont 54 français. C’est pour cela que l’avocat du ministre, Thierry Herzog, a aussi visité la Libye plusieurs fois pour tenter de lui obtenir l’amnistie. Voilà la raison de ce procès, le financement d’une campagne présidentielle par le régime dictatorial libyen en 2007.
Qui est impliqué ?
Cette affaire est profonde et complexe et comprend énormément d’éléments et d’acteurs. Voici les principaux :
- Nicolas Sarkozy, bien sûr, ancien ministre de l’Intérieur et Président de la République (2007-2012). Il a reçu les financements libyens et formulé le projet d’amnistie d’Abdallah Senoussi.
- Mouammar Kadhafi. Il est, à cette période, le dirigeant de fait de la Libye. Responsable de plusieurs attentats (DC-10, Lockerbie, etc.), il est aussi à la tête d’un régime de terreur et de surveillance constant.
- Ziad Takieddine, un homme d’affaires libanais. Il trempe dans plusieurs scandales politico-financiers comme l’affaire Karachi par exemple. Il est le principal intermédiaire entre Nicolas Sarkozy et l’Etat libyen, il est l’entremetteur entre C. Guéant, Brice Hortefeux et Senoussi, et est celui qui aurait transmis l’argent en liquide au cabinet de Nicolas Sarkozy.
- Claude Guéant, directeur du cabinet de N. Sarkozy, secrétaire général de la présidence de la République et ministre de l’Intérieur entre 2011 et 2012. Il est impliqué dans cette affaire par ses rencontres avec Senoussi et les fonds qu’il a perçu de la Libye et blanchi sous la forme d’un appartement à Paris.
- Brice Hortefeux, ministre des collectivités locales. Il a rencontré Senoussi en Libye et aurait reçu un virement quelques jours après cette rencontre. C’est un des hommes les plus loyaux de Sarkozy.
- Alexandre Djouhri, l’autre intermédiaire de cette affaire. Il aurait, lui, travaillé avec Bachir Saleh et aurait touché des commissions pour la vente d’Airbus à la Libye.
- Bachir Saleh, ancien ambassadeur libyen et directeur du cabinet de Kadhafi. Il préside un important fonds d’investissement libyen entre 2006 et 2009. Il aurait indirectement financé l’appartement de Claude Guéant. En 2012, après les révélations de Mediapart, il est exfiltré de France avec l’aide des services secrets français alors qu’il est l’objet d’une notice rouge d’Interpol.
- Mimi Marchand, la “papesse de la presse people”. Elle serait impliquée dans l’opération médiatique “Sauver Sarko”, dans laquelle elle aurait acheté la rétractation de Ziad Takieddine.
Qu’est-ce qui pousse Kadhafi et Sarkozy à s’empêtrer dans un tel bourbier ?
Les raisons de cette affaire sont purement diplomatiques. Il faut se dire qu’à la fin des années 90, Kadhafi est à la tête d’un régime banni du concert des nations à cause de l’attentat de Lockerbie commandité par son beau-frère Abdallah Senoussi, responsable des services secrets libyens. La France l’a d’ailleurs condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace en 1999 pour un autre attentat ayant causé la mort de 54 français.
Kadhafi a donc deux objectifs : faire sauter le mandat d’arrêt à l’encontre de Senoussi et réintégrer le concert des nations. La France, pays des droits de l’homme, est une magnifique porte de sortie pour le régime. Il y aurait eu aussi d’autres justifications, notamment des contrats d’exploitation pétrolière avec Total, des engagements sur le nucléaire civil et du matériel de surveillance.
Il finit par obtenir son retour dans la communauté internationale grâce à sa promesse de désarmement nucléaire et son soutien à la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis. Il parvient aussi à être reçu dans la capitale française par le nouveau président Nicolas Sarkozy le 10 décembre 2007. Le président tenait en effet à remercier son bienfaiteur pour le financement de sa campagne présidentielle, elle aurait officiellement coûté 20 millions d’euros.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Après les premières rencontres de 2005 et le premier versement de 440 000 euros à travers une société du nom de Rossfield Limited, appartenant à Z. Takieddine, et un compte secret appartenant à Thierry Gaubert, ami historique du locataire de la place Beauvau, une note secrète est rédigée et signée le 10 décembre 2006 par Moussa Koussa, l’ancien chef des services secrets libyen. Cette note fait état d’une promesse de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur de 50 millions d’euros. On ne sait si cette promesse a été tenue, le fait est que la note est bel et bien officielle, elle a été authentifiée et montrée comme telle devant la Justice qui n’a pas pu prouver qu’elle était fausse comme le clamait N. Sarkozy.
