Les hommes, enfin à même d’assumer la contraception ?

En 1983, Cyndi Lauper transformait une chanson misogyne en hymne féministe. Quarante ans plus tard, la charge contraceptive pèse encore exclusivement sur les femmes. Mais l’avenir pourrait bien changer la donne : la pilule masculine se profile enfin à l’horizon.

« I come home in the morning light, my mother says when you gonna live your life right? » Dans ce tube planétaire de 1983, Cyndi Lauper incarnait la femme moderne qui refuse de se plier aux diktats familiaux. Ce que peu savent, c’est que cette chanson était à l’origine écrite par un homme, Robert Hazard, qui la concevait comme l’hymne des « filles faciles ». La chanteuse new-yorkaise a complètement réécrit les paroles pour en faire un manifeste de l’émancipation féminine : « Girls just wanna have fun » n’était plus une invitation machiste mais une revendication d’égalité.

Quarante ans plus tard, cette bataille pour l’égalité des sexes trouve un écho troublant dans un domaine où les femmes portent encore seules le fardeau : la contraception. Mais une révolution se dessine. Pour la première fois depuis l’invention de la pilule féminine en 1960, une alternative masculine efficace et sans hormone vient de franchir une étape décisive.

La pilule masculine : enfin une réalité ?

Le 22 juillet 2025, la revue Communications Medicine publiait les résultats d’un essai clinique qui pourrait changer la donne. La molécule YCT-529, développée par des chercheurs américains, vient de passer avec succès ses premiers tests sur l’homme. Contrairement aux tentatives précédentes, cette pilule masculine ne joue pas sur les hormones mais bloque spécifiquement une protéine essentielle à la production des spermatozoïdes. « Cette molécule agit en bloquant le récepteur alpha de l’acide rétinoïque, impliqué dans la signalisation de la vitamine A, un élément indispensable à la maturation des spermatozoïdes », explique l’étude menée sur 16 hommes britanniques âgés de 32 à 59 ans. Résultat : aucun effet secondaire notable, pas de baisse de libido, pas de troubles de l’humeur, pas de prise de poids. Un profil révolutionnaire comparé aux contraceptifs hormonaux masculins testés depuis les années 1970.

Les précédents essais de contraception hormonale masculine, menés par l’Organisation mondiale de la santé dans les années 1990, avaient montré une efficacité de 99% mais s’accompagnaient d’effets secondaires dissuasifs : acné, sautes d’humeur, prise de poids. « Il est nécessaire de patienter quelques mois après avoir commencé à prendre cette pilule pour constater ses effets contraceptifs, mais aussi d’attendre quelques mois après son arrêt pour les voir se dissiper », soulignait alors l’Inserm.

Avec YCT-529, fini les délais d’attente. Les études précliniques sur les souris et les primates ont montré une réversibilité complète en 6 à 15 semaines. Si les prochaines phases d’essais confirment ces résultats, cette pilule pourrait être commercialisée entre 2027 et 2030.

Où en est la France dans cette course ?

Pendant que les Américains innovent, la France semble à la traîne. Hadrien Clouet, député, interpelle en 2022 le ministre de la Santé sur ce « retard de développement des méthodes de contraception dite masculine dans le pays ». Sa question parlementaire révélait un paradoxe français : « Chaque année, des dizaines de milliers de personnes utilisent ou s’informent sur la contraception masculine. Face à cette demande, il semble urgent de déployer une véritable politique contraceptive à destination des hommes ». La réponse officielle fut évasive : « Actuellement, aucune recommandation ne permet d’appuyer une éventuelle promotion des méthodes de contraception masculine thermique et hormonale car seule la vasectomie, le préservatif et le retrait ont fait l’objet d’une évaluation de la Haute Autorité de santé ». Traduction : la France attend que d’autres fassent le travail.

Pourtant, des équipes françaises participent à la recherche internationale depuis les années 1970. L’INSERM, les universités et plusieurs CHU financent des travaux sur la contraception masculine. Mais ces efforts restent marginaux face aux budgets alloués à la contraception féminine. Le député Clouet réclamait un budget de 50 millions d’euros pour « la recherche, l’accès à l’information et la formation aux méthodes de contraception dite masculine ». Sa demande est restée lettre morte. Marlène Schiappa, alors ministre, déclarait en 2021 : « Je déplore que la contraception masculine ne soit pas largement mise sur le marché, notamment en France ». Mais les actes n’ont pas suivi les paroles.

Les hommes, ces éternels absents de la contraception

Cette indifférence des pouvoirs publics reflète une réalité sociologique : la contraception reste perçue comme une « affaire de femmes ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, 90% des femmes de 18 à 49 ans non-ménopausées utilisent un moyen de contraception. Côté masculin ? Seuls 1,2% des hommes ont recours à la vasectomie, malgré une progression spectaculaire ces dernières années. Cette multiplication par 15 du nombre de vasectomies entre 2010 et 2022 (de 1.940 à 30.288 interventions) traduit une prise de conscience. Pour la première fois en France, en 2021 et 2022, il y a eu plus de stérilisations masculines que féminines. Un renversement historique qui s’explique en partie par les scandales sanitaires affectant la contraception féminine, comme l’affaire des implants Essure.

