Benoît Tiberti nous parle de son parcours et de sa passion pour la cuisine. Un chef de demain pleins d’ambitions qui traverse les plus grandes maisons.
Vous êtes étudiant en école de cuisine à l’école du Ducasse. Vous êtes également commis de cuisine. Vous êtes passé par les restaurants Ducasse sur Seine et par le restaurant des Trois Gros, Le Bois sans Feuilles. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la cuisine ? Quel a été votre parcours vers cette progression ?
Eh bien, à vrai dire, c’est tout simple. Moi, je ne me voyais pas du tout dans la cuisine au début. J’ai fait un bac économique et social, puis j’ai dévié vers une prépa scientifique dans le but de travailler dans l’aviation. J’ai ensuite fait une licence en physique-chimie, donc complètement rien à voir. Puis est arrivé le Covid, et je me suis beaucoup remis en question.
Je me suis rendu compte qu’en fin de compte, l’aviation restait une passion, mais que je ne me projetais plus dedans pour en faire mon métier. Ayant des parents artisans boulangers, j’ai toujours baigné dans le métier manuel. Et j’avais toujours une deuxième passion : la cuisine, le goût culinaire.
Alors, je me suis dit : pourquoi pas essayer ? J’ai candidaté, passé les examens, j’ai été reçu, et aujourd’hui, me voilà en cuisine. Après un parcours qui n’est pas forcément atypique. Mais plus j’avance, plus je me rends compte que personne n’a un parcours vraiment défini à 15 ans. Personne ne choisit son métier de manière définitive aussi tôt.
Donc vous êtes en troisième année d’étude, la dernière, c’est bien ça ?
Exactement. Comme je le disais, en première année, j’ai fait un premier stage à Ducasse sur Seine. L’année dernière, vous étiez en stage au restaurant trois étoiles des Trois Gros, Le Bois sans Feuilles. Quels sont vos objectifs pour cette année et la suite de votre carrière ?
Pour préciser, je fais un Bachelor en art culinaire, un programme qui s’étale sur trois ans et six semestres. Le premier semestre de la première année, on a six mois de cours avec de l’entrepreneuriat, du marketing et du management. En fin de compte, on nous donne toutes les clés pour ouvrir un restaurant plus tard.
Le deuxième semestre, on fait un stage en entreprise pour être immergé dans le métier. Et ainsi de suite sur trois ans. Cette année, je suis en troisième année, donc en dernière année. On a un projet final où l’on doit créer notre restaurant de A à Z et monter un dossier, comme si on devait convaincre une banque.
Un business plan, donc, avec le concept, le design, la carte, la rentabilité…
Exactement, c’est un restaurant complet, entre guillemets. Mon premier stage, je l’ai effectué à Ducasse sur Seine, dans le groupe Ducasse. Et là, je reviens de six mois chez Trois Gros, un restaurant trois étoiles au Guide Michelin, le plus vieux restaurant du monde à avoir conservé trois étoiles depuis 56 ans.
C’est énorme, je ne vous le cache pas. Mais cela a été une excellente formation, très enrichissante. J’ai beaucoup appris sur mon métier, mais aussi sur moi-même. Ce sont des maisons qui recherchent l’excellence. Je dis bien « recherchent », car on n’atteint jamais l’excellence.
Le but est de toujours frôler cette ligne, en sachant qu’on ne l’atteindra jamais. Il y a beaucoup de pression, car les clients qui viennent dépensent des sommes conséquentes. Il faut que le service et la cuisine suivent. C’est toute une expérience. J’ai beaucoup appris sur mon métier, mais aussi sur moi-même.
Qu’est-ce qui vous plaît justement dans ce métier ? Cette recherche de l’excellence ?
Oui, c’est cela. C’est pour cela que j’ai choisi l’école Ducasse. C’est une école qui rassemble 80 nationalités différentes, avec des étudiants du monde entier qui viennent découvrir notamment la cuisine française et la philosophie du chef Alain Ducasse.
Il est très axé sur le végétal. Il a été un des premiers à comprendre que, finalement, le légume devait être au centre de l’assiette. Le poisson et la viande restent, mais en tant qu’accompagnement.
