Bayrou joue son va-tout : vers une dissolution le 8 septembre et le spectre d’une majorité RN

Le rideau tombe à Matignon. François Bayrou a choisi, ce lundi 25 août, de jouer sa dernière carte dans les salons dorés de l’hôtel du Premier ministre. À 16 heures précises, l’homme qui incarnait l’ultime espoir centriste de la macronie s’est livré à un exercice de haute voltige politique : annoncer sa propre mise à mort programmée pour le 8 septembre prochain.

Il faut reconnaître à François Bayrou un certain panache dans l’autodestruction. Plutôt que de subir l’humiliation d’une motion de censure, le maire de Pau a préféré choisir ses conditions de sortie. « J’ai demandé au président de la République, qui l’a accepté, de convoquer le Parlement en session extraordinaire le lundi 8 septembre. J’engagerai ce jour-là la responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique générale ». L’article 49.1 plutôt que le 49.3 : une mort noble, face aux députés, plutôt qu’une exécution administrative par ordonnance. Ne nous y trompons pas, derrière les euphémismes du langage politique, c’est bien d’un suicide collectif dont il s’agit. Et peut-être, au-delà, de l’agonie de la Ve République telle que nous la connaissons.

La dramaturgie est parfaitement maîtrisée. François Bayrou a planté le décor d’une France au bord du gouffre, évoquant « un moment préoccupant et donc décisif de l’histoire de notre pays », dans un contexte où « les grands empires ont choisi d’imposer leur loi par la force ». L’homme qui fut longtemps l’alternative crédible au bipartisme français s’est mué en Cassandre de la République, prophète d’un déclin annoncé que seul son budget de 43,8 milliards d’économies pourrait conjurer. « Parfois dans la vie, seule une prise de risque réfléchie peut vous permettre d’échapper au plus grave », a-t-il justifié. Sauf que cette fois, le pari semble perdu d’avance. L’arithmétique parlementaire est implacable : 313 députés ont d’ores et déjà annoncé qu’ils refuseraient la confiance au gouvernement. Face aux 213 voix potentielles de la majorité et des Républicains, la partie est jouée avant même d’avoir commencé.

La coalition du rejet

Rarement aura-t-on vu une telle unanimité dans l’opposition. Du Rassemblement national à La France insoumise, en passant par les socialistes et les écologistes, tous les groupes parlementaires ont fait assaut de formules assassines pour enterrer le gouvernement Bayrou.

Jordan Bardella a donné le ton dès l’annonce : « François Bayrou vient d’annoncer la fin de son gouvernement, miné par son immobilisme satisfait ». Marine Le Pen a renchéri avec cette sentence définitive : « Seule la dissolution permettra désormais aux Français de choisir leur destin, celui du redressement avec le Rassemblement national ». Éric Ciotti, à la tête de l’UDR et allié du RN, a jugé « naturellement inenvisageable d’accorder la confiance à un gouvernement et une majorité macroniste« .Le message est clair : le RN se pose déjà en alternative gouvernementale. 

Le camp macroniste ne peut compter que sur ses 166 députés et sur le soutien conditionnel des Républicains (47 députés). Laurent Wauquiez, président du groupe « Droite républicaine », avait certes annoncé en décembre un « soutien exigeant » au gouvernement Bayrou, précisant que ses députés « ne voteront pas la censure ». Mais ce soutien demeure fragile et texte par texte : « Si le cap de redressement du pays n’est pas clair, nous ne nous interdisons pas de retirer notre soutien », avait-il prévenu.

À gauche, Manuel Bompard s’est félicité de cette « première victoire » : « Bayrou accepte de se soumettre à la démocratie parlementaire, contrairement à Macron qui continue son coup de force ». Jean-Luc Mélenchon, jamais avare d’une formule qui porte, a salué cette capitulation avant la bataille. Mathilde Panot a été plus directe encore : « À chaque fois que François Bayrou ouvre la bouche, cela nourrit la colère dans le pays ». Mais c’est peut-être la défection des socialistes qui sonne le glas définitif des espoirs bayroussiens. Olivier Faure, au 20H de TF1, a tranché sans appel : « Il est inimaginable que les socialistes votent la confiance à François Bayrou ». Le PS, dernière bouée de sauvetage possible pour Matignon, a choisi de lâcher le navire avant même qu’il ne coule. Marine Tondelier, pour les Écologistes, a résumé l’esprit du temps avec cette formule cinglante : « Ce vote de confiance (qu’il n’a pas fait en arrivant) est de fait une démission ». Le Parti communiste s’est joint au rejet. Léon Deffontaines, porte-parole du PCF, a écrit : « Le 8 septembre, il faudra faire tomber ce gouvernement », tandis que Fabien Roussel s’est interrogé : « Comment accorder sa confiance à une majorité qui a un tel bilan, qui a fait tant de mal depuis 2017 ? Nous voulons un autre gouvernement ».

L’ironie est cruelle : l’homme qui n’avait pas jugé bon de solliciter la confiance des députés à son arrivée en décembre dernier la demande aujourd’hui pour mieux organiser son départ. 