Mais cette évolution reste insuffisante. « Au Québec, 1 homme sur 3 a eu recours à la vasectomie », rappelle l’association Garcon, spécialisée dans la promotion de la contraception masculine. En France, nous en sommes loin. Plus révélateur encore : selon un sondage OpinionWay de 2021, 37% des hommes de 18 à 30 ans seraient prêts à prendre une pilule contraceptive masculine remboursée. Un taux encourageant mais qui révèle aussi que 63% restent réticents.

L’édition augmentée de « Les Contraceptés » s’inscrit parfaitement dans cette réflexion sur l’évolution timide mais symbolique des mentalités masculines. Le roman graphique de Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, journalistes qui partent de leur propre ignorance sur les méthodes contraceptives masculines, illustre justement cette prise de conscience tardive mais nécessaire. Leur enquête révèle un paradoxe frappant : depuis quarante ans, des solutions efficaces existent – slip chauffant, anneaux en silicone, injections hormonales, vasectomie – mais demeurent marginales faute de financement et de volonté politique. L’ouvrage met en lumière les « étapes d’une révolution manquée » selon les mots de Camille Froidevaux-Metterie qui signe la préface de cette nouvelle édition. Plus révélateur encore, cette « enquête sur le dernier bastion du patriarcat » montre comment, malgré des décennies de recherche, les laboratoires pharmaceutiques préfèrent se concentrer sur le Viagra plutôt que sur la pilule masculine, révélant une hiérarchisation implicite des priorités de santé reproductive. Les auteurs dénoncent ainsi cette « arnaque » d’une société qui prône l’égalité tout en maintenant les femmes dans la responsabilité exclusive de la contraception, transformant cette BD en véritable « introspection » sur les mécanismes patriarcaux que perpétuent inconsciemment les hommes eux-mêmes

 Un fardeau exclusivement féminin

Cette réticence masculine perpétue ce que les sociologues appellent la « charge mentale contraceptive ». Un concept qui englobe bien plus que la simple prise d’une pilule : suivi médical, gestion des effets secondaires, recherche d’informations, anxiété liée aux oublis, coût financier et psychologique. Cécile Thomé et Mylène Rouzaud-Cornabas, chercheuses, identifient quatre formes de travail exclusivement féminines : le suivi médical régulier, la recherche d’informations sur les méthodes alternatives, la mise en œuvre quotidienne de la contraception, et l’accommodation des effets secondaires. « Un tiers des femmes sous contraception déclarent ressentir des effets secondaires dont l’accommodation représente un autre travail invisible », précisent-elles. L’historique de la contraception explique cette asymétrie. La pilule féminine, légalisée en France par la loi Neuwirth en 1967, fut d’abord présentée comme un outil d’émancipation. Mais paradoxalement, son adoption a conduit à un « désengagement masculin ». D’une contraception « traditionnelle » de couple (essentiellement le retrait), on est passé à une contraception médicale et exclusivement féminine.

Cette médicalisation de la contraception féminine n’est pas sans conséquences. Les études récentes révèlent des effets secondaires longtemps minimisés. Une recherche publiée en 2023 montre que les femmes sous pilule combinée présentent un risque accru de cancer du sein de 20 à 30%. « Ce risque serait présent quelle que soit la forme d’administration : pilule, stérilet, implant », précisent les auteurs. Plus préoccupant encore : l’impact sur la santé mentale. Une étude de 2023 portant sur 260.000 femmes britanniques confirme le lien entre pilule et dépression : « L’utilisation de contraception orale, en particulier au cours des 2 premières années, augmente le risque de dépression. De plus, son utilisation pendant l’adolescence pourrait augmenter le risque de dépression plus tard dans la vie ». Les effets sur le cerveau commencent à être documentés. Des recherches québécoises montrent que les femmes sous contraceptifs oraux présentent un cortex préfrontal ventromédian plus mince, une région impliquée dans la régulation des émotions. « Il n’est jamais abordé que les hormones sexuelles sont importantes pour le développement du cerveau », déplore Alexandra Brouillard, chercheuse à l’UQAM.

