Jeffrey Epstein, financier new-yorkais accusé d’avoir organisé un vaste réseau d’exploitation sexuelle de mineures, est mort en prison en 2019. Mais l’« affaire Epstein » ne cesse de rebondir : la publication partielle des dossiers par l’administration Trump, la révélation d’une lettre controversée et la colère d’une partie du mouvement MAGA en font aujourd’hui une bombe politique pour le président américain.
L’affaire Epstein débute au milieu des années 2000 mais plonge ses racines bien avant. Financier new-yorkais milliardaire, habitué des cercles mondains de Manhattan et de Palm Beach, Jeffrey Epstein utilisait sa fortune et son carnet d’adresses pour attirer des personnalités politiques, économiques et médiatiques. Il a été accusé d’avoir mis en place, entre 2002 et 2005 au moins, un réseau d’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures, transportées vers ses résidences de luxe ou vers son île privée des Caraïbes, surnommée « l’île du vice ».
En 2008, déjà poursuivi en Floride, il avait bénéficié d’un accord secret conclu avec le procureur Alexander Acosta. Cet arrangement lui avait permis d’échapper à des poursuites fédérales plus graves, en échange d’un plaider-coupable limité. Condamné à treize mois de prison aménagée, il avait conservé une grande partie de sa liberté. L’accord avait provoqué l’indignation des associations de défense des victimes mais n’avait pas freiné ses activités.
Ce n’est qu’en 2019 que l’affaire Epstein prend une dimension internationale. Epstein est arrêté à New York le 6 juillet et inculpé de trafic sexuel de mineures et d’association de malfaiteurs. Il risquait jusqu’à 45 ans d’emprisonnement. Un mois plus tard, le 10 août, il est retrouvé pendu dans sa cellule. Si l’autopsie a conclu à un suicide, de multiples dysfonctionnements dans la prison (caméras défectueuses, rondes non effectuées) ont alimenté les spéculations sur une possible élimination visant à protéger des personnalités compromises.
L’ombre d’Epstein sur Donald Trump
Parmi ces personnalités figure Donald Trump, aujourd’hui au centre des controverses. Les deux hommes se sont côtoyés de manière régulière dans les années 1990 et 2000. Trump qualifiait alors Epstein de « type formidable », et des photographies les montrent ensemble lors de soirées ou dans le club Mar-a-Lago, en Floride. Le financier avait assisté en 2000 au mariage de Trump avec Melania Knauss.
Les registres de vol du jet privé d’Epstein mentionnent la présence de Trump et de sa famille à plusieurs reprises entre 1993 et 2003. Son nom figurait également dans le carnet d’adresses du financier. Ces éléments attestent d’une proximité réelle, même si Trump affirme s’être éloigné dès le début des années 2000. Il évoque une « rupture » liée au comportement « inapproprié » d’Epstein dans son club. Des médias américains avancent l’hypothèse d’une rivalité autour d’une propriété en Floride en 2004. Après la première condamnation du financier en 2008, Trump aurait définitivement banni son ancien ami.
Cette version est contestée par la presse américaine. En juillet 2025, le Wall Street Journal a révélé l’existence d’une lettre datée de 2003, attribuée à Trump et adressée à Epstein pour ses 50 ans, au ton graveleux. Le président a immédiatement démenti, dénonçant un faux et poursuivant le journal en diffamation pour dix milliards de dollars.
Les « dossiers Epstein » et la rumeur persistante d’une « liste de clients »
Au cœur des polémiques se trouvent les « dossiers Epstein », ensemble de documents judiciaires issus des enquêtes de 2008 et 2019, ainsi que des procédures civiles intentées par des victimes. Ils contiennent des témoignages, des transcriptions d’entretiens et des objets saisis.
Une rumeur persistante évoque une « liste de clients », recensant les personnalités ayant participé au réseau criminel d’Epstein. Jamais confirmée, cette liste nourrit de multiples théories du complot. Lors de sa campagne présidentielle de 2024, Donald Trump avait promis de déclassifier l’intégralité des dossiers et de « révéler la vérité ». En février 2025, son administration a publié 341 pages d’archives, essentiellement déjà accessibles au public. En juillet, le ministère de la justice et le FBI ont publié un mémorandum plus ferme :
- ils ont nié l’existence d’une « liste des clients »
- ils ont confirmé la thèse du suicide
- ils ont affirmé qu’aucune preuve crédible de chantage n’avait été identifiée
- ils ont estimé qu’aucune publication supplémentaire n’était « appropriée », afin de protéger l’anonymat des victimes.
Cette communication a contredit les déclarations du procureur général Pam Bondi, qui avait suggéré quelques mois plus tôt détenir une liste sur son bureau. Son entourage a ensuite précisé qu’elle parlait de l’ensemble des dossiers, et non d’un document unique.
Un retour de flamme pour Trump et sa base électorale
Cette séquence a provoqué une onde de choc dans le camp de Donald Trump. Une partie de la base du mouvement MAGA (Make America Great Again) s’estime trahie par le manque de transparence dans l’affaire Epstein. De nombreux influenceurs de droite radicale, tels Steve Bannon ou Charlie Kirk, accusent l’ancien président de « couvrir l’État profond ». Sur les réseaux sociaux, certains électeurs ont mis en scène des autodafés de casquettes MAGA.
