Victor Hugo, le romantique de la cathédrale

Il y a 140 ans jour pour jour (le 22 mai au moment où sont écrites ces lignes), Victor Hugo disparaît et laisse la littérature française orpheline de l’un de ses auteurs les plus connus. De lui nous reste un héritage conséquent, aussi bien littéraire que politique. Parmi ce leg, un va retenir notre attention ici, La Légende des siècles, véritable cosmogonie et l’une de ses dernières œuvres travaillées de son vivant.

Si la littérature était un monument, La Légende des siècles serait Notre-Dame de Paris. Au-delà de l’association logique entre la Vieille Dame et l’exilé, ce livre est une masse de granit à lui tout seul. Le simple fait de le tenir entre ses mains donne la sensation de porter le monde, l’Histoire, le Mythe sur le bout de ses doigts. Plus que le poids de l’Univers, c’est la Beauté que l’on parcourt de ses yeux. C’en est lourd tant c’est beau, ce n’est que Victor Hugo. Le résumer est impossible, il raconte l’histoire de la France sans se préoccuper de l’exhaustivité, c’est un recueil de légendes aux figures parfois inventées, certes, mais faisant office de symboles d’une époque. 

Dieu, l’Univers, le Monde

Histoire d’alourdir un peu plus son livre, Hugo a décidé de distiller plus ou moins subtilement le sacré, la puissance du Dieu créateur tout au long de l’épopée. Là sans l’être, son ombre plane sur tout le récit, représenté à la fois par les institutions religieuses (chrétiennes ou musulmanes), les héros des récits ou encore par ses subalternes de la liturgie (saint Pierre notamment). Victor Hugo établit une sorte de hiérarchie cosmogonique en faisant entrer le panthéon romain dans la marche du monde, les dieux se situant sous le Créateur. Les rois humains se trouvent en dessous des divinités et le commun des mortels est tout en bas de la chaîne. Cette notion du sacré traverse les âges et les continents, allant d’Adam et Ève aux temps modernes. D’abord ressenti comme une puissance supérieure, le sacré, le religieux devient monnayable, dégradé de tout son prestige face à l’anti-cléricalisme de la fin du XIXe siècle, comme en témoigne le poème « Dénoncé à celui qui chassa les vendeurs du temple ». L’auteur profite aussi de l’occasion pour mettre à l’honneur chacune des Sept Merveilles du monde. Personnifiées, elles deviennent les incarnations des prouesses humaines, qu’elles soient architecturales ou militaires ; elles deviennent les conséquences, les produits des succès humains, des succès bien relatifs lorsque l’on décide d’élargir notre point de vue. L’on retrouve d’ailleurs cet organigramme à la toute fin du livre, dans la dernière section intitulée « L’Abîme ». De l’Homme, Le poète remonte les corps célestes en entonnoir inversé pour finalement atteindre Dieu et montrer toute la puissance qu’il représente dans l’ordre des choses avec ces quelques vers :

« Les Nébuleuses

[…]

Laisse-nous luire en paix, nous, blancheurs des ténèbres,

Mondes spectres éclos dans les chaos funèbres,

N’ayant ni pôle austral ni pôle boréal ; 

Nous, les réalités vivant dans l’idéal,

Les univers, d’où sort l’immense essaim des rêves,

Dispersé dans l’éther, cet océan sans grèves

Dont le flot à son bord n’est jamais revenu ; 

Nous les créations, îles de l’inconnu !

L’infini

L’être multiple vit dans mon unité sombre.

Dieu

Je n’aurais qu’à souffler, et tout serait de l’ombre. »

Dieu, par ces mots, affiche avec dédain son omnipotence. Il est à la fois le début et la fin de tout, créateur magnanime et destructeur autoritaire. Il est père de la vie, de la lumière, patriarche de la mort, des ténèbres.

Les héros du peuple

Victor Hugo, emprunt de l’idéal romantique, révolutionnaire et populaire, montre le roi ou la personne dépositaire de l’autorité comme avide, cruel, moqueur, fourbe, méchant. Ces rois sont notamment l’objet d’une partie, la sixième, intitulée « Après les dieux, les rois » où il oppose le roi Sanche, jeune, fringant, railleur et couard, au vieux Cid, fort de toutes ses victoires et de sa modestie. Pendant toute cette narration, le Cid s’adresse à son roi qui le craint et qui souhaite simplement vivre libéré des rumeurs que fait courir son roi sur lui. Tout en lui assurant sa loyauté, il lui expose avec force tous ses défauts : 

« Tu n’es qu’un méchant, en somme.

Mais je te sers, c’est la loi ;

La difformité de l’homme 

N’étant pas comptée au roi. »

Le poète montre les multiples facettes de l’humain. À la fois modeste, honorable, fort, avenant et charitable, il est aussi capable de cumuler tous les vices. Ces personnages sont très souvent mis dans des positions de pouvoir, ils exercent, abusent, font tuer pour de futiles conquêtes territoriales, dans l’unique but de prouver leur force et leur magnificence. Ces hommes se montrent en fait dans leurs aspects les plus bestiaux, hors de la capacité de réflexion, de résilience que l’on peut attribuer aux héros désignés par le poète. Bien souvent ils ne prononcent quasiment rien, ils n’ont aucun vers qui leur est destiné, le point de vue est double, à la fois en contre-plongée, le roi est vu d’en bas, de son peuple, mais aussi vu de haut par l’auteur et Dieu, les deux jugent sévèrement ces hommes, l’un par la punition post-mortem, l’autre en le confrontant à la réalité de son pouvoir, à son peuple comme dans « Les quatre jours d’Elciis » : 

« […] C’est de l’histoire. On peut régner par l’épouvante

Et la fraude, assisté de tel prêtre moqueur

Et fourbe, à qui les vers mangent déjà le coeur,

On peut courber les grands, fouler la basse classe ; 

Mais à la fin quelqu’un dans la foule se lasse,

Et l’ombre soudain s’ouvre, et de quelque manteau,

Sort un poing qui se crispe et qui tient un couteau. »

L’épopée de Victor Hugo, c’est le récit des siècles traversés par les corps sociaux du monde, c’est un jugement porté sur les cruelles mécaniques du pouvoir à travers la vue subjective du peuple et celle plus globale du Poète. 

Ce recueil est peut-être l’œuvre qui résume le mieux les travaux de Victor Hugo. On y voit tous les aspects que l’homme a défendu pendant sa vie : la force et la valeur d’un peuple et de sa nation, la perversité du pouvoir politique lorsqu’il est détenu par une seule personne et ce lien avec la Création, avec Dieu, figure paternelle à la fois universelle et restreinte, si proche dans le cercle familial, si loin dans le grand ordre des choses.

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