L’efficacité de la pilule : un mythe tenace

Au-delà des effets secondaires, l’efficacité même de la pilule féminine est surestimée. Si elle affiche théoriquement 99,5% d’efficacité en usage parfait, la réalité est tout autre. En utilisation typique, l’efficacité chute à 93%, soit 7 grossesses non désirées pour 100 utilisatrices par an. L’Organisation mondiale de la santé est encore plus pessimiste : elle évalue à 8% le taux d’échec en usage courant de la pilule. Autrement dit, 8 femmes sur 100 tombent enceintes malgré la pilule. Un taux qui grimpe à 15% pour le préservatif masculin. Ces « accidents » de contraception sont légion. « On compte environ 370.000 grossesses non programmées en France. 65% d’entre elles surviennent en dépit d’une contraception », rappelle Jean-Pierre Graziana, urologue à l’AFU. 

Cette situation rappelle étrangement les débuts de la pilule féminine. En 1960, Margaret Sanger et Gregory Pincus révolutionnaient la contraception avec une approche hormonale audacieuse. Leur invention fut d’abord accueillie avec méfiance avant de s’imposer massivement. Aujourd’hui, c’est au tour des hommes de franchir le pas. Mais les obstacles sont nombreux. « Messieurs, on ne touche pas au corps des hommes. Surtout pour la contraception. Les femmes sont faites pour cela ! », s’écriait un responsable pharmaceutique, rapporte un article de Philomag. Cette phrase résume les préjugés persistants. Les laboratoires pharmaceutiques restent frileux. Contrairement à la pilule féminine, portée dans les années 1960 par le mouvement féministe, la contraception masculine ne bénéficie d’aucun lobby puissant. « Toutes les innovations en matière de contraception féminine qui ont été réalisées dans les dernières décennies n’ont pas été portées par l’industrie pharmaceutique mais par des organismes publics », observe Cécile Ventola, chercheuse à l’INED.

En attendant la pilule masculine, d’autres méthodes existent. La contraception thermique, popularisée par l’andrologue Roger Mieusset à Toulouse, consiste à maintenir les testicules à température corporelle 15 heures par jour. Efficacité démontrée : 0,5% d’échec. Plus fiable que la pilule féminine. Cette méthode, accessible via des associations comme Garcon, reste confidentielle. « Les gens qui viennent nous voir sont en grande majorité des hommes blancs avec un certain niveau d’éducation », constate Erwan Taverne, fondateur de l’association. Un profil sociologique qui illustre les inégalités d’accès à l’information. La contraception hormonale masculine existe aussi en France. Seuls deux médecins la pratiquent : le Dr Soufir à Paris et le Dr Mieusset à Toulouse. Le traitement, par injections hebdomadaires, présente 95% d’efficacité mais reste limité à 18 mois maximum.

Une révolution culturelle nécessaire

Au-delà des aspects techniques, la contraception masculine pose une question sociétale fondamentale. « La question de la contraception masculine a l’intérêt d’être un puissant révélateur des représentations sociales dans ce domaine », analysent les chercheurs suisses. Cette révolution passe par l’éducation. Cyndi Lauper, interrogée en 2023 sur l’actualité de son tube, déclarait : « Dans les années 1980, les femmes luttaient encore pour être considérées comme égales aux hommes. Dans les années 1980, il semblait qu’une grande partie du travail acharné était oublié et que les femmes acceptaient de nouveau le statu quo ». Quarante ans plus tard, le combat continue. Mais cette fois, les hommes pourraient bien prendre le relais.

Les signes encourageants se multiplient. Une étude française montre que 69,7% des femmes seraient favorables à laisser les hommes gérer la contraception du couple. Après information sur les méthodes disponibles, ce taux chute à 46,7%, révélant l’importance de la sensibilisation. La génération montante semble plus réceptive. Les consultations de contraception masculine au Planning familial parisien, quasi-désertes en 2017, attirent désormais « entre trois et quatre » hommes par séance. Une progression modeste mais symbolique. La feuille de route gouvernementale 2021-2024 pour la santé sexuelle affichait l’ambition de « favoriser l’égalité entre les genres et de mieux répartir la charge de la contraception ». L’action 26 prévoit de saisir la HAS pour « établir des recommandations sur l’ensemble des méthodes de contraception masculine ». Un premier pas, tardif mais réel.

La contraception masculine n’est plus une utopie. Les solutions existent, d’autres arrivent. Mais leur déploiement nécessite une volonté politique et sociale forte. Les pouvoirs publics doivent investir massivement dans la recherche, la formation des professionnels de santé et l’information du public. Car derrière les chiffres se cachent des vies. 370.000 grossesses non désirées par an en France. Des milliers de femmes qui subissent des effets secondaires invalidants. Des couples qui portent inégalement le poids de la contraception. « Girls just wanna have fun », chantait Cyndi Lauper. Traduction libre : les femmes veulent vivre leur vie sans contrainte. En 2025, cette revendication pourrait enfin devenir vraie grâce à leurs partenaires masculins. Il était temps.

L’information et la consultation d’un professionnel de santé restent indispensables avant tout choix contraceptif. Les méthodes évoquées dans cet article nécessitent un suivi médical approprié.

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