En France, la dette publique atteint 3 345,8 milliards d’euros au premier trimestre 2025, soit 114 % du produit intérieur brut (PIB). Une notion souvent évoquée dans le débat public mais dont les mécanismes, les enjeux et les risques restent complexes à appréhender. Explications pour comprendre un sujet central des finances de l’État.
La dette publique ne se limite pas à l’État. Elle englobe l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques qui n’ont pas encore été remboursés. Dans ce périmètre figurent l’État lui-même, qui en porte la plus grande part (environ 81 %), mais aussi les organismes d’administration centrale comme les universités ou les musées, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux, ainsi que les administrations de Sécurité sociale.
Comme un ménage, l’État encaisse des recettes (impôts, taxes) et paie des dépenses (écoles, hôpitaux, retraites, sécurité, transports…). Quand les dépenses dépassent les recettes, il y a déficit ; il faut emprunter, donc la dette augmente.
On parle de dette « maastrichtienne », car elle est définie par les règles européennes issues du traité de Maastricht. Elle est comptée en valeur faciale, c’est-à-dire le montant inscrit sur les titres de dette. Ce mode de calcul peut différer de celui utilisé par l’Agence France Trésor (AFT), qui gère au quotidien les emprunts de l’État et raisonne parfois en valeur de marché.
Pourquoi la France s’endette-t-elle depuis un demi-siècle ?
Depuis 1974, la France n’a jamais présenté de budget en excédent. Autrement dit, les dépenses publiques sont chaque année supérieures aux recettes, ce qui génère un déficit. Pour le financer, l’État recourt à l’emprunt. Ce déséquilibre structurel s’explique par le niveau élevé de la dépense publique en France, qui couvre des domaines variés comme l’éducation, la santé, les retraites, la sécurité ou encore les infrastructures.
Les grandes crises économiques et sanitaires ont accéléré cette tendance. La crise financière de 2007-2008, puis la pandémie de Covid-19, ont entraîné des dépenses massives pour soutenir l’économie et protéger les citoyens. Ces événements expliquent une large part de la hausse de la dette depuis quinze ans.

Cependant, l’endettement public n’a pas qu’un visage inquiétant. Il peut jouer un rôle positif lorsqu’il finance des investissements d’avenir, comme la transition écologique, la recherche ou l’innovation. Dans ces cas, la dépense peut générer plus de richesse qu’elle n’en coûte, grâce à ce que les économistes appellent l’« effet multiplicateur ».
Comment la dette publique est-elle contractée et remboursée ?
L’Agence France Trésor, service rattaché au ministère des Finances, est chargée d’organiser les emprunts de l’État. Concrètement, celui-ci émet des titres de dette sur les marchés financiers. Les plus connus sont les Obligations assimilables du Trésor (OAT), dont la durée varie entre deux et cinquante ans, parfois indexées sur l’inflation. À plus court terme, l’État recourt aussi aux Bons du Trésor, qui servent surtout à gérer la trésorerie.
Ces titres sont achetés lors d’enchères par des banques partenaires, appelées « spécialistes en valeurs du Trésor », qui les revendent ensuite à des investisseurs institutionnels : compagnies d’assurance, fonds de pension, banques ou banques centrales. Une fois émis, ces titres circulent librement sur les marchés secondaires.
Lorsqu’une obligation arrive à échéance, l’État ne rembourse pas intégralement le capital avec ses seules recettes fiscales. Il émet de nouvelles obligations afin de payer les anciennes. Ce mécanisme, appelé « rouler sa dette », est une pratique courante dans les pays développés. En revanche, l’État doit verser chaque année les intérêts, appelés coupons, ce qui constitue la « charge de la dette ».
Qui détient la dette française ?
La spécificité française tient à la part importante de la dette détenue par des non-résidents. Fin 2024, plus de la moitié des titres de dette de l’État étaient détenus à l’étranger. Si l’on exclut la Banque de France, qui achète des obligations pour le compte de la Banque centrale européenne, cette proportion atteignait près des deux tiers. Cela place la France en tête du G7 pour le poids des investisseurs étrangers dans sa dette.
Les compagnies d’assurance et les établissements de crédit français détiennent chacun environ 9 % de la dette négociable, tandis que les ménages y sont exposés indirectement via leurs contrats d’assurance-vie. D’un point de vue géographique, la dette publique française se répartit grosso modo en quatre parts équivalentes : une détenue par des acteurs français, une par la Banque de France, une par des investisseurs européens et une dernière par des investisseurs hors zone euro. Parmi eux, les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Luxembourg et l’Irlande figurent parmi les principaux lieux de détention.
Une charge qui pèse de plus en plus lourd
La dette publique ne se traduit pas par un remboursement immédiat du capital, mais par le versement d’intérêts. Ceux-ci représentent une dépense considérable pour le budget de l’État. En 2025, la charge de la dette est estimée à environ 55 milliards d’euros, soit près de 10 % du budget de l’État. Elle a doublé en cinq ans.