Oui, c’est l’excellence, la rigueur. Selon les maisons où vous travaillez, il y a beaucoup de rigueur et de pression. Mais j’aime cette pression, elle m’aide à avancer, à garder un niveau élevé.
Et ce que j’aime, c’est la cuisine, faire plaisir aux gens. Quand les assiettes reviennent vides en cuisine, c’est plaisant. La cuisine est un art éphémère. Une fois que c’est mangé, c’est fini. C’est un art qui disparaît après avoir été dégusté.
Cette pression, vous la ressentez ? Ce n’est pas quelque chose qui vous empêche de travailler ?
En fin de compte, cela dépend des restaurants. Il y a des restaurants plus détendus, avec une bonne ambiance. Et il y a les grands restaurants étoilés. On m’avait prévenu avant que je postule chez Trois Gros : « Le trois étoiles, c’est spécial. Soit tu aimes, soit tu n’aimes pas. »
Et effectivement, c’est soit ça passe, soit ça casse. Moi, je me suis rendu compte que c’était ce que j’aimais et que j’étais fait pour ça. Il faut savoir tenir la pression, c’est très important. Cela fait partie du jeu.
La pression fait-elle partie des qualités requises pour devenir un bon chef ?
Pas forcément. Tout dépend où vous voulez travailler. Si vous voulez évoluer dans de grandes maisons, oui, la pression sera omniprésente, car on y recherche l’excellence.
Et sans pression, on se relâche. Moi le premier. Si mes chefs m’enlèvent un peu de pression, je deviens plus souple. Et on ne veut pas être plus souple, car la qualité pourrait en pâtir. Ce n’est pas ce qu’on recherche.
Quels sont les chefs qui vous inspirent ?
Il y en a beaucoup. En premier, je vais dire Alain Ducasse, évidemment. J’ai choisi cette école parce qu’il a une philosophie très intéressante.
Au-delà du végétal, c’est aussi le respect environnemental. On sait qu’aujourd’hui, la cuisine est en train de changer. Il faut être conscient qu’on ne pourra plus nourrir tout le monde de la même façon qu’avant.
C’est ce qu’on nous apprend notamment à l’école : nous sommes les chefs de demain. J’ai encore beaucoup de travail avant de devenir chef, j’en suis bien conscient, mais on doit tout de suite apprendre à respecter le produit, la qualité et à avoir un contrôle le plus large possible.
Pour un légume, par exemple, il faut contrôler de la terre à l’assiette. C’est ce que je pense : avoir le contrôle et la traçabilité la plus totale. D’une part pour la qualité, qui sera meilleure, et d’autre part pour pouvoir dire au client : « Ce que vous allez manger, je sais d’où ça vient. Il n’y a pas de pesticides, il n’y a pas d’additifs, vous pouvez être tranquille. »
Parmi les chefs qui m’inspirent, il y a aussi Michel Troisgros et son fils César, qui a repris la cuisine il y a deux ou trois ans. Leur philosophie est très simple : c’est minimaliste dans l’assiette, pas de chichi, pas de superflu, mais gustativement, c’est une surprise.
J’apprécie également Arnaud Lallement (L’Assiette Champenoise à Reims) et Glenn Viel (L’Oustau de Baumanière), qui font un travail admirable.
Malheureusement, en parlant des chefs, on va aussi parler des points noirs du métier. On a beaucoup entendu parler d’histoires d’harcèlement et de bizutage, notamment dans la cuisine d’Aurélien Largeau à Bordeaux. Il aurait été violent moralement envers ses commis de cuisine. Est-ce que vous avez déjà été témoin ou entendu parler d’histoires similaires dans vos cuisines ou ailleurs, qui vous ont choqué ou touché ?
Le bizutage, oui. C’est vrai qu’on en a beaucoup entendu parler dernièrement. Cette affaire a été très médiatisée.
Dire que cela n’existe plus serait mentir. Ça existe encore, mais cela a beaucoup diminué ces dix dernières années. J’ai eu l’occasion d’en parler avec des chefs. Quand cette affaire a éclaté à Bordeaux, toutes les cuisines en ont parlé.
Personnellement, je n’ai jamais été témoin de bizutage. Après mon premier stage, j’ai travaillé à Ducasse sur Seine. Quand je suis parti chez Troisgros, j’ai eu entre guillemets un bizutage, mais c’était bon enfant. Ils m’ont pris par surprise avec un peu de sauce barbecue du personnel et j’en ai eu partout.
