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Paris Impressionniste : reproduction du Salon des Refusés

Avant tout, une petite remise en contexte s’impose. A cette époque, le souvenir de la guerre franco-prussienne et de la défaite du Second Empire est encore vif dans les esprits. Paris est alors en pleine reconstruction et on poursuit les transformations de la capitale commencées par le baron Haussmann en perçant de nouveaux boulevards, en édifiant des gares ou en installant de nouveaux espaces verts. L’opéra Garnier est l’une de ces nouvelles constructions au sein d’un quartier totalement remodelé avec de nouvelles avenues plus larges et des boulevards. Au milieu de cette atmosphère, un groupe d’artistes de tous bords (peintre, sculpteur, etc) se forme autour de nouvelles propositions esthétiques dans la Société anonyme des peintres, sculpteurs, graveurs,etc. Parmi eux se trouvent Claude Monet, Auguste Renoir ou encore Edgar Degas, pour ne citer que les plus connus aujourd’hui. La guerre étant terminée, ils peuvent enfin commencer à élaborer leur projet de salon (projet existant depuis 1860) en se choisissant d’abord des locaux. C’est l’ancien atelier du photographe Nadar, 35 boulevard des Capucines, qui est choisi par Degas. Ils commencent alors à réunir des mécènes intéressés par le projet comme le marchand d’art Paul Durand-Ruel. Ils mettront 3 ans pour créer le projet que l’on connaît maintenant sous le nom du Salon des Refusés, qui ouvre ses portes le 15 avril 1874. Il attire, à l’époque, près de 3500 visiteurs. C’est au total un peu plus de 200 œuvres que le Salon expose à la vue du public avec une trentaine d’artistes différents, de tous milieux et de tous âges avec un point commun : la volonté d’exposer librement, sans l’intervention de juges ou de marchands, et de vendre leur travail.

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Reproduction presque à l’identique

Le musée d’Orsay et les commissaires de l’exposition ont décidé de reproduire l’exposition de 1874 à travers les œuvres accrochées aux murs mais aussi avec la couleur des murs, choisie pour coller au maximum à celle de 1874. C’est pourquoi nous entrons dans une première salle aux murs rouge-brun comme au 35 boulevard des Capucines. Cette dernière a été, à l’origine, agencée par Auguste Renoir qui fait la part belle à ses œuvres. Ainsi il en est donc à Orsay avec sur les murs avec 3 tableaux de Renoir, 1 de Monet et 1 de Degas. On y voit donc La Danseuse, La Parisienne et La Loge de Renoir, placés de manière à ce que ce soit les premières choses que l’on remarque. On observe déjà les prémices de ce que sera l’impressionnisme plus tard avec les touches légères et rapides donnant un espèce de flou au tableau faisant disparaître certains détails mais laissant apparaître une texture particulière, notamment sur la robe bleue de La Parisienne. Cette salle met déjà en avant des sujets similaires, à savoir la proximité avec la réalité plutôt que le religieux ou les scènes d’histoire. Le Boulevard des Capucines de Monet l’illustre bien, il peint, depuis la fenêtre de l’atelier, la vie à l’extérieur, les passants et les voitures toujours avec cette touche légère, comme si nous regardions par la fenêtre ce qui se passe dehors.