Cette progression s’explique par la remontée des taux d’intérêt. Après avoir baissé de façon continue depuis les années 1990, jusqu’à devenir négatifs en 2020, les taux ont rebondi à partir de 2021. En 2025, la France emprunte autour de 3 %. Si cette tendance se poursuit, la charge de la dette pourrait atteindre plus de 72 milliards d’euros en 2027.
L’un des premiers risques est celui de la dépendance aux marchés financiers. Lorsque la dette est massivement détenue par des investisseurs étrangers, la France s’expose à leurs décisions, parfois rapides et imprévisibles. En cas de crise de confiance, ces acteurs peuvent exiger des taux plus élevés pour continuer à prêter, ce qui accroît mécaniquement le coût de l’emprunt. Cette vulnérabilité est accentuée par la géopolitique : certains investisseurs peuvent provenir de pays dont les intérêts stratégiques ne coïncident pas avec ceux de la France.
Un deuxième risque est l’effet « boule de neige ». Plus la dette est importante, plus la charge d’intérêt augmente, ce qui réduit la capacité budgétaire de l’État à financer d’autres politiques publiques. Les marges de manœuvre pour répondre à une nouvelle crise s’amenuisent alors. Dans les cas extrêmes, un cercle vicieux peut s’installer. La hausse de la dette inquiète les marchés, qui demandent des taux plus élevés, ce qui rend la dette encore plus coûteuse et alimente de nouvelles inquiétudes.
Enfin, la dette publique française est scrutée par les agences de notation internationales, telles que Standard & Poor’s, Moody’s ou Fitch. Une dégradation de la note souveraine n’est jamais une surprise pour les investisseurs, qui anticipent déjà l’évolution des finances publiques, mais elle alimente le débat public et peut peser sur la perception de la crédibilité budgétaire du pays.
Une trajectoire préoccupante selon les institutions
La dette française s’élevait à environ 60 % du PIB en 2000, puis à 97,9 % en 2019, avant de franchir le seuil des 114 % au premier trimestre 2025. La France occupe la troisième place en termes de ratio d’endettement, derrière la Grèce et l’Italie.
Le gouvernement table sur un retour du déficit public sous les 3 % du PIB en 2029, et non plus en 2027 comme initialement prévu. Cela suppose une trajectoire de réduction lente, avec une dette qui resterait supérieure à 117 % du PIB à cet horizon. Mais la Cour des comptes juge ces prévisions trop optimistes et pointe une incapacité persistante à maîtriser la dynamique des dépenses. La Commission européenne va plus loin en estimant que, sans correction structurelle, la dette pourrait atteindre 142 % du PIB en 2035.
Ces chiffres traduisent une tendance lourde, la dette publique française ne se stabilise pas. La soutenabilité dépendra du différentiel entre la croissance économique et le coût de l’emprunt. Si les taux restent durablement plus élevés que la croissance, la dette continuera à progresser mécaniquement.
Les pistes de réponse et leurs limites
Face à ce constat, plusieurs solutions reviennent régulièrement dans le débat. L’idée d’un « grand emprunt national », destiné à orienter l’épargne des ménages vers l’État, est parfois avancée. Mais elle suppose d’offrir des avantages fiscaux ou financiers coûteux et risquerait surtout de détourner l’épargne des entreprises, qui ont elles aussi besoin de financements.
Certains évoquent la possibilité de restaurer un « circuit du Trésor » comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où l’épargne des Français était dirigée quasi automatiquement vers le financement public. Ce mécanisme, abandonné depuis, serait aujourd’hui incompatible avec les règles de libre circulation des capitaux de l’Union européenne.
D’autres encore s’inspirent de la « théorie monétaire moderne » et imaginent que la Banque de France finance directement l’État en créant de la monnaie. Une telle pratique est interdite par les traités européens et a conduit, dans l’histoire, à des épisodes d’hyperinflation lorsque la discipline budgétaire faisait défaut.
Dans les faits, la seule stratégie viable repose sur une réduction de la dépendance globale aux capitaux extérieurs. Cela suppose de restaurer la compétitivité des entreprises françaises, de rééquilibrer la balance commerciale et de dégager, à terme, des excédents permettant de stabiliser la dette.
« Bonne dette » et « mauvaise dette » : la question de l’usage
Toutes les dettes ne se valent pas. Une dette contractée pour couvrir des dépenses courantes, comme les salaires de la fonction publique ou les prestations sociales, pèse durablement sur les finances publiques. À l’inverse, une dette orientée vers des investissements porteurs, qu’il s’agisse de recherche, d’infrastructures ou de transition énergétique, peut créer de la croissance future. Dans ce cas, le ratio dette/PIB peut se stabiliser, voire diminuer, si le PIB augmente plus vite que l’endettement.
La ligne de crête reste fragile. Elle dépend à la fois de la qualité des projets financés, de la discipline budgétaire et de la capacité de l’État à maintenir la confiance de ses créanciers. C’est sur cette confiance que repose, in fine, la soutenabilité de la dette publique française.