Dans la nuit du 9 au 10 septembre 2025, une vingtaine de drones russes ont pénétré l’espace aérien polonais, certains jusqu’à 300 kilomètres à l’intérieur du pays. Varsovie dénonce une « provocation à grande échelle » et a invoqué l’article 4 de l’OTAN. L’Alliance atlantique fait face à un dilemme stratégique, affirmer sa crédibilité sans provoquer une escalade.
L’épisode a commencé peu après 2 heures du matin, dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 septembre, et s’est poursuivi durant plus de dix heures. Au total, les forces polonaises ont comptabilisé au moins dix-neuf incursions de drones russes, une intensité inédite sur le territoire d’un pays membre de l’Alliance atlantique.
Certains appareils ont volé à l’intérieur du territoire, dont un modèle Gerbera, qui a parcouru 265 kilomètres avant de s’écraser sans victimes dans la petite ville de Mniszkow. Un drone Shahed, de conception iranienne et armé, a été observé mais n’a pas frappé de cible avant de regagner l’espace aérien ukrainien. Les débris de seize drones, pour la plupart des Gerbera quasi intacts, ont été retrouvés dans plusieurs localités de l’est du pays, comme Czosnowka, Czesniki ou Wyryki-Wola.
Du côté des dégâts matériels, ils restent limités : une maison et une voiture ont été endommagées. Mais la portée politique et militaire est considérable. « C’est la première fois que nous sommes confrontés à une attaque d’une telle ampleur », a reconnu le président polonais, Karol Nawrocki, parlant d’un événement « sans précédent dans l’histoire récente de la Pologne ».
Face à la menace, l’OTAN a déployé un dispositif d’interception d’une ampleur encore jamais observée. Des F-16 polonais, des F-35 néerlandais, mais aussi des avions italiens et américains ont été mobilisés en mode « scramble » (alerte immédiate). Au sol, des batteries Patriot allemandes ont été intégrées à l’opération.
Des mesures de sécurité renforcées en Pologne
Varsovie a qualifié l’incident d’acte d’agression majeur et a activé l’article 4 du traité de l’Atlantique nord, qui prévoit des consultations entre alliés en cas de menace sur la sécurité ou l’intégrité territoriale d’un État membre. C’est la huitième fois que cet article est invoqué depuis 1949.
En parallèle, un représentant russe a été convoqué au ministère des affaires étrangères et une note de protestation lui a été remise. Quatre aéroports, dont celui de Varsovie-Chopin, ont été temporairement fermés. Des restrictions nocturnes de survol ont été instaurées le long des frontières avec la Biélorussie et l’Ukraine jusqu’au 10 décembre, interdisant notamment les vols de drones dans une zone tampon de plusieurs dizaines de kilomètres. La frontière terrestre avec la Biélorussie a également été fermée.
La Pologne a sollicité la convocation d’un Conseil de sécurité nationale et obtenu la tenue d’une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations unies ce vendredi. L’incident est présenté par Varsovie comme un précédent d’une gravité exceptionnelle, dépassant largement les provocations antérieures.
Une réaction coordonnée de l’OTAN
L’Alliance atlantique a souligné le caractère inédit de l’incident, en rappelant qu’il s’agissait de la première incursion d’ampleur de drones russes dans l’espace aérien d’un pays membre. La réaction a été jugée efficace et rapide, malgré un ratio d’interceptions limité. Plusieurs États ont annoncé un renforcement de leur présence aérienne en Pologne, notamment l’Allemagne qui a doublé le nombre de ses Eurofighter.
Pour l’OTAN, le dilemme est désormais stratégique : une réponse trop prudente pourrait éroder sa crédibilité, tandis qu’une riposte disproportionnée risquerait de précipiter une escalade. L’incident est perçu comme un test grandeur nature des capacités de réaction de l’Alliance et de sa solidarité interne.
L’Union européenne a dénoncé une violation grave de l’espace aérien européen, en insistant sur le caractère intentionnel de l’opération. Plusieurs capitales européennes ont souligné le risque de contagion du conflit ukrainien au-delà de ses frontières.
Le silence de la Maison Blanche a été jugé « troublant ». Bien que le président Donald Trump ait publié un message succinct et que le chef du Pentagone ait souligné que les priorités de sécurité des États-Unis étaient intérieures, la Maison Blanche a indiqué que le président suivait la situation et devait s’entretenir avec son homologue polonais, Karol Nawrocki. Tandis que le Canada et les pays baltes ont exprimé leur inquiétude quant à la montée du niveau de menace. L’Ukraine a présenté l’épisode comme une extension de l’agression russe et a exhorté ses partenaires à renforcer les dispositifs de défense aérienne conjoints. L’ONU a mis en garde contre le danger d’un basculement vers un conflit ouvert en Europe.
La position de Moscou et du Bélarus
Face à l’incursion des drones russes en Pologne, le Kremlin a nié toute intentionnalité, affirmant que ses frappes ciblaient uniquement l’industrie militaire ukrainienne et que la violation de l’espace aérien polonais n’était pas planifiée. Moscou a néanmoins déclaré rester disponible pour des consultations avec Varsovie, tout en rejetant la responsabilité de l’incident. Le discours officiel a mis en cause l’absence de preuves fournies par la Pologne et dénoncé une rhétorique jugée systématiquement hostile de la part des capitales européennes. L’ambassade russe à Varsovie a, de son côté, accusé Varsovie de chercher à aggraver la situation et de propager des mythes autour de l’épisode.
Le Bélarus a adopté une ligne similaire, évoquant des drones ayant perdu leur trajectoire après brouillage électronique. Minsk a indiqué avoir signalé la présence d’objets non identifiés aux autorités polonaises et lituaniennes.
Les trajectoires observées, la profondeur de pénétration et le nombre d’appareils impliqués rendent peu crédible l’hypothèse d’un accident pur et simple. Plusieurs analystes considèrent que l’opération visait à mesurer les délais de réaction de l’OTAN et à identifier d’éventuelles failles dans sa couverture aérienne.
D’autres estiment néanmoins que des facteurs techniques, comme un brouillage ou un manque de carburant, peuvent expliquer que seize drones se soient posés quasiment intacts dans des zones rurales. L’incertitude persiste donc, mais le contexte renforce l’interprétation d’un test stratégique délibéré.
Un test grandeur nature
Quelques jours avant le lancement des exercices militaires russo-biélorusses Zapad-2025, il intervient alors que l’Union européenne vient d’annoncer un plan massif de réarmement (SAFE), doté de 150 milliards d’euros, dont la Pologne est le principal bénéficiaire.
La mise en service récente de la base antimissile de Redzikowo, équipée du système Aegis Ashore, confère à Varsovie un rôle central dans la défense du flanc oriental de l’OTAN. Moscou considère déjà cette installation comme une cible prioritaire.
Au sein de l’Union, le débat sur la création d’un « mur de drones » défensif le long de la frontière orientale a gagné en intensité. Ce projet, soutenu par les pays baltes, rejoint les réflexions sur le bouclier antimissile européen (ESSI) lancé en 2022. L’incident en Pologne agit ainsi comme un catalyseur pour accélérer la mise en place d’outils communs de défense.