Lutte contre l’infertilité : comment s’en sort la France ? 

Dans un pays où l’infertilité touche désormais un couple sur quatre et où l’indice de fécondité a chuté à 1,62 enfant par femme en 2024, les pouvoirs publics intensifient leur riposte face à cette urgence de santé publique. Malgré l’annonce d’un « grand plan de lutte contre l’infertilité » par Emmanuel Macron en janvier 2024, les mesures concrètes tardent à se matérialiser…

Le 25 juin 2025, à l’hôpital Foch de Suresnes, l’émotion était palpable lors de l’annonce de la quatrième greffe d’utérus réalisée avec succès en France. Cette prouesse médicale, fruit d’une intervention de 18 heures menée le 14 juin par l’équipe du professeur Jean-Marc Ayoubi, illustre une réalité souvent méconnue : derrière chaque avancée technique se cache le parcours douloureux de femmes confrontées à l’infertilité. Dans un contexte où 3,3 millions de personnes sont touchées par ce fléau en France et où l’indice de fécondité atteint son plus bas niveau historique à 1,62 enfant par femme, cette intervention rappelle que l’infertilité n’est pas seulement un problème médical, mais une épreuve profondément humaine qui questionne l’identité féminine dans une société où la maternité reste un pilier de la construction sociale. 

Un nouvel espoir 

La patiente de 27 ans était atteinte du syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH), une malformation congénitale où les filles naissent sans utérus mais avec des ovaires qui fonctionnent normalement. Cette condition, qui touche 1 fille sur 4 500 naissances, condamne ces femmes à une infertilité absolue malgré un développement pubertaire normal. La donneuse n’était autre que la mère de la patiente, illustrant la dimension profondément humaine de cette technique révolutionnaire.

« Je l’aime et je suis infiniment reconnaissante, il n’y a pas de mots pour exprimer ce qu’elle a fait, c’est juste magique », a confié la jeune femme greffée. Cette greffe d’utérus, intervention chirurgicale complexe où l’on transplante un utérus d’une donneuse vers une femme née sans utérus, reste expérimentale avec moins de 100 interventions réalisées dans le monde. Le protocole français autorise dix greffes avec donneuses vivantes apparentées, et les trois premières ont déjà permis la naissance de trois enfants en parfaite santé.

Quand le corps refuse de donner la vie 

L’infertilité, définie comme l’incapacité d’obtenir une grossesse après douze mois de rapports non protégés, touche actuellement un couple sur quatre en France. Cette progression constante s’inscrit dans un contexte démographique préoccupant : 663 000 naissances en 2024, soit une chute de 21,5% par rapport à 2010.

Face à cette réalité, la procréation médicalement assistée (PMA), soit l’ensemble des techniques médicales pour aider les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant naturellement, connaît un développement considérable. En 2020, 123 174 tentatives ont été recensées, aboutissant à 20 223 naissances. La fécondation in vitro (FIV), technique où l’ovule et le spermatozoïde se rencontrent dans un laboratoire puis l’embryon formé est replacé dans l’utérus, représente 67% des tentatives. L’insémination artificielle (IA), méthode qui consiste à déposer directement les spermatozoïdes dans l’utérus pour faciliter la fécondation, constitue la technique la plus simple de PMA. Lorsque les spermatozoïdes présentent des difficultés particulières, les équipes médicales recourent à l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde), technique où un seul spermatozoïde est injecté directement dans l’ovule.

Une stérilité traumatisante  

L’annonce de l’infertilité constitue un traumatisme comparable au deuil, provoquant une « sidération psychique » chez les couples concernés. Les femmes se trouvent particulièrement vulnérables : 40% développent des troubles anxieux ou dépressifs, avec des niveaux équivalents à ceux de patientes souffrant de maladies chroniques graves comme les cancers. « À ce moment-là, j’ai dû faire un deuil, je me suis dit que je n’aurais jamais d’enfant », témoigne Océane, bénéficiaire de la troisième greffe d’utérus. Ce vécu illustre une réalité statistique : les femmes rapportent être plus intensément affectées que leur conjoint et ressentent un sentiment d’injustice face à leur incapacité à concevoir. L’isolement social touche 52% des femmes contre 35% des hommes, révélant une inégalité profonde dans l’expérience de l’infertilité.

L’endométriose, maladie où des tissus semblables à ceux de l’utérus se développent ailleurs dans le corps causant douleurs et parfois infertilité, touche 1 femme sur 10 et illustre cette dimension genrée de la souffrance. « Le moral en prend un coup quand tous les mois les règles arrivent », confie une patiente suivie en PMA, résumant l’épreuve mensuelle de l’échec.

Pas toutes égales face au désir d’être maman 

L’accès à la PMA révèle des disparités territoriales importantes qui pénalisent certaines femmes selon leur lieu de résidence. Alors que seules 4,7% des franciliennes habitent à plus de 30 minutes d’un centre de PMA, 54% des femmes en Picardie se trouvent dans cette situation. Ces inégalités géographiques s’accompagnent de délais d’attente variables : 8 mois en Île-de-France contre 22 mois en Corse.

Depuis l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires en septembre 2021, la demande a explosé sans que l’offre suive. 7 600 femmes étaient en attente d’une PMA avec don de spermatozoïdes fin 2023, pour seulement 676 donneurs candidats. Cette pénurie illustre les défis structurels d’un système qui peine à répondre aux besoins croissants. La loi de bioéthique de 2021 a également mis fin à l’anonymat des donneurs de gamètes, permettant aux enfants nés d’un don d’accéder à l’identité de leur donneur à leur majorité. Cette levée de l’anonymat constitue un facteur aggravant de la pénurie, certains donneurs potentiels étant dissuadés par cette perspective de contact futur. Face à l’incapacité de retrouver et contacter les anciens donneurs ayant donné sous le régime de l’anonymat, les autorités ont procédé en mars 2025 à la destruction massive de plus de 70 000 paillettes de spermatozoïdes issues de stocks constitués avant septembre 2022, ne conservant que celles provenant de donneurs ayant consenti à lever leur anonymat.

La gestation pour autrui (GPA) demeure strictement interdite en France, contraignant certains couples à se tourner vers l’étranger. Cette interdiction, maintenue au nom de la dignité humaine et de l’indisponibilité du corps, crée des situations juridiques complexes pour les enfants nés à l’étranger. En novembre 2024, la Cour de cassation a facilité la reconnaissance de la filiation pour ces enfants, illustrant l’évolution pragmatique de la jurisprudence française face à une réalité humaine.

Réarmement démographique: vraiment ?

L’annonce par Emmanuel Macron d’un « réarmement démographique » en janvier 2024, comprenant un plan fertilité et un congé de naissance mieux rémunéré, interroge sur les enjeux politiques de la natalité. Un an après ces déclarations, « il ne s’est rien passé », déplore Julien Damon, spécialiste des politiques familiales. L’écart entre le taux de fécondité (1,8) et le taux de désir d’enfant (2,3) souligne pourtant l’ampleur des obstacles que rencontrent les couples.

La quatrième greffe d’utérus réussie à l’hôpital Foch témoigne de la détermination des équipes médicales françaises à offrir des solutions aux femmes confrontées à l’infertilité utérine. Si cette technique devenait un traitement standard, elle pourrait bénéficier à 150 000 patientes en Europe, selon le professeur Ayoubi.. Cette avancée médicale rappelle que derrière les débats démographiques se cachent des destins individuels, des rêves de maternité et des parcours de vie marqués par la résilience face à l’épreuve de l’infertilité.

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