Macron ou l’irrésistible besoin de faire de l’Europe une puissance quadrilatérale

Cette vision d’un sommet quadrilatéral – États-Unis, Russie, Ukraine, Europe – n’est pas un caprice diplomatique mais l’aboutissement d’une stratégie mûrement réfléchie. Comme l’avait déjà théorisé le général de Gaulle avec son concept d’« Europe de l’Atlantique à l’Oural », Macron rêve d’une Europe qui pèse dans les grands équilibres mondiaux, mais cette fois en tant qu’acteur autonome, non plus simple appendice de Washington.

« J’aime Emmanuel Macron depuis toujours, il est un ami depuis le premier jour. » Ces mots de Donald Trump, prononcés hier devant la presse internationale à Washington, résonnent comme un curieux hommage à celui qui ambitionne de faire de l’Europe le quatrième pilier du nouvel ordre géopolitique mondial. Mais derrière cette déclaration d’amour washingtonienne se cache une ambition autrement plus vaste, un dessein géopolitique que le président français poursuit avec l’obstination d’un Sisyphe des temps modernes : faire de l’Europe cette puissance quadrilatérale qu’elle n’a jamais réussi à devenir.

Dans cette valse diplomatique entamée hier dans la capitale américaine, le président français a déployé tout son art de la « psychogéopolitique », cette capacité à séduire tout en résistant qui caractérise son rapport à Trump depuis 2017. « L’idée d’une réunion trilatérale est très importante parce que c’est le seul moyen de régler [le problème]. Je pense que dans la foulée, nous aurons besoin d’une réunion quadrilatérale, parce que lorsqu’on parle de garanties de sécurité (pour l’Ukraine), nous parlons de la sécurité de tout le continent européen », a-t-il déclaré avec cette précision chirurgicale qui le caractérise.

La méthode Macron

Cette ambition européenne puise ses racines dans un modèle bien précis : celui de Barack Obama, dont Macron s’inspire depuis ses débuts. « Emmanuel Macron, c’est le french Obama », avait déclaré Laurence Haïm, l’une de ses proches conseillères. Plus qu’une simple imitation stylistique, c’est toute une philosophie du pouvoir qui transparaît : celle d’un leader jeune, charismatique, capable de transcender les clivages traditionnels pour porter une vision transformatrice. Comme Obama en son temps avait su incarner le « Yes we can » américain, Macron entend faire de l’Europe le « Yes we can » du XXIe siècle face aux défis géostratégiques. Cette filiation assumée avec le 44e président américain n’est pas anodine : elle révèle une conception de la politique comme art de la persuasion et du rassemblement autour d’une idée-force.

Face à cette ambition européenne, Vladimir Poutine demeure l’obstacle majeur. « Un prédateur, un ogre à nos portes », selon les mots sans détour prononcés par Macron dans son interview à TF1-LCI. « Un pays qui investit 40% de son budget dans de tels équipements, qui a mobilisé une armée de plus d’1,3 million d’hommes, ne reviendra pas à un état de pays et un système démocratique ouvert du jour au lendemain », a-t-il poursuivi, soulignant l’urgence d’une riposte européenne coordonnée Cette caractérisation brutale n’est pas qu’une envolée rhétorique : elle traduit une lecture géopolitique où la Russie incarnerait tout ce contre quoi l’Europe doit se construire. « Est-ce que je pense que le président Poutine veut la paix ? Non », avait-il déjà affirmé avant son départ pour Washington. Cette conviction irrigue toute sa stratégie : face à un Poutine perçu comme un déstabilisateur systémique, seule une Europe forte et unie peut garantir la sécurité du continent. D’où cette insistance sur les « garanties de sécurité » dont l’Ukraine devra bénéficier et qui, selon Macron, ne peuvent être crédibles que si elles émanent d’une Europe enfin devenue adulte géopolitiquement. Volodymyr Zelensky, de son côté, semble avoir compris l’intérêt de cette stratégie macronienne. « Nous avons eu une discussion très fructueuse » avec Trump, « nous savons que les États-Unis envoient un message clair, et c’est très important pour nous », a-t-il déclaré. Mais le président ukrainien n’ignore pas que son salut passe aussi par une Europe forte : « De nombreux pays sont du côté de l’Ukraine, de notre peuple, et nous voulons tous mettre fin à cette guerre ». Cette convergence d’intérêts entre Kiev et l’Europe macronienne n’est pas fortuite. L’ex « serviteur du peuple » a besoin de garanties de sécurité durables, Macron veut faire de l’Europe un acteur géopolitique incontournable : les deux logiques se rejoignent dans cette vision quadrilatérale où l’Europe ne serait plus seulement un marché ou un espace de libre circulation, mais une puissance militaire et diplomatique.

Paradoxalement, c’est Donald Trump qui pourrait permettre à Macron de réaliser son rêve européen. En poussant les Européens à assumer davantage leur défense, en menaçant de réduire l’engagement américain en Europe, le président américain contraint de facto l’Europe à grandir. « Nous sommes des alliés loyaux et fidèles », avait répondu Macron aux critiques trumpiennes sur l’OTAN, tout en ajoutant : « Nous avons toujours été là l’un pour l’autre. » Cette dialectique de la coopération et de l’émancipation structure toute la relation Macron-Trump. Le président français joue habilement de cette tension pour faire avancer son agenda européen, utilisant les pressions américaines comme un levier pour convaincre ses partenaires européens de franchir le pas vers plus d’autonomie.

