Hunger Games, la Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, sorti en salles françaises en novembre, est l’adaptation du roman du même nom de Suzanne Collins. Réalisée par Francis Lawrence, cette préquelle de la célèbre saga Hunger Games se déroule 64 ans avant les épreuves traversées par Katniss Everdeen. Critique.
Dixième édition des Hunger Games après la guerre qui a opposé les districts de Panem au Capitole. Coriolanus Snow, héritier d’une grande famille aristocratique, dissimule sa situation financière catastrophique à ses camarade nantis de l’Académie. Lorsque l’occasion leur est donnée de remporter un prix en mentorant un tribut des Jeux, Snow voit son sort lié à celui d’une excentrique chanteuse bohémienne venue du district 12.
Le moment où tout a basculé : l’avènement de la téléréalité
Loin de la sophistication des arènes 64 ans plus tard, cette version « à l’ancienne » des Hunger Games se rapproche davantage des bons vieux gladiateurs. Les autorités du Capitole acheminent les 24 tributs dans des wagons à bestiaux, les exposent au zoo quelques jours et les balancent dans une arène circulaire quasiment dépourvue de relief – et donc d’endroit où se cacher. Les Jeux durent donc le temps que les plus rapides et les plus forts aient récupéré des armes, exterminé les plus faibles et se soient massacrés entre eux. Habitués à cette violence bestiale, les habitants du Capitole se sont lassés.
La chapeauteuse des Jeux, le Dr Gaul (complètement surjouée dans sa folie scientifique par Viola Davis) incite les jeunes mentors de l’Académie à trouver des solutions pour faire remonter les audiences. Le jeune Coriolanus Snow – qui deviendra l’impitoyable président Snow, principal antagoniste de la tétralogie originelle – a déjà l’âme d’un communicant. Il comprend la nécessiter de donner aux tributs une personnalité et une histoire particulières pour que le public s’y attache. Les créateurs de Loft Story sont familiers du concept : construire pour le public des personnages adorables ou détestable, l’incitant à s’investir émotionnellement et à soutenir son tribut de cœur. Proposition corollaire, l’arrivée de la sponsorisation : chaque membre de l’audience peut faire des dons financiers au tribut de son choix, permettant à son mentor de lui envoyer des cadeaux dans l’arène. Cette idée géniale deviendra un enjeu clef : les sponsors peuvent faire la différence entre la survie et la mort.
Snow allume l’étincelle d’une mise en scène constante, une « téléréalisation » qui imbibera plus tard les Jeux et leur offrira l’engouement de tout le Capitole. Un glissement subtil et passionnant s’opère alors. Les habitants nantis de cette cité privilégiée verront toujours ceux des districts comme des sauvages, mais ils s’y attacheront comme à des animaux domestiques. Les tributs eux-mêmes devront se prêter au jeu des caméras et du storytelling pour augmenter leurs chances de survie. La genèse de ce système, encore plus pervers que le jeu de massacre, est très efficacement dessinée par le film.
La psychologie peine à convaincre
On ne peut malheureusement pas en dire autant du basculement psychologique du personnage principal. Le film tente maladroitement de dépeindre un Snow au passif chargé tenaillé par sa conscience. Les scénaristes tiennent le public d’une main trop ferme et démonstrative. Entre son affection pour Lucy Gray et son ami Sejanus, son amour pour sa famille, son ambition dévorante, son attachement pour le Capitole et sa propension aux trahisons, les traits sont trop gros. Les rebondissements sont prévisibles et les relations entre les personnages artificielles. Faute de subtilité, le processus laisse assez indifférent, malgré la performance honorable de Tom Blyth. Mention spéciale toutefois à Hunter Schafer, l’interprète de Tigris Snow. Elle parvient à insuffler vraisemblance et émotion dans son rapport à son cousin et sa perception de son évolution. Deuxième bon point pour Peter Dinklage, dans le rôle du doyen Highbottom, qui sonne toujours juste.
Rachel Zegler en Lucy Gray Baird ne manque pas de charme et d’énergie. Mais son personnage est faussé par son apparence trop nette – le maquillage est visible, les cheveux trop brillants. Que reste-t-il de la sobriété lugubre et réaliste du district 12 ? Et si Lucy Gray est une chanteuse (particulièrement douée par ailleurs) était-il nécessaire à son portrait, et au film, d’insérer autant de chansons ? La force des morceaux originaux de la tétralogie résidait dans leur utilisation parcimonieuse. On se rappelle avec émotion la petite mélodie sifflée reprise par les geais moqueurs, et la puissance de The Hanging Tree. Ici les chansons sont trop nombreuses, trop léchées, et finalement trop bien chantées. Cette multiplication donne presque au film des allures de Disney, et l’éloigne encore de la complexité et de la force dramatique de la première saga Hunger Games.