La réélection de Donald Trump a profondément bouleversé le secteur de l’aide au développement. Bien que des coupes budgétaires aient été anticipées, leur ampleur a largement dépassé les prévisions. Dès son retour à la Maison-Blanche, le président américain a validé des réductions massives des financements destinés aux programmes humanitaires et de coopération internationale, estimant que ces derniers n’étaient pas alignés avec les priorités de son administration.
Un décret historique
Le 20 janvier 2025, à peine investi, Donald Trump signe un décret gelant les financements de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) pour 90 jours, le temps de réévaluer l’aide étrangère des États-Unis. Fidèle à sa doctrine « America First », il confirme ainsi son hostilité à l’aide internationale, déjà affichée lors de son premier mandat. Entre 2017 et 2021, il avait tenté de réduire de jusqu’à 30 % le budget de l’USAID et du Département d’État, tout en suspendant l’aide à plusieurs pays et organisations, dont l’OMS, en pleine pandémie. Cette nouvelle mesure, encore plus radicale, illustre sa vision isolationniste des relations internationales. Durant la période de gel, tous les programmes financés par les États-Unis sont suspendus dans l’attente d’une réévaluation. À l’issue de cet examen, ils pourront être maintenus ou définitivement arrêtés. Seul le Secrétaire d’État dispose du pouvoir d’exempter certains projets de cette pause. Ce décret illustre la volonté affirmée de Donald Trump de réduire l’influence de l’aide américaine à l’étranger en recentrant les financements sur des priorités nationales, au risque de fragiliser de nombreux programmes humanitaires à travers le monde.
Pourquoi ces coupes font-elles si peur ?
L’USAID représente près de 42 % du budget mondial de l’aide humanitaire, soit environ 41 milliards d’euros par an, et joue un rôle central pour de nombreuses ONG internationales comme Action contre la faim, Handicap international ou Médecins du monde. Ces organisations dépendent largement de ses financements pour leurs actions dans des zones de crise. L’agence américaine est également essentielle lors des crises majeures, ayant alloué plus de 2 milliards de dollars à l’aide humanitaire en Ukraine en 2023 et mobilisé plus de 9 milliards pour lutter contre la pandémie de COVID-19. En plus de ces urgences, l’USAID soutient des initiatives à long terme, comme le programme « Feed the Future », qui lutte contre la faim et la pauvreté. Mais son rôle ne se limite pas au financement : les engagements de l’agence servent souvent de levier pour attirer d’autres donateurs internationaux, renforçant ainsi l’impact des projets humanitaires. Ces coupes soulèvent ainsi de grandes inquiétudes : elles risquent d’aggraver les crises humanitaires dans les pays les plus vulnérables (Ukraine, Somalie, Afghanistan) et de déstabiliser des régions entières.
Quels secteurs seront les plus impactés ?
Les coupes budgétaires de l’USAID ont déjà des répercussions majeures sur plusieurs secteurs clés, à commencer par les programmes dits « d’inclusion », désormais laissés de côté. Ces réductions affecteront des millions de bénéficiaires à travers le monde, avec des conséquences dramatiques.
- Santé mondiale : Les programmes de vaccination (polio, rougeole) et de lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme sont désormais menacés. Les initiatives de santé maternelle et infantile, particulièrement cruciales dans les régions vulnérables d’Afrique et d’Asie du Sud, connaissent également des coupes sévères.
- Climat : Les projets d’énergies renouvelables (solaire, éolien) dans les pays en développement sont suspendus, tout comme les programmes d’adaptation aux effets du changement climatique, comme la gestion des sécheresses et des inondations. La conservation de la biodiversité et le financement de la recherche climatique en pâtissent également.
- Droits des femmes : Des millions de femmes vont perdre l’accès aux contraceptifs. Les cliniques offrant des soins pré et post-nataux ferment, tandis que les programmes de lutte contre le mariage forcé sont arrêtés. Les initiatives en faveur de l’autonomisation économique et de l’éducation des filles subissent également des réductions drastiques.
Ces coupes risquent d’effacer des années de progrès en matière de développement, de résilience climatique, de santé publique et d’égalité des genres.
Mars 2025 : Quel bilan à ce stade ?
Au moment des premières annonces, il était difficile de saisir l’ampleur des répercussions futures. Bien que la situation reste floue près de deux mois après l’adoption du premier décret, les contours de la crise se dessinent peu à peu. La quasi-fermeture de l’USAID a conduit à la mise en congé administratif ou au licenciement de milliers d’employés. Les ONG internationales, pour leur part, rencontrent de grandes difficultés pour maintenir leurs opérations sur le terrain ; certaines ont dû fermer leurs bureaux ou licencier du personnel.
Cependant, un tournant a eu lieu le 5 mars 2025. La Cour suprême des États-Unis a ordonné à l’administration Trump de débloquer entre 1,5 et 2 milliards de dollars d’aide internationale, gelée depuis janvier. L’institution a estimé que cette suspension violait les engagements budgétaires ratifiés par le Congrès, offrant ainsi une victoire aux organisations humanitaires. Toutefois, cette décision ne compense en rien les coupes drastiques opérées par l’administration, qui a réduit de plus de 90 % les crédits alloués par l’USAID.
La France et l’Union européenne peuvent elles compenser le recul de l’USAID ?
En France, le 23 janvier 2025, le Sénat a voté un budget réduisant fortement l’aide publique au développement (APD), avec une baisse de 37 %, soit plus de 2,1 milliards d’euros. Le budget passe ainsi de 6,5 milliards en 2024 à 5,2 milliards d’euros, un niveau inférieur à celui de 2021, mettant en péril l’objectif de consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à cette aide d’ici 2025. Pour compenser cette baisse, l’Union européenne, qui est le premier donateur mondial avec 95,9 milliards d’euros en 2023, pourrait jouer un rôle clé. Mais son aide est incertaine : chaque pays de l’UE décide encore largement de sa propre politique et d’autres priorités comme le soutien à l’Ukraine et la gestion des migrations pèsent déjà sur les budgets. Dans ce contexte, l’augmentation de l’aide européenne semble peu probable, alors que la tendance mondiale est plutôt à la baisse.
En rompant avec des décennies de politique multilatérale, l’administration Trump redéfinit le rôle des États-Unis sur la scène mondiale, passant d’un acteur perçu comme « bienveillant » à une puissance centrée sur ses intérêts immédiats. Bien que cette stratégie vise à renforcer l’économie américaine à court terme, ses conséquences géopolitiques et humanitaires à long terme risquent d’être désastreuses. Pour l’Union européenne et l’AFD, pallier ce vide nécessiterait des augmentations budgétaires substantielles et une refonte de leurs structures d’aide. Cela impliquerait une meilleure coordination entre les États membres de l’UE, un réajustement des priorités et la création de nouveaux mécanismes de financement. La situation reste donc incertaine, et le vide laissé par Washington oblige les acteurs internationaux à revoir leurs stratégies.