Le syndrome de Rastignac géopolitique

Cette manie de la médiation n’est pas née avec Emmanuel Macron. Elle s’enracine dans l’ADN même de la Ve République gaullienne. Charles de Gaulle avait déjà cette prétention de faire de la France l’arbitre des conflits mondiaux, cette « certaine idée de la France » qui se devait d’être présente partout où l’Histoire se joue. Souvenons-nous : en 1966, le Général quittait le commandement intégré de l’OTAN, non par anti-américanisme primaire, mais pour préserver cette fameuse « liberté de manœuvre » diplomatique. Il voulait que Paris puisse parler à Moscou sans en référer à Washington, dialoguer avec Pékin malgré l’opposition américaine. François Mitterrand, malgré ses origines politiques antagonistes, n’échappa pas à cette tentation. Pendant la « nouvelle guerre froide » des années 1980, il multiplie les initiatives pour maintenir un « équilibre » entre les deux superpuissances. Son discours au Bundestag en 1983, défendant les euromissiles contre l’URSS tout en préservant le dialogue avec Moscou, illustre cette recherche permanente du juste milieu, cette diplomatie de l’entre-deux qui fait de la France l’indispensable recours. Emmanuel Macron s’inscrit dans cette lignée avec une différence majeure : là où ses prédécesseurs s’appuyaient sur la puissance militaire française (force de frappe nucléaire) ou sur un contexte géopolitique favorable, lui ne dispose que de son charme personnel et de quelques beaux discours. D’où ce besoin maladif de s’inviter à toutes les tables de négociation.

Dans son interview matinale à TF1-LCI, Macron a révélé toute l’étendue de ses ambitions. Évoquant Vladimir Poutine comme « un prédateur, un ogre à nos portes », il n’en réclame pas moins sa place dans les futures négociations. Cette ambivalence, dénoncer la Russie tout en voulant dialoguer avec elle, illustre parfaitement ce syndrome de Rastignac géopolitique dont souffre notre président. Car enfin, de quel poids pèse réellement la France dans ce conflit ? Nos livraisons d’armes à l’Ukraine sont symboliques comparées à celles des États-Unis. Notre influence sur Poutine est inexistante, souvenons-nous des appels téléphoniques infructueux de Macron au Kremlin dans les semaines précédant l’invasion. Quant à notre capacité de nuisance, elle se limite à quelques déclarations martiales sur les « lignes rouges » que nous ne cessons de repousser. Pourtant, Emmanuel Macron persiste et signe. Il veut être présent à Genève, car c’est là qu’il souhaite voir se dérouler la rencontre Poutine-Zelensky, comme de Gaulle voulait être présent à Yalta en 1945. Même combat, même illusion : croire que la France peut encore peser dans le grand jeu des puissances par la seule force de sa tradition diplomatique.

Ce qui s’est joué hier à la Maison Blanche relève du grand art diplomatique. Macron a réussi ce tour de force : convaincre Trump de l’associer aux discussions sur l’Ukraine alors même que la France n’est qu’un acteur secondaire du conflit. « L’idée d’une réunion trilatérale est très importante parce que c’est le seul moyen de régler le problème. Je pense que dans la foulée, nous aurons besoin d’une réunion quadrilatérale », a-t-il déclaré avec cette assurance qui force l’admiration. L’habileté macronienne consiste à transformer une faiblesse (l’absence de la France dans les négociations Trump-Poutine) en prétendue nécessité géopolitique. « Lorsqu’on parle de garanties de sécurité pour l’Ukraine, nous parlons de la sécurité de tout le continent européen », martèle-t-il. Malin : en se présentant comme le porte-parole de l’Europe, il légitime sa présence à une table où, stricto sensu, il n’a rien à faire. Cette stratégie rappelle les plus belles heures de la diplomatie gaullienne. En 1967, pendant la guerre des Six Jours, de Gaulle avait tenté, en vain, d’organiser une conférence à quatre (États-Unis, URSS, France, Grande-Bretagne) pour régler le conflit israélo-arabe. Même logique, même prétention : la France se veut l’équilibriste indispensable dans un monde bipolaire.

L’Europe, prétexte d’une ambition personnelle

Le plus troublant dans cette affaire, c’est la façon dont Macron instrumentalise l’Europe pour légitimer ses ambitions personnelles. Hier à Washington, il n’était pas seul : Keir Starmer, Ursula Von Der Leyen, Friedrich Merz et d’autres dirigeants européens l’accompagnaient. Mais c’est bien lui qui a pris la parole pour réclamer cette fameuse « quadrilatérale », s’érigeant spontanément en porte-parole d’une Europe qui ne lui a rien demandé. Cette appropriation de la légitimité européenne par la France n’est pas nouvelle. De Gaulle déjà prétendait parler au nom de l’Europe quand il convenait à ses intérêts, tout en sabordant la construction européenne quand elle ne correspondait pas à ses vues (rappelons-nous la « politique de la chaise vide » en 1965). Mitterrand, plus subtil, avait réussi à faire de la France le pivot de l’Europe en construction, particulièrement dans ses relations avec l’Allemagne réunifiée.

Macron, lui, n’a plus cette marge de manœuvre. L’Europe d’aujourd’hui est moins française, plus diverse, plus rétive aux prétentions hexagonales. D’où cette fuite en avant dans la surenchère médiatrice : puisque Paris ne peut plus imposer sa voix en Europe, autant essayer de l’imposer au monde entier.

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