Depuis l’élection présidentielle américaine, un phénomène surprenant agite les réseaux sociaux. Des millions d’utilisateurs abandonnent X, l’ancien Twitter, pour se tourner vers Bluesky, une plateforme bien moins connue mais qui semble donner un nouvel élan à ceux qui cherchent une alternative.
Le point de basculement est survenu le 6 novembre 2024, jour de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Elon Musk, propriétaire de X, a non seulement soutenu activement Trump mais a également été nommé à un poste stratégique au sein de son administration. Ce rapprochement entre la plateforme et le pouvoir a suscité un rejet immédiat de la part d’une grande partie des utilisateurs. Ce jour-là, plus de 115 000 comptes X ont été supprimés aux États-Unis, marquant un signal fort de désaffection.
Dans les semaines qui ont suivi, le nombre d’inscriptions sur Bluesky a explosé, passant de 10 à plus de 20 millions d’utilisateurs. Ce basculement ne s’explique pas uniquement par le contexte politique. L’usage de X pour diffuser de la désinformation durant la campagne présidentielle et l’affaiblissement de la modération ont renforcé l’impression d’un réseau devenu toxique et peu fiable. Bluesky, en comparaison, est perçu comme un espace plus neutre, axé sur le dialogue et la qualité des échanges.
L’exode des utilisateurs de X
Sous la direction d’Elon Musk, X a connu des transformations. Les critiques se concentrent sur plusieurs aspects qui, mis bout à bout, expliquent le rejet croissant de la plateforme.
D’abord, la monétisation agressive a profondément changé l’expérience utilisateur. La mise en avant des comptes payants, au détriment des publications organiques, a contribué à un sentiment d’injustice. Les modifications fréquentes de l’interface, souvent perçues comme inutiles ou mal pensées, ont également frustré de nombreux abonnés.
La modération, autrefois considérée comme un pilier essentiel pour maintenir un espace sain, a été largement réduite. Cette situation a permis la réintégration de comptes controversés, souvent climatosceptiques, misogynes ou diffusant des théories du complot. Par ailleurs, des études académiques, notamment celle de l’Université de Queensland, ont révélé que Musk aurait manipulé les algorithmes pour privilégier son propre compte et ceux des figures républicaines. Cette instrumentalisation politique de la plateforme a accentué la méfiance.
Surtout, X est devenu un terrain fertile pour les bots et les contenus de faible qualité. Les vagues de licenciements initiées par Musk ont réduit les effectifs chargés de lutter contre ces fléaux, aggravant ainsi la dégradation de l’environnement numérique.
Bluesky, une vision différente du réseau social
Bluesky est né d’un projet initié en 2019 par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter. À l’époque, il s’agissait d’une simple idée exploratoire pour concevoir une plateforme décentralisée, capable de fonctionner indépendamment des grandes entreprises. En 2021, Bluesky a pris son indépendance sous la direction de Jay Graber, une développeuse passionnée par les questions de décentralisation et de protection des données.
Le fonctionnement de Bluesky repose sur le protocole AT, une technologie qui donnent aux utilisateurs un contrôle bien plus poussé sur leurs données. Contrairement à X, où tout est centralisé sous l’autorité de l’entreprise, Bluesky permet à ses membres de choisir où et comment leurs informations sont stockées, grâce à un système de serveurs indépendants appelés Personal Data Servers (PDS). Ce modèle garantit une plus grande résistance à la censure, ainsi qu’une flexibilité : un utilisateur peut migrer d’un serveur à un autre sans perdre ses publications ni ses abonnés.
Jay Graber, la PDG de Bluesky, est une figure moins connue que Jack Dorsey, mais son rôle est central. Développeuse dans l’univers des cryptomonnaies avant de rejoindre ce projet, elle a su faire de Bluesky une entreprise indépendante, tournée vers l’innovation. Soutenue par des investisseurs comme Blockchain Capital, Bluesky bénéficie d’une base solide pour affronter les défis liés à sa croissance.
Une interface familière, mais des principes novateurs
Pour les utilisateurs qui rejoignent Bluesky, l’expérience peut sembler familière. L’interface s’inspire largement de celle de Twitter, facilitant la transition. Cependant, Bluesky propose également des fonctionnalités qui répondent à des attentes précises, notamment en matière de modération et d’interactions.
Parmi les innovations les plus appréciées figurent les fils d’actualité personnalisables, qui permettent de diversifier les perspectives, ou encore la possibilité de se retirer d’une citation pour éviter les campagnes de harcèlement. Ces ajustements, bien que modestes, contribuent à créer un environnement où les échanges sont davantage respectueux et apaisés.
Bluesky se distingue aussi par son absence de publicité, un choix rare dans l’univers des réseaux sociaux. Le modèle repose sur des abonnements premium, mais sans favoriser un type d’utilisateur au détriment des autres. Cette approche tranche avec celle de X, où la recherche de rentabilité semble avoir supplanté toute autre considération.
Les journalistes et médias en première ligne
Le départ de nombreux médias et journalistes de X constitue un autre indicateur du malaise. Les professionnels de l’information, confrontés à une montée en flèche des discours haineux et à une modération défaillante, cherchent à protéger leur travail et leur intégrité éditoriale. Certains grands titres, comme The Guardian ou Sud-Ouest, ont migré vers Bluesky, emboîtant le pas à des figures publiques comme la journaliste française Salomé Saqué, qui a supprimé son compte suivi par plus de 200 000 personnes.
Ce mouvement dépasse la simple protestation : il reflète un besoin urgent de protéger l’intégrité de l’information dans un paysage numérique de plus en plus polarisé. En rejoignant Bluesky, ces médias cherchent un cadre où la modération des contenus et le respect des valeurs éditoriales sont davantage pris au sérieux.
Un défi de taille pour Bluesky
Malgré son essor rapide, Bluesky fait face à des interrogations légitimes. Sa croissance soudaine teste ses capacités à accueillir un afflux massif d’utilisateurs tout en maintenant ses standards de modération. De plus, son modèle économique sans publicité pourrait se heurter aux exigences de rentabilité si le réseau continue de croître.
Reste une question cruciale : Bluesky peut-il réellement remplacer X, ou n’est-il qu’un refuge temporaire pour des utilisateurs lassés des grandes plateformes ? Le succès de Bluesky pourrait bien redéfinir les règles du jeu pour les réseaux sociaux de demain.