Prendre le temps de comprendre

Le romantisme ou le coeur mis à nu

Le XIXe siècle est, définitivement, une période de l’histoire que l’on pourrait qualifier de chargée. Six régimes politiques différents, le Printemps des peuples mais surtout une envolée artistique et culturelle majeure. Et parmi tous ces battements, un s’est montré plus sanguin, plus vigoureux : le romantisme.

En décembre 2024, Arte sort L’Armée des Romantiques, un documentaire entièrement animé à la manière d’un tableau vivant. Il retrace l’arrivée, l’explosion et l’évanouissement du romantisme (entre 1827 et 1874) à travers les Grands que sont Victor Hugo, Alexandre Dumas, Eugène Delacroix ou encore Hector Berlioz (pour ne citer qu’eux). Un bon prétexte pour revenir sur des volontés artistiques devenues historiques.

Place à la nouveauté

Par rapport au mouvement romantique allemand ou britannique, le français est arrivé beaucoup plus tardivement dans l’Hexagone, notamment parce que le pays tenait l’histoire politique et sociale européenne dans ses mains. Il finit tout de même par arriver et s’illustre par la rupture violente, brutale que les artistes souhaitent avec les préceptes classiques de ce début de siècle. L’œuvre théâtrale du jeune Victor Hugo illustre à merveille cette fracture, Hernani, manifeste esthétique, défend une révolution de l’art dramatique s’affranchissant des carcans tragiques classiques en passant les unités de temps et de lieu au second plan et rejetant l’alexandrin, préférant un vers libre. Deux années avant la bataille d’Hernani, un jeune peintre expose son tableau au salon de 1827-1828. Eugène Delacroix se tient, fier, devant La mort de Sardanapale. Sûr de lui, il attend le retour des critiques.

Coup de tonnerre pour Delacroix, la critique s’abat sur lui et ses proches ne le défendent presque pas. Face à lui, L’Apothéose d’Homère, de son désormais rival Jean-Auguste-Dominique Ingres, récolte tous les éloges. Le dessin et l’effacement de l’artiste derrière son œuvre contre la couleur et l’expression de la touche individuelle de l’homme. Sans le savoir, Delacroix vient de marquer l’art, de créer un précédent, de formuler un acte de naissance, le romantisme pictural est né. Au milieu, sur un grand lit, Sardanapale, roi légendaire de Ninive en Assyrie. Vêtu de son bel habit blanc, il est affalé sur sa couche rouge pendant que le chaos règne autour. À ses pieds, une femme, à moitié nue, complètement morte ; un peu plus loin un serpent vert rampe sur la couverture. Autour la garde du roi massacre sans autre forme de procès femmes et animaux. Le tout est peint dans des couleurs chaudes, rouge, jaune, orange ; le spectateur prend une vague de chaleur pendant que les corps refroidissent. Voilà comment naît le romantisme, dans le sang, l’action et le soleil ardent des plaines assyriennes.

Retour en 1830. Hector Berlioz assiste à la représentation de Roméo et Juliette et s’éprend de l’actrice irlandaise Harriet Smithson. Il envoie des lettres mais ne reçoit aucune réponse. C’est alors qu’il se met à composer, il met son cœur dans chacune des notes qui sortent et finit par mettre en musique la Symphonie fantastique. Il révolutionne le genre par le biais de la symphonie à programme, c’est-à-dire une symphonie qui annonce en quelque sorte sa narration par des titres évocateurs : Rêveries – Passions, Un bal, Scène aux champs, Marche au supplice et Songe d’une nuit de Sabbat pour l’oeuvre de Berlioz. Chaque mouvement figure un paysage, peint une pleine, un soleil, un nuage dans l’imaginaire de l’auditeur. 

Art et politique 

La particularité de cette passion, c’est qu’elle est très ancrée dans son temps, dans l’histoire sociale et politique du XIXe siècle. Le mouvement naît pendant la Restauration de Charles X et s’exprime, dans toute sa puissance, à l’avènement de la monarchie de Juillet (1830) et à la résurrection de la République (1848). Notamment parce que Victor Hugo siège au gouvernement de Louis-Philippe Ier (1830-1848) et manifeste ses préférences politiques dans certains de ses écrits avant de passer républicain à partir de 1848. Évidemment Hugo ressort tout particulièrement pour ce qui est de la politique. Il est un enragé qui n’hésite pas à exprimer sa pensée politique dans ses textes. Claude Gueux contre la peine de mort, le Discours contre la misère et bien sûr sa croisade contre Napoléon III dans son pamphlet Napoléon le Petit et son recueil de poèmes Les Châtiments. D’un autre côté, il y a Alphonse de Lamartine, célèbre poète de son temps, qui proclame la IIe République en février 1848 et qui instaure le suffrage universel (masculin uniquement certes) et abolit l’esclavage. 

Enfin, comment ne pas parler de la politique en art sans mentionner La Liberté guidant le peuple de Delacroix. L’allégorie de la Liberté brandissant le tricolore en plein milieu de la toile, entourée de combattants de toutes les classes, un bourgeois à gauche habillé de son costume noir et coiffé d’un haut-de-forme tenant un fusil, un jeune garçon coiffé d’un béret et portant une giberne (sacoche) ramassée sur un soldat et équipé de deux pistolets. Au sol, des cadavres de soldats et de révolutionnaires devant les débris d’une barricade. Au fond à droite, Notre-Dame de Paris derrière des volutes de fumée blanche et sur toute la partie gauche du tableau figure les contestataires, sabres au vent, en l’air dans une liesse générale. Réalisé pour célébrer les Trois Glorieuses de 1830 qui ont porté Louis-Philippe sur le trône de France. Eugène Delacroix reçoit pour travail remarquable une décoration et son tableau est acheté par l’État. 

Le romantisme poursuit son chemin pendant quelques années encore. D’autres  grands noms s’illustrent, à l’image de Sand, Baudelaire, Balzac, Nervale, Gautier ou Manet, mais le mouvement déliquescent dans les années 1870 s’évanouit dans le paysage artistique. Il aura été l’exacerbation des passions humaines dans un siècle où la société est devenue politique, où les déchirements se sont faits de plus en plus violents, où l’espoir d’un monde meilleur a embrasé les cœurs et les bâtisses, où, comme le dit Musset dans Les confessions d’un enfant du siècle, « s’assit sur un monde en ruine une jeunesse soucieuse ».