Rachida Dati et Carlos Ghosn : six ans d’enquête pour un procès à venir

La ministre de la Culture et l’ancien PDG de Renault-Nissan sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour corruption et trafic d’influence, à l’issue d’une procédure ouverte en 2019. Les deux accusés contestent fermement les faits reprochés et dénoncent une instrumentalisation politique.

Le 22 juillet 2025, les juges d’instruction ont ordonné le renvoi de Rachida Dati et Carlos Ghosn devant le tribunal correctionnel, suivant les réquisitions du Parquet national financier (PNF) formulées en novembre 2024. L’affaire, née en 2019 à la suite d’une plainte d’une actionnaire minoritaire de Renault SA, est directement liée à la chute de Carlos Ghosn, arrêté au Japon en novembre 2018.

Ministre de la Culture, maire du 7ᵉ arrondissement de Paris et ancienne députée européenne, Rachida Dati est poursuivie pour « corruption et trafic d’influence passifs par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale » ainsi que pour « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance ». L’accusation porte sur 900 000 euros (hors taxes) versés entre 2010 et 2012 par Renault-Nissan BV (RNBV), filiale néerlandaise de l’alliance automobile, pour des prestations de conseil que la justice estime non réalisées.

Les soupçons de lobbying au Parlement européen

À l’époque des faits, Rachida Dati siégeait au Parlement européen, où le règlement interdit aux élus toute activité de lobbying. Les juges la soupçonnent d’avoir défendu les intérêts de Renault, notamment en posant deux questions écrites en 2012 liées à la filière automobile : l’une sur la réglementation du bruit des véhicules, l’autre sur le marché des véhicules propres. Pour le PNF, ces interventions, combinées aux versements, constituent un « pacte corruptif » et la placent dans une situation « irrémédiable de conflit d’intérêts ».

Selon le réquisitoire, la convention d’honoraires signée le 28 octobre 2009 n’était qu’un « habillage juridique » destiné à masquer des paiements indus. Les magistrats soulignent l’absence de preuves matérielles substantielles (comptes rendus, correspondances ou rapports détaillés) et considèrent que les prestations étaient « disproportionnées et indues » au regard des sommes engagées.

L’ancien PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, est renvoyé pour « abus de pouvoirs par dirigeant de société », « abus de confiance » et « corruption et trafic d’influence actifs ». Réfugié au Liban depuis sa fuite spectaculaire du Japon en décembre 2019, il est visé par plusieurs mandats d’arrêt internationaux et interdit de quitter le territoire libanais. Parallèlement, il est poursuivi dans d’autres dossiers, notamment pour « abus de biens sociaux » et « blanchiment en bande organisée » dans une enquête menée par le parquet de Nanterre.

Mission d’avocate et pièces manquantes

Face aux accusations, Rachida Dati maintient que les honoraires perçus correspondent à une mission réelle d’assistance juridique et réglementaire, menée entre 2010 et 2012. Elle affirme avoir œuvré pour sécuriser les intérêts du groupe au Maroc, en Algérie, en Turquie et en Iran, citant l’exemple d’une expropriation évitée en Iran.

Elle souligne que ses interventions au Parlement européen relevaient de simples interpellations sur des sujets d’actualité, sans lien direct avec une législation en cours ni avec Renault-Nissan. « Le groupe disposait déjà de dizaines de lobbyistes à Bruxelles », rappelle-t-elle, affirmant que son champ d’action concernait des pays hors Union européenne.

La ministre met également en avant des attestations de cadres dirigeants de Renault et d’anciens responsables politiques, dont Jean-Pierre Raffarin, mais regrette qu’aucun de ces témoins n’ait été entendu. Elle dénonce l’absence dans le dossier de la version paraphée de la convention d’honoraires, qu’elle considère comme une pièce essentielle pour apprécier la prescription.

De nombreux recours

Depuis son inculpation en juillet 2021, après avoir été initialement placée sous le statut de témoin assisté, Rachida Dati a multiplié les recours, sollicitant des nullités, contestant ses mises en examen et soulevant la question de la prescription. La Cour de cassation a rejeté, en octobre 2024, deux pourvois liés à l’infraction de corruption passive. Selon elle, la version paraphée de la convention d’honoraires manque au dossier, ce qui fausserait le point de départ du délai de prescription.

La ministre affirme également que le procureur national financier, Jean-François Bohnert, lui aurait confié que son dossier « ne tenait pas » et qu’il rencontrait des difficultés au sein de son parquet. Elle accuse certains magistrats d’avoir agi avec un calendrier politique en tête, en lien avec ses ambitions municipales. Elle dénonce en outre un « règlement de comptes » interne à Renault, visant Carlos Ghosn, et dont elle se dit « l’otage ». Jean-Dominique Senard, président du groupe, est accusé par Mme Dati de ne pas avoir témoigné en sa faveur, dans ce qu’elle décrit comme un contexte de tensions héritées du départ de M. Ghosn.

Carlos Ghosn, pour sa part, réfute également toutes les accusations. Devant les juges, il a confirmé que Rachida Dati avait bien agi comme « consultante », participant à la « diplomatie des affaires » de Renault au Maghreb et au Moyen-Orient. Selon lui, ses interventions étaient précieuses pour faciliter les négociations avec les autorités locales et protéger les intérêts du groupe dans des environnements politiques complexes.

Les implications politiques d’un procès

Au-delà du volet judiciaire, le dossier Rachida Dati suscite des remous politiques à quelques mois des élections municipales de 2026, où elle est pressentie comme candidate à la mairie de Paris. Le gouvernement a choisi de maintenir sa confiance : l’entourage d’Emmanuel Macron souligne qu’« un renvoi n’est pas une condamnation » et rappelle que Mme Dati « poursuit son travail au gouvernement ». Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, est allé jusqu’à déclarer qu’il souhaitait la voir devenir maire de Paris.

Les adversaires politiques, eux, exigent sa démission. Emmanuel Grégoire (Parti socialiste) juge que « Paris mérite un maire, pas un prévenu ». Pierre-Yves Bournazel (Horizons) estime qu’« un ministre en procès n’est pas bon pour la conduite des affaires de l’État ». Le candidat écologiste David Belliard dénonce « un manque de respect pour les Parisiens » face à une personnalité « accusée de faits graves de corruption ».

Un procès à fort enjeu judiciaire

Une première audience dite de mise en état pénal est prévue le 29 septembre 2025 pour fixer les dates du procès. Celui-ci pourrait se tenir avant ou après les municipales de mars 2026. En cas de condamnation, Rachida Dati encourt jusqu’à dix ans d’emprisonnement, un million d’euros d’amende et une peine d’inéligibilité avec application immédiate.

La loi prévoit que la corruption passive, le fait, pour un élu, de solliciter ou accepter des avantages pour accomplir ou s’abstenir d’un acte lié à son mandat, est punie des mêmes peines que la corruption active, qui consiste à proposer ces avantages. Les ministres, rappelle le droit, sont pénalement responsables pour les actes commis en dehors de leurs fonctions gouvernementales.

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