Le budget de tous les dangers

Au cœur de cette tempête politique se trouve un projet de loi de finances d’une austérité inédite depuis des décennies. François Bayrou propose de réaliser 43,8 milliards d’euros d’économies, soit l’équivalent du budget annuel de l’Éducation nationale. Un plan de rigueur qui touche tous les Français : gel des prestations sociales et des retraites au niveau de 2025 (7,1 milliards d’économies), doublement des franchises médicales (5,5 milliards), suppression du lundi de Pâques et du 8 mai comme jours fériés (4,2 milliards).

Cette « année blanche » fiscale et sociale, selon l’expression gouvernementale, marque une rupture philosophique majeure. Pour la première fois depuis l’après-guerre, l’indexation automatique sur l’inflation serait suspendue, frappant directement le pouvoir d’achat des plus modestes. Une révolution idéologique que François Bayrou justifie par l’état catastrophique des finances publiques : une dette à 114% du PIB et des intérêts qui coûtent 5 000 euros par seconde à la nation.

Le Premier ministre a tenté de vendre ce plan d’austérité comme un effort équitable : « L’État et les plus favorisés seront appelés à prendre leur juste part de l’effort national ». Mais ses adversaires n’y voient qu’une énième ponction sur les classes populaires pour préserver les intérêts du capital. La bataille idéologique était perdue avant même d’être livrée.

L’ironie de l’histoire constitutionnelle

Il y a quelque chose de shakespearien dans cette séquence politique. Emmanuel Macron, qui avait fait de la lutte contre l’extrême droite le marqueur de ses deux victoires présidentielles, pourrait involontairement offrir au Rassemblement national les clés du pouvoir par ses propres manœuvres institutionnelles.

Car le scénario le plus probable, après la chute inéluctable du gouvernement Bayrou, reste une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale. Techniquement possible depuis le 8 juillet dernier, cette option séduira probablement un président de la République à court d’alternatives. Sauf que les sondages actuels donnent largement le RN en tête des intentions de vote, avec 35% au premier tour, loin devant une gauche divisée et un camp présidentiel en lambeaux à 15,5%. Les projections en sièges sont encore plus vertigineuses : entre 255 et 295 députés pour le Rassemblement national, soit potentiellement la majorité absolue qui placerait Jordan Bardella à Matignon. Une configuration inédite sous la Ve République qui verrait, pour la première fois, un parti d’extrême droite diriger le gouvernement français.

L’ironie devient tragique quand on se souvient des origines de ce mouvement. Car le Front national, devenu Rassemblement national, fut fondé en 1972 par des figures aux parcours sulfureux. Pierre Bousquet, co-signataire des statuts avec Jean-Marie Le Pen, était un ancien caporal de la Waffen-SS ayant combattu dans la division Charlemagne lors de la défense de Berlin. Aux côtés de cet ex-collaborateur, on trouvait d’autres nostalgiques du régime de Vichy : Léon Gaultier, également ancien Waffen-SS, Victor Barthélémy, bras droit de Jacques Doriot, ou François Brigneau, ancien milicien. Si le RN obtenait effectivement la majorité absolue, ce serait donc la première fois dans l’histoire de France qu’un parti fondé par d’anciens Waffen-SS accéderait au pouvoir. Une perspective qui, au-delà des enjeux politiques immédiats, interroge sur la mémoire collective de notre pays et sur les leçons tirées de notre histoire la plus sombre.

Le naufrage d’un système

François Bayrou aura donc été le fossoyeur involontaire de la dernière tentative de gouvernement d’union. Son pari de « clarification » ressemble étrangement à celui d’Emmanuel Macron lors de la dissolution de juin 2024 : même vocabulaire, même stratégie du « en même temps », même aveuglement face à l’état de déliquescence du système politique français.

Car ce qui se joue le 8 septembre dépasse largement la personne du Premier ministre. C’est l’effondrement programmé d’un modèle institutionnel à bout de souffle, incapable de produire des majorités stables dans un paysage politique fragmenté. Depuis 2017, la France enchaîne les crises parlementaires : dissolution ratée en 2024, trois Premiers ministres en deux ans, budgets adoptés au 49.3 faute de majorité… Le système politique français traverse sa plus grave crise depuis 1958. Et François Bayrou, en choisissant l’art de mourir debout, aura peut-être précipité non seulement sa propre chute, mais celle d’un édifice institutionnel que plus personne ne parvient à faire fonctionner.

Le 8 septembre 2025 restera comme une date charnière. Celle où la Ve République aura commencé à mourir de ses propres contradictions, ouvrant peut-être la voie à une VIe République que nul n’ose encore nommer. En attendant, les Français assisteront, probablement impuissants, à l’enterrement de première classe d’un gouvernement qui n’aura survécu que huit mois à l’arithmétique implacable d’une Assemblée nationale devenue ingouvernable. L’histoire retiendra que François Bayrou aura au moins eu le courage de ses convictions. Reste à savoir si la France aura celui d’affronter les conséquences de ses choix.

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