Lundi 25 août 2025, à 10 heures du matin, l’hôpital Nasser de Khan Younès a été frappé à deux reprises par l’armée israélienne. Vingt personnes ont péri, dont cinq journalistes et un secouriste. Cette attaque s’inscrit dans le cadre du plan de conquête totale de l’enclave approuvé par le gouvernement israélien, visant à placer l’intégralité du territoire sous contrôle israélien.
« Nous avons approuvé, hier, le plan pour vaincre le Hamas à Gaza, par des tirs nourris, l’évacuation des habitants et des manœuvres », a déclaré le ministre de la Défense israélien Israel Katz le 22 août 2025, trois jours avant l’attaque de l’hôpital Nasser. Cette déclaration, loin d’être un épiphénomène, révèle la transformation radicale de la doctrine militaire israélienne. Depuis le cabinet de sécurité du 8 août, Benjamin Netanyahu a obtenu l’approbation d’une stratégie de contrôle territorial intégral, malgré l’opposition du chef d’état-major Eyal Zamir qui avait mis en garde : « Il n’y a pas de réponse humanitaire pour le million de personnes que nous allons transférer ».
Le Premier ministre israélien n’a cessé d’affiner sa vision : « À la fin de cette opération, tout le territoire de la bande de Gaza sera sous contrôle sécuritaire de l’État d’Israël et le Hamas sera entièrement et totalement vaincu ». Cette stratégie, baptisée « Chariots de Gédéon », prévoit une occupation durable avec la mise en place « d’une administration civile alternative qui ne soit ni le Hamas ni l’Autorité palestinienne ». Les cinq divisions mobilisées pour cette offensive, avec 60 000 réservistes supplémentaires rappelés en septembre, témoignent de l’ampleur de cette entreprise de recolonisation.
L’hôpital Nasser, symbole et victime d’un système détruit
L’hôpital Nasser, nommé d’après l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, incarne depuis 1960 la résistance du système de santé gazaoui. Deuxième plus grand établissement médical de Gaza avec 1 227 membres du personnel médical avant la guerre, il était devenu « l’un des derniers établissements de santé encore partiellement fonctionnels dans la bande de Gaza » selon MSF. Cette institution, qui desservait près de 800 000 habitants du sud de l’enclave, symbolisait l’ultime rempart contre l’effondrement sanitaire total.
« Plus tôt aujourd’hui [lundi], les troupes de l’armée israélienne ont effectué une frappe dans le secteur de l’hôpital Nasser à Khan Younès », a reconnu Tsahal dans un communiqué, ajoutant que « le chef d’état-major a donné instruction de réaliser une enquête initiale dès que possible ». Mais cette enquête annoncée sonne comme un euphémisme face à la stratégie documentée d’attaques systématiques contre les infrastructures médicales.
Selon Mahmoud Bassal, porte-parole de la défense civile gazaouie, l’attaque s’est déroulée en deux temps : « la première frappe a été conduite par un drone explosif, avant un bombardement aérien ayant eu lieu alors que les blessés étaient évacués ». Cette méthode, connue sous le nom de « double tap », vise délibérément les secouristes accourant sur les lieux de la première attaque, constituant une violation flagrante du droit humanitaire international.
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » disait Albert Londres. Il convient donc de nommer les journalistes assassinés ce lundi. Mohammad Salama, photojournaliste d’Al Jazeera, Hossam Al-Masri, caméraman de Reuters, Mariam Dagga, photographe indépendante de 33 ans collaborant avec Associated Press, Ahmad Abou Aziz et Moaz Abou Taha, tous deux collaborateurs de médias palestiniens et internationaux. « Nous sommes profondément attristés », a déclaré Reuters dans un communiqué, tandis qu’Associated Press s’est dite « choquée et attristée » par la mort de Mariam Dagga. Al Jazeera, qui a perdu quatre journalistes deux semaines auparavant dans une frappe ciblée, a accusé l’armée israélienne de vouloir « faire taire la vérité ».
