Depuis le 14 octobre le musée d’Orsay expose un parcours consacré à l’impressionniste Gustave Caillebotte. Le rez-de-chaussée de l’ancienne gare montre une collection d’une centaine de peintures avec pour sujet l’homme et son occupation des espaces publiques, sa pratique des loisirs et son intimité.
L’homme dans son intimité, appartements et famille
Gustave Caillebotte s’est très tôt questionné sur son statut, celui de sa famille. Il vient de la bourgeoisie aisée, très aisée, son père Martial est un riche commerçant de tissus qui finit par obtenir un poste de juge au Tribunal de Commerce. Gustave se met donc à peindre sa vie de famille. C’est la cas notamment avec Déjeuner (1876). L’originalité de ce tableau c’est que le spectateur se retrouve à observer à travers les yeux du peintre assis à table le repas. En face on voit Céleste Caillebotte, sa mère et à sa droite un des frères de l’artiste. On distingue à peine les yeux des personnages, ils se regardent à peine, laissant soupçonner une certaine retenue. La pièce n’est éclairée que par la lumière du jour passant par la baie vitrée en fond. Cet éclairage vient se refléter sur une table cirée et très réfléchissante ainsi que sur des couverts et des assiettes finement ouvragés, indiquant un niveau de vie assez élevé. Le maître d’hôtel servant les plats vient un peu plus renforcer ce côté bourgeois.
Ce statut social particulier ressort encore dans le tableau d’à côté, celui d’un Jeune homme face à sa fenêtre. Gustave peint encore un de ses frères alors qu’il regarde une rue parisienne depuis sa fenêtre. Cette position vient tout de suite installer une certaine rupture entre l’extérieur et l’intérieur, une rupture sociale et donc environnementale. Le personnage en premier plan est dos au peintre, nous n’observons que sa silhouette à cause du contre-jour, sa pose, (droite, jambes écartées, les mains dans les poches) montre une certaine assurance ce qui vient ajouter quelque chose à la question sociale sous-entendue dans ce tableau. Cette figure peut d’ailleurs servir à Gustave d’alter ego tandis que le spectateur y trouve plutôt un sujet d’identification.
Le lien entre Caillebotte et la classe laborieuse
Parmi les œuvres majeures de G. Caillebotte on trouve bien sûr les Raboteurs de parquets (1875). Ce chef d’œuvre nous met en face de raboteurs de parquets en pleine action alors qu’ils s’occupent du parquet de l’atelier du peintre. Pour faire ressortir un peu plus la difficulté de la tâche, ils sont peints à demi-nus. La lumière du jour se reflète sur le vernis du parquet ce qui permet de faire ressortir la progression des raboteurs alors qu’il leur reste encore beaucoup de travail. En se faisant le peintre des laborieux il nous donne du grain à moudre, le spectateur est alors libre de prêter des intentions politiques à Caillebotte, à savoir une volonté de mettre sur un pied d’égalité le bourgeois et le travailleur.
Un autre tableau intéressant de cette section serait celui intitulé Peintre en bâtiment (1877). On y voit un peintre en bâtiment et son équipe en train de peindre la façade de l’hôtel parisien des Caillebotte, la scène est observée directement depuis la rue. Le tableau, blanc-gris dans son ensemble (du ciel aux pavés de la route) permet aux couleurs de la façade de tout de suite attirer le regard du spectateur. Ce travail prend ici un sens assez spécial, il unifie le peintre artisan et le peintre artiste, l’utile et l’esthétique pour aller questionner directement le statut de l’artiste, Caillebotte revendique peut-être ici une fonction de travailleur, son oeuvre pourrait alors rejoindre le rang de la peinture utile, un outil pour représenter la réalité de la fin du XIXe siècle.
Modernité haussmannienne et originalité sentimentale
Comment parler de Caillebotte et de Paris sans évoquer sa Rue de Paris, temps de pluie (1877). Cette sublime représentation du Paris moderne est la pièce maîtresse de cette partie. La complexité architecturale, la géométrie des rues parisiennes nous plongent bien dans cette époque de modernisation du pays, chaque rue est une découverte pour les habitants. Malgré le temps pluvieux les hommes sont de sortis, ils occupent la rue, un espace qui est, à l’époque, un lieu masculin par excellence. Les paletots et les parapluies sont, eux aussi, dans l’espace public, on y voit une forme de conformité dans la société de l’époque sauf pour un personnage du premier plan. Il avance d’un pas sûr, paletot ouvert, le regard au loin. Une femme se tient à son bras et regarde dans la même direction. On peut y voir ici une représentation de ce que serait selon le peintre la masculinité accomplie, l’homme idéal, c’est une sorte de rappel à son père, décédé 3 ans plus tôt.
Pourtant Gustave était connu pour être un célibataire invétéré. On le voit dans son tableau montrant une Partie de Bézigue, un jeu populaire de l’époque. Plusieurs hommes sont rassemblés dans ce salon, ils sont tous célibataires, aucune femme n’est présente. Ici c’est un esprit de franche camaraderie qui ressort plus que celle d’un sentimentalisme romantique. Les visages affichent une grande concentration sur la partie en cours, seul un est assoupi au fond. Ce rassemblement montre le caractère marginal de ces messieurs, préférant le jeu aux femmes, le célibat plutôt que la vie de famille.
Loisirs et retraite à la campagne
Pour clôturer l’exposition, les commissaires nous emmènent à la campagne et sur les fleuves pour nous montrer toute l’importance que prennent les loisirs et les sports dans cette société de la fin du siècle de Vienne. Alors que la France prend connaissance de son potentiel touristique via les loisirs en pleine nature, Caillebotte décide de nous montrer un visage plus virile, plus sportif des parties de campagne. Dans Partie de bateau (vers 1877-1878), le peintre montre le canotier comme s’il était en face de nous dans la barque. Le dandy, habillé de son costume de ville et coiffé d’un haut-de-forme en soie, montre une véritable présence physique, les vêtements près du corps dessinant sa silhouette. On ressent alors une forme d’intimité entre le canotier et nous, dérogeant ainsi à l’iconographie habituelle où la place du passager ou du barreur est occupée par une femme.
Au début des années 1880 Gustave et son frère Martial vendent leur domaine de Yerres et achètent une propriété au Petit Gennevilliers, au bord de la Seine. Gustave finit par s’y installer définitivement et parvient alors à retrouver ses passions comme le yachting ou l’horticulture. Dans son dernier grand format, Une course de bateaux (1893), le peintre se montre à la barre d’un bateau conçu par ses soins. Il navigue sur la Seine avec un autre homme. De cela plusieurs sentiments se dégagent, mais parmi eux ce sont ceux de la liberté et de la fraternité qui ressortent le plus. Ces sentiments chers au peintre sont palpables à travers l’absence d’autres personnages, il est presque seul au milieu des eaux claires de la Seine. Sur la rive gauche, la nature se dessine alors que les reflets des bateaux sont projetés sur l’eau. De l’autre côté, des petites maisons blanches à toits rouges sont peintes, un contraste se fait entre la grandeur oppressante des rues parisiennes et la simplicité des architectures de la banlieue. Le temps est clair, le ciel sans nuages et le tableau sans ombre. Le peintre meurt peu après d’une “congestion cérébrale” le 22 février 1894, il est alors âgé de 45 ans.