Le 6 mai 2007, Sarkozy accède à la plus haute fonction de l’État et s’empresse de remercier le dictateur en lui accordant sa première visite officielle. Il le reçoit en grande pompe six mois plus tard pour le réhabiliter, le tout au mépris des familles des victimes du DC-10 UTA, un attentat commandité par le beau-frère de Kadhafi pour rappel. Pour faire amende honorable, il reçoit les familles à l’Élysée.
Vient en 2008 le fameux achat d’appartement par Claude Guéant avec l’argent libyen. Après cela 3 ans passent. Les relations se dégradent petit à petit, le fils de Mouammar Kadhafi commence à se faire entendre et à déclarer que de l’argent libyen a été injecté dans la campagne du président. Sarkozy commence à se faire de plus en plus véhément et va jusqu’à présenter à l’ONU une résolution pour intervenir militairement en Libye pour anticiper un massacre à Benghazi contre le peuple en révolte. C’est ainsi qu’une guerre est déclenchée le 19 mars 2011 contre le régime libyen. Pendant ce temps, Mediapart sort le premier article d’une longue série sur les soupçons de financement le 28 juillet 2011.
Le 20 octobre de la même année, Mouammar Kadhafi est retrouvé et capturé par le peuple en colère. Il est tué et le peuple est enfin libre. Depuis 2 mois le pays est passé sous le contrôle du Conseil Nationale de Transition (CNT), les avions français en ont profité pour détruire les résidences de Kadhafi et certains de ses proches, pour effacer certaines preuves.
Seulement, le 29 avril 2012, un nouveau rebondissement fait sursauter le président alors qu’il est en pleine période d’élections et qu’il est en lice pour un second mandat. En plus de perdre, un carnet est retrouvé sur le corps de Choukri Ghanem, ancien ministre du pétrole sous Kadhafi retrouvé mort flottant sur le Danube. Ce journal intime porte les traces des versements libyen en direction du cabinet de N. Sarkozy.
Quelques jours plus tard, Alexandre Djouhri, l’autre intermédiaire dans cette histoire, organise la fuite de Bachir Saleh alors sous le coup d’un mandat d’arrêt international et d’une notice rouge d’Interpol. Il reçoit la complicité de Bernard Squarcini, ancien patron des services secrets intérieurs, pour exfiltrer Saleh de Paris vers le Niger pour éviter qu’il ne soit attrapé et qu’il ne finisse par parler.
Les articles de Mediapart continuent de sortir et N. Sarkozy est de plus incriminé. C’est alors qu’en 2020, une opération de sauvetage médiatique est organisée pour éviter le naufrage de l’ancien président. Mimi Marchand est soupçonné d’avoir acheté la rétractation de Ziad Takieddine, alors en fuite et ravalement endetté. De l’autre côté, BFM TV et Paris Match organisent et diffusent une série d’interviews et de reportage pour que N. Sarkozy puisse réagir et s’exprimer face à cette “révélation”. Ruth Elkrief, Marc-Olivier Fogiel (directeur de la chaîne) et d’autres journalistes se retrouvent impliqués dans cette affaire.
Le 25 août 2023, les juges renvoient Nicolas Sarkozy et quelques-uns de ses anciens ministres devant la justice pour un procès historique. Ce dernier a commencé le 6 janvier 2025 et devrait se tenir jusqu’au 10 avril, 5 mois pour peut-être enfin obtenir la conclusion du plus gros scandale de la Ve République. Pour le moment, l’ancien président risque au maximum 10 ans d’emprisonnement, 5 ans d’inéligibilité et 375 000€ d’amende.
Aussi cet article est un condensé de cette affaire monumentale dont le détail se trouve dans les articles de Mediapart et le film documentaire sorti il y a quelques semaines. Lisez-les pour suivre cette histoire et le procès en cours.