Cette attaque porte à plus de 200 le nombre de journalistes tués depuis le début du conflit, selon le Comité pour la protection des journalistes et Reporters sans frontières. Le Bureau des médias du gouvernement à Gaza a dénombré précisément 215 journalistes assassinés, qualifiant le meurtre de ces professionnels de « politique délibérée visant les professionnels des médias palestiniens ».
L’indignation impuissante des grandes puissances
La communauté internationale a réagi avec une indignation qui peine à masquer son impuissance structurelle. « Je ne suis pas satisfait. Je ne veux pas voir cela », a déclaré Donald Trump depuis le Bureau ovale, exprimant son mécontentement face aux frappes israéliennes. Une réaction mesurée qui contraste avec les déclarations plus fermes d’autres dirigeants occidentaux.
En France, Emmanuel Macron a qualifié les frappes d’« intolérables » et a exhorté Tel-Aviv à « respecter le droit international ». Le ministre britannique des Affaires étrangères David Lammy s’est dit « horrifié », déclarant : « Les civils, le personnel soignant et les journalistes doivent être protégés. Nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat ». Berlin s’est dit « choqué par la mort de plusieurs journalistes, secouristes et autres civils », appelant à ce que « cette attaque fasse l’objet d’une enquête ». L’Espagne a condamné l’attaque, la qualifiant de « violation flagrante et inacceptable du droit humanitaire ».
Plus ferme, la Turquie, par la voix de son président Recep Tayyip Erdogan, a accusé « le gouvernement impitoyable du Premier ministre israélien Netanyahu de poursuivre sans relâche ses attaques brutales visant à détruire tout ce qui touche à l’humanité ». La direction de la communication de la présidence turque a qualifié les frappes d’« atteinte à la liberté de la presse et de nouveau crime de guerre ».
L’impossible vérité
Face aux accusations, Israël maintient sa ligne de défense traditionnelle. « L’armée israélienne regrette tout préjudice causé à des personnes non impliquées et ne cible pas les journalistes en tant que tels », a déclaré Tsahal, ajoutant que l’armée « agit pour limiter autant que possible le préjudice pour les personnes non impliquées tout en maintenant [ses] troupes en sécurité ». Benjamin Netanyahu, pour sa part, a qualifié l’attaque d’« accident tragique », reprenant la rhétorique habituelle de minimisation. Cette version contraste radicalement avec les témoignages palestiniens et les analyses d’organisations humanitaires.
« Nous dénonçons avec la plus grande fermeté l’horrible attaque israélienne contre l’hôpital de Nasser, le seul hôpital public encore partiellement opérationnel dans le sud de la bande de Gaza », a déclaré Jérôme Grimaud, coordinateur des opérations d’urgence de MSF. L’organisation a souligné que « certains membres du personnel de MSF ont été contraints de se réfugier dans le laboratoire pendant les frappes répétées ».
Le ministère palestinien des Affaires étrangères a condamné « le massacre atroce commis par les forces d’occupation contre les équipes médicales, de secours et de presse », le qualifiant de « crime de guerre et de crime contre l’humanité avéré et documenté ». L’Autorité palestinienne a appelé à « traduire sans délai le consensus international pour l’arrêt du génocide en mesures pratiques et contraignantes ».
L’état d’urgence de l’ONU
Trois jours avant l’attaque de l’hôpital Nasser, l’ONU avait officiellement déclaré l’état de famine à Gaza, une première au Moyen-Orient. « C’est une famine, la famine de Gaza, qui aurait pu être évitée sans l’obstruction systématique d’Israël », a déclaré Tom Fletcher, chef des opérations humanitaires des Nations unies. Cette déclaration, basée sur les critères du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), confirme qu’au moins 500 000 personnes se trouvent dans un état « catastrophique ». Pour établir une famine, trois seuils doivent être franchis : au moins 20% des foyers doivent affronter un manque extrême de nourriture, au moins 30% des enfants de moins de cinq ans doivent souffrir de malnutrition aiguë, et au moins deux personnes sur 10 000 doivent mourir de faim chaque jour.
