Pensé comme un levier de développement économique et un outil géopolitique, le Dakhla Atlantic port, dont la livraison est prévue en 2028, doit transformer le sud du Maroc en hub maritime majeur entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques.
Annoncé par le roi Mohammed VI en novembre 2015, le Dakhla Atlantic port s’impose comme l’un des projets structurants de la Vision 2030 du Maroc et du nouveau modèle de développement des provinces du Sud. Avec un coût estimé à 12,65 milliards de dirhams (1,22 milliard d’euros), entièrement financé par l’État, il symbolise une volonté politique forte, celle de consolider l’intégration du Sahara dans le territoire national tout en positionnant le royaume comme un acteur clé du commerce international atlantique.
Ce port en eaux profondes, situé à Ntireft, à 60 kilomètres au nord de la ville actuelle de Dakhla, doit répondre à plusieurs objectifs. Le premier est économique : la ressource halieutique, notamment les sardines et les céphalopodes, s’étant déplacée vers le sud, le nouveau port permettra de traiter sur place 80 % des captures, contre seulement 20 % aujourd’hui. L’ambition est d’augmenter la valorisation locale de 600 000 à un million de tonnes par an, en développant des filières à plus forte valeur ajoutée comme les rillettes de sardine ou les marinades de poulpe.

Renforcer l’influence marocaine
u-delà de la pêche, le Dakhla Atlantic port s’inscrit dans l’Initiative Atlantique, présentée en novembre 2023. Celle-ci vise à désenclaver les pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) en leur offrant un accès direct à la mer via de longs corridors logistiques. Un projet évalué à près d’un milliard de dollars, qui pourrait relier le Maroc au Tchad via la Mauritanie.
Le ministre des Affaires étrangères du Niger a qualifié cette perspective d’« aubaine » pour les économies sahéliennes, dépendantes aujourd’hui de routes commerciales instables et vulnérables aux tensions politiques. Pour Rabat, l’enjeu est aussi diplomatique. En renforçant ses liens avec les régimes du Sahel, le Maroc s’impose comme partenaire de confiance dans une région où l’influence russe progresse et où l’Algérie cherche à étendre ses propres réseaux d’alliances.
Cette stratégie traduit une volonté claire : faire de Dakhla Atlantic port non seulement une plateforme logistique, mais également un instrument d’influence régionale, capable de redéfinir les équilibres économiques et politiques en Afrique de l’Ouest.
Des infrastructures portuaires et industrielles
Le Dakhla Atlantic port couvrira une superficie de 1 650 hectares, comprenant trois bassins distincts : la réparation navale, le trafic de la pêche et les activités commerciales. Ses quais atteindront des profondeurs de -12 à -16 mètres, permettant l’accueil de navires de grande capacité.
Le terminal commercial comptera 694 mètres de quais, un mouillage pour pétroliers de 115 mètres et une zone dédiée aux navires roulier (RO-RO) de 45 mètres. Le port de pêche, long de 1 583 mètres, complétera le dispositif. Un chantier naval est prévu, ainsi que deux bases avancées de pêche à Boujdour et Lamhiriz, permettant un acheminement rapide du poisson vers les usines locales.
Une vaste zone logistique et industrielle de 650 hectares accompagnera le projet : un pôle de compétitivité pour les produits marins, un pôle logistique de 150 hectares, une zone commerciale et un espace de services publics. À terme, le port devrait traiter 35 millions de tonnes de marchandises par an, dont plus d’un million de conteneurs.
Les retombées économiques attendues sont considérables. Le chantier a déjà mobilisé près de 1 600 travailleurs. À terme, 10 000 emplois directs et plusieurs dizaines de milliers d’emplois indirects devraient être créés. Cette dynamique pourrait entraîner un bouleversement démographique : la population de Dakhla, aujourd’hui estimée à 100 000 habitants, pourrait atteindre 500 000 personnes dans les décennies à venir.
Cette croissance s’accompagnera d’une diversification du tissu économique. Le port doit stimuler des secteurs variés : pêche, agriculture, exploitation minière, logistique, fabrication, tourisme. Selon les projections officielles, la contribution de la région au PIB national passerait de 1,3 % à 2,2 %, avec un rythme de développement supérieur à la moyenne du pays.
Une mise en service attendue en 2029
Lancé en octobre 2021, le chantier affiche un taux d’avancement de 40 % en juillet 2025. Les ouvrages maritimes (digues, quais, terre-pleins) sont déjà réalisés à 85 %. Plus de 125 000 cubipodes, blocs de béton servant à fortifier les digues, ont été produits, soit plus de la moitié des besoins.
La livraison est prévue pour 2028 et la mise en exploitation en 2029. La construction est assurée par les entreprises marocaines SGTM et Somagec Sud, avec le concours d’acteurs européens comme Sener, Artelia et Green. La supervision est confiée à Nisrine Iouzzi, directrice de suivi pour le ministère de l’Équipement et de l’Eau.
Le Dakhla Atlantic port est conçu comme un projet durable. Il sera alimenté à 100 % par l’énergie solaire, avec un générateur de secours pour les situations d’urgence. Mais l’ambition va plus loin : la région de Dakhla-Oued Eddahab est appelée à devenir un pôle mondial de l’hydrogène vert.
Plusieurs projets industriels sont associés au port. La société Falcon prévoit un investissement de 100 milliards de dirhams pour une usine de production d’hydrogène et d’ammoniac. Taqa Maroc s’est engagée à hauteur de 96 milliards. D’autres opérateurs, comme Power SUR SARL ou Dahamco SA, développent également des unités dédiées. Ensemble, ces projets devraient générer des milliers d’emplois et positionner le Maroc comme acteur majeur de l’économie décarbonée.
Un parc éolien de 40 MW, d’un coût de 1,7 milliard de dirhams, doit également alimenter une station de dessalement d’eau de mer de 100 000 m³/jour, essentielle pour répondre aux besoins croissants de la région.
Entre concurrence halieutique et nouveaux investisseurs
L’un des points les plus sensibles reste la gestion de la ressource halieutique. En concentrant à Dakhla la valorisation de 80 % des captures, le Maroc rebat les cartes d’une industrie historiquement implantée à Agadir et Laâyoune. Certains industriels pourraient être amenés à céder leurs usines obsolètes pour réinvestir à Dakhla, tandis que d’autres chercheront à moderniser leur flotte pour maintenir leur compétitivité.
Cette transformation ouvre aussi la porte à de nouveaux acteurs. Des investisseurs norvégiens ont déjà manifesté leur intérêt pour la proximité avec les zones de pêche. Concernant les chalutiers étrangers (espagnols, russes, hollandais) qui débarquent traditionnellement leurs cargaisons à Las Palmas, leur avenir semble fragilisé. Vieillissants et dépendants de quotas incertains, ils pourraient perdre du terrain face au renforcement de la flotte marocaine et aux nouvelles capacités de transformation locale.