Mais c’était bon enfant, rien de méchant. C’était dans la rigolade et la bonne humeur.
Il y a des équipes soudées, où l’ambiance est bonne, et dans ce cas, les bizutages sont légers, des petites choses symboliques comme un peu de farine pour marquer le coup.
C’est un rite de passage ?
Oui, un peu comme dans les facs de médecine. Il y en a partout. Après, c’est vrai que l’histoire récente a mis en lumière des abus.
Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé à Bordeaux, je n’y étais pas, mais ce qui est sûr, c’est que ces pratiques reculent. Avant, cela pouvait parfois dégénérer.
J’ai entendu des histoires où des personnes étaient attachées à une chaise et laissées au milieu d’un rond-point avec du miel sur elles. Heureusement, ça se perd. Mais ça existe encore.
La cuisine reste un domaine très populaire, notamment avec les émissions de cuisine et les nombreux livres sur le sujet. Pensez-vous que cet engouement peut durer ? Qu’en pensez-vous d’un point de vue général ? C’est une bonne chose pour la cuisine ?
Oui, c’est une bonne chose. Cela permet de faire découvrir la cuisine aux personnes qui ne sont pas du métier.
Après, les émissions montrent ce que le public veut voir. Une émission comme Top Chef, ce n’est pas la réalité en cuisine. Quand vous êtes en service, au moment du coup de feu, ce n’est pas du tout pareil.
Dans une vraie cuisine, tout le monde est au garde-à-vous, tout le monde doit être prêt et répondre présent pour donner le meilleur de soi-même.
Mais ces émissions permettent aux chefs de faire des livres et de partager leurs recettes, ce qui ouvre la cuisine au plus grand nombre.
Cela permet aussi à des familles, des particuliers, de découvrir de nouvelles recettes et de mieux manger. On voit encore beaucoup de personnes qui, le soir, rentrent et se tournent vers du tout prêt.
Pourtant, cuire une carotte et faire une purée maison, c’est tout aussi rapide que de chauffer une boîte de conserve. Et niveau nutrition, c’est bien meilleur.
Cela peut aussi faire naître des vocations, non ? À votre niveau, auriez-vous des conseils pour ceux qui voudraient devenir comme vous ? Déjà pour se lancer, puis pour tenir sur la durée ?
Lancez-vous ! Il ne faut pas avoir peur.
Quand j’ai décidé d’arrêter la fac pour entrer dans le monde de la cuisine, déjà l’annoncer à mes parents a été compliqué, parce que je changeais totalement de voie. Ça m’a empêché de dormir pendant plusieurs nuits. J’ai beaucoup réfléchi. Mais aujourd’hui, je ne regrette pas du tout mon choix, à 200 %.
J’ai trouvé ma voie. Il ne faut pas avoir peur. Quand vous arrivez dans un restaurant, si le chef voit que vous êtes motivé, il vous transmettra son savoir. Les chefs, ce sont des livres ouverts. Ils voient quand quelqu’un est sérieux, motivé, et veut apprendre. Dans ce cas, ils vous donneront tout.
Dernière question avant de nous quitter : avez-vous une recette préférée, que vous aimez cuisiner ou déguster ?
Ah, c’est compliqué ! Avant de commencer la cuisine, j’étais un peu difficile sur certains plats, notamment le poisson. Aujourd’hui, je mange de tout et je suis ouvert à tout.
Si je devais citer une recette que j’aime bien faire à la maison, ce serait la purée de Joël Robuchon. C’est tout simple, mais c’est excellent.
Je cuisine aussi beaucoup de légumes, tout ce qui est axé autour du végétal, car c’est ce que j’apprends. Pour l’instant, je refais surtout ce que j’apprends.
Je n’ai pas encore trouvé ma cuisine à moi. Mais ce qui est bien avec mon école, c’est qu’on ne nous bride pas dans un style précis, on nous laisse nous exprimer.
Je suis encore trop jeune pour dire « ça, c’est ma cuisine. » Je découvre, j’expérimente, j’ai des ratés, j’ai des essais concluants… Mais pour le moment, je touche à tout.