Prendre le temps de comprendre

« A Huis Clos » de Kery James, l’avocat face au juge

Le rappeur français Kery James revient auteur et acteur d’une nouvelle pièce. A huis clos se joue au théâtre du Rond-Point, sous forme de dialogue social profondément engagé.

Après le succès de sa pièce A vif, Kery James revient au théâtre sous les traits de son personnage fétiche. Souleymane est un avocat originaire de cité bouleversé par la mort de son frère abattu par un policier. Il retrouve le juge – interprété par Jérôme Kircher – qui a innocenté le tireur et lui annonce sa sentence. Une vie pour une vie. Se construit le dialogue à huis clos de ces hommes séparés par leur vécu et leur perception du monde. 

L’art de la nuance 

Un espace circulaire sur scène : le bureau du juge. La caméra tourne autour des deux personnages et retransmet en direct d’autres plans sur un écran qui les surplombe. « Du cinéma au théâtre », s’enthousiasme Max, 19 ans, à la sortie de la pièce. Comme un écho aux différents points de vue de ce débat. Le personnage du rappeur vient de la cité, d’un « quartier prolétaire », comme il l’appelle. Un milieu auquel il a voulu échapper en devenant avocat. Mais il porte toujours cette méfiance envers l’État et cette haine de la police. A travers lui, le spectateur comprend l’humiliation de l’interrogatoire, le sentiment d’injustice né de l’énième contrôle au faciès et la perte de confiance dans le système judiciaire. Malgré la force de ses convictions, l’auteur laisse aussi la place à « l’autre ». Le personnage du juge apporte son humanité : ne pas mettre tous les policiers dans le même panier, garder un peu de foi dans les valeurs des magistrats, même s’ils sont des hommes faillibles. « C’est magnifique : il y a un vrai contraste entre les personnages, mais ils sont aussi complémentaires », affirme Mohammed, 29 ans. Il ne va jamais au théâtre, et a été traîné là par une amie. Il ne le regrette pas. 

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Le poids des mots 

Les dialogues de A huis clos sont servis par la plume acérée de Kery James. Son phrasé résonne sur scène comme une chanson. Le texte s’émaille de références littéraires et philosophiques, et de mentions d’événements passés : le jeune Nahel, et la policière tuée en pleine rue. Contrairement à la pièce précédente, A vif, qui consistait en un débat au sens propre, ce dialogue joue davantage sur un plan émotionnel. Les mots stimulent autant la peine et la tension que l’empathie chez les spectateurs. Quand l’avocat se saisit du vase posé sur le bureau, aux cassures rehaussées d’or, le magistrat décrit d’une voix douce le procédé du kintsugi. L’art japonais de réparer les objets en ne dissimulant pas leurs défauts. En les mettant au contraire en valeur, en acceptant qu’ils ne soient plus jamais les mêmes. Un discours comme un baume à l’âme face aux fêlures et aux changements causés par la vie. A la sortie du théâtre, Lucie a les larmes aux yeux. « J’ai été en colère à certains moments, et la fin m’a vraiment bouleversée, dit-elle. Mais je suis contente d’avoir vu une discussion qui nous fait réfléchir sur notre société. » Elle espère une prochaine pièce de Kery James, qui viendrait mêler à nouveau l’art et la réflexion sociale.