Trump a d’abord minimisé l’affaire, la jugeant « sordide » et « rasoir », avant de défendre Pam Bondi et de dénoncer une « manœuvre démocrate ». Puis il a attaqué ses propres soutiens, affirmant que ses « anciens partisans gobent ces conneries ». Parallèlement, il a réclamé la publication de nouveaux documents et renforcé sa plainte contre le Wall Street Journal.
Cette volte-face illustre une fragilité nouvelle. Jamais auparavant Donald Trump n’avait été publiquement mis en cause par une frange significative de sa base. Des figures conservatrices comme Megyn Kelly ou Steve Bannon alertent sur un « risque électoral majeur » pour les républicains en 2026, estimant que 10 % du mouvement MAGA pourrait se détourner du candidat.
Le Congrès s’en empare
Face à la défiance, le Congrès a décidé d’ouvrir une série d’auditions concernant l’affaire Epstein. Parmi les personnalités assignées à comparaître figurent six anciens ministres de la justice et deux anciens directeurs du FBI, responsables à différentes périodes des enquêtes sur Jeffrey Epstein. Le Congrès cherche à déterminer pourquoi, dès 2008, un accord secret avait permis au financier d’éviter de graves poursuites fédérales, et comment de tels dysfonctionnements ont pu se reproduire en 2019, lors de son incarcération à New York.
L’assignation à comparaître de Bill et Hillary Clinton, attendus respectivement les 14 et 9 octobre 2025, a ravivé la polarisation politique. L’ancien président démocrate est mentionné dans plusieurs documents liés à Epstein : il aurait voyagé à bord de son jet privé à quatre reprises en 2002 et 2003. Hillary Clinton, de son côté, n’est citée dans aucun acte d’accusation, mais les élus républicains estiment que son rôle politique majeur au début des années 2000 justifie son audition.
Cette perspective d’auditions publiques des Clinton s’annonce comme un moment fort, susceptible d’alimenter les tensions partisanes à un an de l’élection présidentielle de 2026. Elle pourrait aussi repositionner le débat : d’un scandale centré sur les promesses non tenues de Donald Trump, il pourrait glisser vers un procès médiatique des élites démocrates.
L’affaire Epstein, des répercussions internationales
Si l’affaire Epstein secoue d’abord la scène politique américaine, ses ramifications dépassent largement les frontières des États-Unis. En Europe, la monarchie britannique a été directement touchée par le rôle du prince Andrew, longtemps ami du financier. Accusé par Virginia Giuffre d’agressions sexuelles alors qu’elle était mineure, le prince a nié catégoriquement avant de conclure en 2022 un accord financier confidentiel. La pression de l’opinion publique a conduit la famille royale à l’écarter de ses fonctions officielles, une décision sans précédent dans l’histoire récente de la monarchie.
En France, l’arrestation puis la mort de Jean-Luc Brunel, agent de mannequins accusé d’avoir fourni de jeunes filles à Epstein, ont marqué l’opinion. Mis en examen pour viols et harcèlement sexuel, Brunel a été retrouvé pendu dans sa cellule en février 2022, dans des conditions qui rappellent étrangement celles du financier américain. L’affaire a relancé le débat sur les zones grises de l’industrie de la mode et sur l’impunité de certains intermédiaires.
Les banques sous le feu des critiques
Un autre pan du scandale concerne le rôle des institutions financières qui ont facilité les activités d’Epstein. Selon plusieurs enquêtes, celui-ci aurait pu maintenir son réseau grâce à des transactions opaques et à la complaisance de grandes banques internationales. JPMorgan Chase a accepté en 2023 de verser 290 millions de dollars à des victimes pour mettre fin à une procédure judiciaire. Deutsche Bank a conclu un accord similaire à hauteur de 75 millions de dollars.
Ces règlements illustrent la responsabilité indirecte des acteurs financiers. « Sans le soutien des institutions bancaires, Epstein n’aurait jamais pu organiser un système d’une telle ampleur », résume un rapport parlementaire américain. Plusieurs dirigeants ont dû quitter leurs fonctions, comme Jes Staley, ancien PDG de Barclays, ou Leon Black, fondateur d’Apollo Global Management, tous deux éclaboussés par leurs liens avec le financier.
Dans plusieurs pays, des mouvements militants ont repris le slogan « Release the list » (« Publiez la liste »), exigeant la transparence totale sur les personnalités associées à Epstein. Si le FBI et le ministère de la justice américain ont nié l’existence d’un tel document, la rumeur continue d’alimenter les réseaux sociaux, portée par des influenceurs mais aussi par certains responsables politiques.
De New York à Londres, de Paris à Canberra, l’ombre d’Epstein demeure. Plus de six ans après sa mort, son nom est devenu synonyme de scandale sexuel globalisé, de dysfonctionnements institutionnels et de soupçons persistants sur la capacité des démocraties à protéger les victimes face aux plus puissants.