Mais l’exposition ne se limite pas qu’à cela, comme mentionné plus tôt il y a des artistes de tous âges présents en 1874, on observe alors une grande variété de styles et de sujets. Par exemple, on peut mentionner le Clair de lune sur les bords de l’Oise, à l’Isle-Adam de Pierre Bureau, qui représente un paysage nocturne et les effets de lumières qui s’accompagnent dans le ton jaunâtre de satellite caché en partie par les nuages. La lumière a un rôle essentiel dans l’impressionnisme puisqu’elle est l’élément avec lequel les peintres vont jouer pour montrer le temps qui passe et ses effets sur l’environnement, la série des Cathédrales de Rouen de Monet qui l’illustre le mieux avec 30 représentations de l’édifice à différents moments de la journée. Gustave Henri Colin s’est lui aussi essayé au paysage avec Le Castillo et le goulet de pasagès, Marée haute qui met en avant un sublime paysage de campagne et surtout le reflet de ce dernier dans l’eau qui est ici un miroir presque parfait de la réalité. C’est celui-ci d’ailleurs qui attire immédiatement l’œil plutôt que la falaise à côté. La femme est aussi mise à l’honneur puisque la peintre Berthe Morisot est aussi exposée, bien qu’ele ne soit que l’une des deux seules femmes présentes. Elle souhaite mettre en avant ses qualités de portraitistes avec le portrait de sa sœur, fait à l’aide de pastel. Les touches de bleus sont astucieusement réparties pour permettre au spectateur de parcourir tout le tableau et de croiser par ailleurs, le regard franc et la silhouette sombre de la femme enceinte. Les commissaires de l’exposition ont aussi décidé de mettre à l’honneur des sculpteurs et des graveurs pour proposer une exposition aussi éclectique qu’à l’époque. Ainsi de nombreuses gravures que Félix Bracquemond sont présentées à côté de l’édition originale du catalogue du Salon des Refusés. 

Opposition au Salon de 1874 

La Société anonyme n’a pas choisi cette date du 15 avril au hasard. Deux semaines après débute le Salon de 1874, le 1er mai, dans le Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts à vingt minutes à pied du boulevard des Capucines. 2000 peintures y sont accrochées, oscillant entre scènes de genre, sujets religieux, historiques ou mythologiques. Tous les ans cette exposition attire beaucoup de monde, les artistes y jouent bien souvent leur carrière et espèrent une reconnaissance internationale. Ici les œuvres impressionnistes sont systématiquement refusées depuis les années 1860, bien que certains grands noms, que l’on rapproche à tort du mouvement, parviennent à y accéder comme Edouard Manet. Ici la présentation est différente, les murs sont d’un rouge éclatant et les tableaux sont presque collés les uns aux autres, le spectateur n’a pas vraiment l’occasion de respirer. Emile Zola aura ces mots pour décrire le Salon : “Des tableaux, toujours des tableaux, des salles longues comme de Paris en Amérique”, des mots qui montrent bien la lassitude de l’auteur qui ne trouve pas une œuvre majeure qui fait l’unanimité. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, les impressionnistes et les autres avant-gardistes de l’époque ne sont pas tous farouchement opposés au Salon. Manet par exemple, que l’on associe à tort aux impressionnistes, pense le Salon comme le seul champ de bataille valable ou l’artiste peut se faire connaître du grand public et surtout des acheteurs. Il y expose d’ailleurs, en 1874, Le Chemin de fer. D’autres, rejetés de Salon, ne rejoignent pas pour autant les impressionnistes comme Eva Gonzalès, certains préfèrent même multiplier leurs chances de visibilités et exposent aussi bien chez les Refusés qu’au Salon.C’est eux qui sont donc choisis dans la section suivante, montrant ainsi que la frontière entre tradition et avant-garde reste poreuse à ce moment de l’histoire. Stanislas Lépine avec Le Canal de Saint-Denis et ses paysages à la frontière entre académisme et impressionnisme, Ludovic Napoléon Lepic avec un triptyque sur le Déluge au Salon et des portraits de chien boulevard des Capucines ou encore, comme dit plus haut, Manet et son Bal de l’Opéra pour forcer les portes du Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts. Un autre sujet est abordé dans cette exposition, c’est celui de la modernité comme sujet de beau, les impressionnistes en font thème central de leur peinture avec la haute société qui se dessine dans les centres urbains français. Entre luxe et divertissements, sphères domestiques et rues rénovées, les artistes se jettent sur ces nouvelles muses alors que le Salon aborde ces thèmes d’une manière moralisatrice ou anecdotique comme le montre le diptyque Splendeur et Misère d’Ernest Duez représentant une prostituée dans tout son faste tapageur que le temps vient détruire.

