Guerrisol, immersion dans la fripe à petit prix

Guerrisol s’impose comme un temple de la fripe à Paris, où prix bas et consommation de seconde main séduisent un large public. Mais son modèle, fondé sur l’importation massive de vêtements, interroge sur son réel impact écologique.

XIVᵉ arrondissement, Alésia. Une façade de verre ressort des amas de béton avoisinant. Collées sur les vitres, des affiches blanches aux écritures rouges annoncent « Guerrisol by Guerrida ». Derrière, des vêtements à perte de vue. Le cliquetis métallique des cintres couvre en fond L’Aziza de Daniel Balavoine, clin d’œil désuet à une autre époque. Dans l’air, une odeur tenace : poussière, placards jamais ouverts, relents de tissus anciens. Sous les néons fatigués, le fluo des étiquettes force l’attention des visiteurs : « 1,50 € le pull », inscrit à la main d’une écriture noire.

Fondée en 1970 par Mohamed Guerrida, Guerrisol est aujourd’hui un empire de la seconde main. Dix-sept adresses à Paris, une soixantaine d’autres à l’étranger, et une mécanique simple : des vêtements issus de dons, d’invendus ou de surplus, pour des prix allant de un à cinq euros, dans un joyeux désordre organisé.

« L’astuce, c’est d’avoir des heures devant soi pour fouiller », glisse Inès, 25 ans, en enfilant un pantalon de velours vert forêt trouvé sur une pile branlante. Plus loin, Oriane, 19 ans, sac à dos vissé aux épaules, écouteurs dans les oreilles, fouille méthodiquement les portants : « Les autres fripes sont trop chères ou trop “concept”. Guerrisol, c’est brut, sans prise de tête. » Pour beaucoup de jeunes en formation ou de travailleurs précaires, Guerrisol est devenu une « option survie », comme le résume Hugo, 23 ans : « Ça m’aide à avoir des fringues potables sans cramer mon budget pâtes. »

La fripe, phénomène de mode ?

Loin d’être un simple repaire pour petits budgets, Guerrisol s’inscrit dans une mutation plus large de la consommation vestimentaire en France. Selon l’Institut français de la mode, l’achat de vêtements de seconde main représente aujourd’hui près de 15 % des achats textiles en France, contre 7 % en 2018. Une progression portée par un double souci : économique et écologique.

« La friperie propose un modèle brut, non filtré, à mille lieues du raffinement traditionnel parisien », analyse Alice Pfeiffer, journaliste mode et autrice de Je ne suis pas parisienne (Flammarion, 2019). À ses yeux, la seconde main incarne un « luxury of discovery », où l’élégance ne réside plus dans la marque mais dans la singularité de la trouvaille.

Le paysage parisien s’est adapté à cette évolution : à côté des mastodontes comme Guerrisol ou Kiloshop, émergent des boutiques indépendantes comme Nuovo ou Vintage Désir, misant sur une sélection plus pointue mais à des prix souvent plus élevés. Guerrisol reste l’exception, par ses volumes et ses tarifs imbattables.

Un geste pour la planète… à nuancer

« Faire un geste pour la planète, même en m’habillant, eh bien pourquoi pas ? », s’enthousiasme Giselle, 67 ans, son petit sac en toile à l’épaule. À première vue, Guerrisol semble cocher toutes les cases de la consommation responsable : vêtements recyclés, achats accessibles à tous, réduction du gaspillage textile. Chaque jour, ses boutiques traitent jusqu’à 20 tonnes de vêtements, réinjectant d’énormes volumes dans le circuit de consommation (Slate).

Mais derrière cette vitrine éthique, des interrogations demeurent. La rotation ultra-rapide des stocks, nouveaux arrivages chaque jour, rappelle par bien des aspects les mécanismes de la fast fashion, contre laquelle la fripe prétend pourtant s’opposer. La provenance exacte des vêtements, parfois issus d’importations massives sans traçabilité claire, pose également question. Que deviennent les invendus ? Comment sont recyclées les pièces trop abîmées pour être revendues ?

« Guerrisol repose sur un paradoxe à la française », analyse encore Alice Pfeiffer. « Une consommation à la fois économique et éthique… mais qui, par sa cadence, interroge sur son réel impact environnemental. »

Dans un Paris où le vêtement est à la fois affirmation de soi et marqueur social, Guerrisol incarne ainsi un modèle accessible et libéré des codes… mais qui rappelle que la consommation, même alternative, n’est jamais totalement innocente. Comme le glisse Giselle, après avoir déniché une veste en laine pour 3 euros : « Je reviendrai demain, il y a toujours des nouveautés. » À chacun de savoir jusqu’où pousser sa quête de bonnes affaires.

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