Les autorités helléniques ont amorcé ces dernières années un plan de rehaussement tarifaire des sites archéologiques et musées les plus fréquentés de Grèce, pour lutter, entre autres, contre le surtourisme. Depuis le début de ce mois d’avril 2025, les dernières augmentations sont effectives, et risquent de ne pas être sans conséquences pour les visiteurs les moins aisés.
Depuis le 1er avril, les visiteurs de l’Acropole doivent désormais payer 30 euros pour accéder à l’un des sites les plus emblématiques de Grèce. Ce tarif unique remplace l’ancien système saisonnier (10 € en basse saison, 20 € en haute saison). L’augmentation s’inscrit dans une stratégie engagée depuis 2023 par le ministère grec de la Culture et l’Organisation hellénique pour le développement des ressources culturelles (ODAP) qui touche près de 350 sites à travers le pays. Avec la préservation, la modernisation des structures, la signalétique et la sécurité, un des objectifs principaux est de freiner le surtourisme : la Grèce a accueilli 32 millions de touristes en 2023, soit trois fois sa population. Cet afflux massif impacte la vie des locaux et met en péril l’intégrité physique des sites archéologiques.
La hausse des tarifs, un outil de régulation efficace ?
Augmenter le prix d’entrée d’un site culturel peut, en théorie, contribuer à limiter la fréquentation en instaurant une barrière financière dissuasive. Les visiteurs les plus sensibles au prix peuvent renoncer à une visite devenue trop coûteuse. Mais cette logique montre des limites. À Venise, l’instauration récente d’un droit d’entrée de 5 euros, en vigueur depuis le 25 avril 2024 pour les visiteurs à la journée, vise précisément à contenir les pics d’affluence — qui dépassaient les 80 000 personnes par jour en haute saison. Or, les premiers retours montrent une fréquentation toujours très élevée, et une efficacité limitée sur les flux réels, même si la mesure pourrait porter ses fruits sur le long terme. Aux États-Unis, certains parcs nationaux comme Yosemite ou Arches ont expérimenté des systèmes de réservation obligatoire ou de permis payants, avec des hausses de tarifs jusqu’à 35 dollars par véhicule. Ces dispositifs ont permis d’éviter la saturation à l’intérieur des parcs, mais ont aussi déplacé les flux vers d’autres zones moins préparées à accueillir de tels volumes. C’est l’effet de report : si un site devient trop cher, les flux peuvent se déverser sur des lieux voisins, aggravant les déséquilibres territoriaux. Au Pérou, le site du Machu Picchu a vu son prix d’entrée passer de 47 à 62 dollars ces dernières années, et des horaires stricts de visite sont imposés, avec un quota quotidien de 4 500 visiteurs (contre 5 000 auparavant), pour préserver l’intégrité du site. Là aussi, la fréquentation reste forte ; la seule hausse des prix ne suffit pas à elle seule à maîtriser l’afflux touristique. Les visiteurs les plus fortunés ou les plus motivés ne sont que peu affectés par les augmentations. Les voyagistes intègrent aussi souvent les billets dans des forfaits, neutralisant l’effet de la hausse pour les groupes.
De la protection à l’exclusion
Si la hausse des tarifs peut sembler légitime, elle soulève tout de même une interrogation centrale : au nom de la lutte contre la surfréquentation, la culture doit-elle devenir un produit de luxe ? En particulier pour les publics jeunes, les familles nombreuses ou les voyageurs au budget modeste, la Grèce reste une destination abordable, les coûts des billets d’avion et de la vie sur place n’étant pas, et de loin, parmi les plus chers d’Europe. L’augmentation du prix d’accès au site, même si elle n’est que d’une dizaine d’euros, peut impacter ce public et l’écarter des sites touristiques majeurs. La question éthique se pose : l’universalité de l’accès à un patrimoine essentiel dans l’histoire de nombreuses civilisations est un enjeu culturel majeur.
Des exemptions de droits d’entrée continuent heureusement d’exister. Pour les étudiants de l’Union européenne, les enfants, ou les seniors, des tarifs réduits ou une gratuité totale s’appliquent. Le développement d’offres combinées et de billets dématérialisés à prix réduits sur des plateformes touristiques permet à certains visiteurs de mieux maîtriser leur budget. Des solutions complémentaires – dont certaines sont déjà mises en place à plus ou moins grande échelle – pourraient venir compléter une simple hausse tarifaire. Par exemple l’introduction de jauges plus strictes, la fermeture ponctuelle de certains sites pour soulager la pression, ou encore des pratiques de « démarketing » ciblées visant à rediriger les flux vers des destinations moins saturées.
Parallèlement à la hausse des tarifs standards, une offre touristique premium se développe. L’on peut désormais profiter d’une visite privée de l’Acropole, en dehors des heures d’ouverture – au lever ou au coucher du soleil – pour la modique somme de 5000 €. Ce type de prestation, destiné à une clientèle internationale aisée, interroge sur une possible volonté des autorités grecque de transformer le pays en une destination plus exclusive, en ralentissant la fréquentation des sites sans baisser les recettes.
Le tourisme, pilier de l’économie grecque
Selon l’Autorité statistique hellénique (ELSTAT), les musées et sites archéologiques grecs ont accueilli plus de 18 millions de visiteurs en 2023, soit une hausse de 23 % par rapport à 2022. L’Acropole d’Athènes arrive en tête avec 4,2 millions de visiteurs, suivie par le musée national archéologique et le sanctuaire de Delphes. L’enjeu est donc de taille pour un pays où le tourisme pèse près de 19 % du PIB, selon les données du World Travel & Tourism Council. Entre valorisation et protection, trouver l’équilibre est un art.