L’école du Plein Air

Peindre la haute société c’est bien mais si l’on doit choisir le sujet qui a fait connaître le mouvement aux yeux du grand public c’est celui des paysages. C’est avec cela que les artistes vont se démarquer, notamment grâce à de savants jeux de lumière et cette idée de l’impression, du ressenti que tente de reproduire le peintre sur sa toile. C’est avec Les Champs du mois de juin que s’ouvre l’avant-dernière section de l’exposition. Charles François Daubigny nous donne un aperçu d’un paysage aux environs de Valmondois dans l’Oise. Au premier plan, des coquelicots d’un rouge éclatant pour attirer l’œil du spectateur. En passant devant le tableau nous donne l’impression de marcher sur le chemin où s’est installé l’artiste, on observe l’effort des paysans passés au second plan, ce qui rend la chose très vivante, on aurait presque envie de marcher parmi les fleurs, éclairé par les rayons du soleil naissant en fond. Daubigny est un des précurseurs du mouvement impressionniste, il lui manifeste un intérêt dès 1870 alors que celui-là n’en est qu’à ses balbutiements. Il n’est pas le seul exposé ici, on retrouve Antoine Guillemet et son impression de Bercy en décembre, un tableau froid, presque vide d’humains avec une petite éclaircie parmi les nuages pour montrer les débuts de l’hiver. Pour rester dans cette période de l’année Camille Pissarro décide de nous montrer la Gelée blanche qui durcit la terre qu’elle recouvre tout comme les petites touches de bleu sur le tableau histoire de nous plonger dans l’atmosphère algide, en contraste avec le printemps de Daubigny. Pour fermer cette section, on part au Havre, plus précisément dans le port de la ville pour la pièce maîtresse de l’exposition, Impression, soleil levant de Claude Monet. Le sujet n’est nul autre qu’un des bassins du port, capturé en pleine matinée alors que l’astre solaire darde l’eau de ses rayons orangés. On y voit la modernité de l’époque avec toutes ces grues en fond, les cheminées des usines qui crachent leur fumée. L’artiste nous a ouvert sa fenêtre pour nous permettre d’admirer ce paysage, qu’il a préféré d’ailleurs aux panoramas pittoresques et campagnards. Au milieu, une silhouette à peine reconnaissable de bâteau recouvert par le brouillard matinale. “Cela ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondis : “Mettez Impression”” dit l’auteur à propos de son œuvre. Le mouvement prend alors le nom officieux de”l’impressionnisme”, il faudra attendre quelques années avant que les artistes se revendiquent de ce mouvement. 

1877 : Officialisation

Trois années seront nécessaires pour que le nom des impressionnistes commence à résonner aux oreilles du monde de l’art. Deux autres expositions auront lieu en 1876 et en 1877, moins intéressantes certes mais elles serviront à ce que l’exposition prenne officiellement le nom officieux susurré jusqu’à présent. Un journal sera publié sous ce nom et 245 nouvelles peintures de 18 artistes dont 2 femmes seront accrochées aux murs du 6 rue Peletier. Par sa qualité, l’exposition de 1877 reste la plus impressionniste, elle prend la forme d’un manifeste artistique et sert d’acte de naissance. Monet et Renoir sont les artistes phares qui ouvrent cette dernière section d’Orsay avec, comme dernier tableau, Le Bal du moulin de la Galette, peinture reprenant le format d’un tableau d’histoire pour retranscrire un bal populaire de la butte Montmartre où les bourgeois se mêlent aux ouvriers et aux  marchands. Vivant, coloré et intense, cette œuvre est décrite par Zola comme le “morceau capital” de cette exposition de 1877. Après elle, cinq autres exhibitions ont lieu jusqu’en 1886 mais aucune ne parviendra à égaler la ferveur de cette année 1877. Les artistes, individualistes et profondément réticents à l’idée d’une théorisation de leur art ne cessent pourtant pas d’inventer, dans les années qui suivent, de nouvelles manières de voir et peindre le monde, lançant par ailleurs tout un mouvement d’avant-garde qui s’étendra jusque dans les Années Folles avec de toutes nouvelles compositions pour se séparer définitivement de l’académisme artistique.

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