« Israël n’a pas de politique de famine. Israël a une politique de prévention de la famine », a rétorqué Benjamin Netanyahu, imputant les pénuries aux « vols systématiques de l’aide par le Hamas ». Cette version israélienne contraste avec l’analyse onusienne qui pointe directement « l’obstruction systématique d’Israël » à l’acheminement de l’aide humanitaire. L’IPC note une « détérioration la plus grave de la situation depuis le début de ses analyses dans la bande de Gaza ». Selon l’organisation, la famine devrait s’étendre « aux gouvernorats de Deir el-Balah et Khan Younès d’ici fin septembre ».
Fayez Ataya, 6 mois, décédé le 30 mai 2024. Abdulqader Al-Serhi, 13 ans, mort le 1er juin 2024. Ahmad Abu Reida, 9 ans, décédé le 3 juin 2024. Ces trois enfants, morts de malnutrition malgré les soins reçus, ont marqué l’extension de la famine du nord vers le centre et le sud de Gaza. « Lorsque le premier enfant meurt de malnutrition et de déshydratation, il devient irréfutable que la famine s’est installée », ont déclaré les experts de l’ONU. Depuis le 7 octobre, 34 Palestiniens sont morts de malnutrition, la majorité d’entre eux étant des enfants.
Le ministère de la Santé de Gaza affirme que plus de 270 Palestiniens, dont plus de 110 enfants, sont déjà morts de faim. Les témoignages recueillis dans les camps de déplacés révèlent l’ampleur du désastre humanitaire : « À cause du siège et de la famine, la santé de ma fille s’est détériorée. Elle a perdu des nutriments essentiels car il n’y a pas d’aliments sains comme des légumes, des fruits ou de la viande », témoigne une mère gazaouie.
Une société détruite
Les statistiques révèlent l’ampleur de la destruction systématique. Sur les 36 hôpitaux que comptait Gaza avant la guerre, seuls 21 fonctionnent encore partiellement. L’Organisation mondiale de la Santé confirme qu’aucun hôpital de la bande de Gaza n’est actuellement pleinement opérationnel. Le système de santé gazaoui, déjà affaibli par 17 ans de blocus israélien, s’est effondré sous les coups de boutoir de l’offensive. 410 attaques contre le système de santé ont été signalées entre le 7 octobre 2023 et le 12 mars 2024. Ce chiffre, rapporté par l’OMS et le ministère de la Santé, témoigne du caractère systématique de cette destruction.
L’hôpital Nasser, qui comptait 456 lits et 993 employés en 2019, traitait plus de 37 000 patients hospitalisés par an et effectuait plus de 8 000 chirurgies. Avec plus de 733 000 examens de laboratoire et plus de 10 000 naissances annuelles, il constituait l’épine dorsale du système de santé du sud de Gaza.
La question qui dérange
Le plan Netanyahu, approuvé par le cabinet de sécurité israélien, prévoit explicitement « l’évacuation des habitants » de Gaza city d’ici le 7 octobre 2025. Cette date symbolique, anniversaire de l’attaque du Hamas, n’est pas choisie au hasard. Elle marque l’achèvement programmatique d’un processus de déplacement forcé de populations. La destruction systématique des hôpitaux, des écoles, des infrastructures d’eau et d’assainissement ne relève pas de la logique militaire traditionnelle. Elle s’inscrit dans une stratégie de rendre impossible le retour des populations déplacées, caractéristique de l’épuration ethnique telle que définie par le droit international.
« Nous déclarons que la campagne de famine intentionnelle et ciblée menée par Israël contre le peuple palestinien est une forme de violence génocidaire », ont déclaré les experts indépendants de l’ONU. Cette qualification juridique, prononcée par des instances onusiennes, dépasse le cadre du simple conflit militaire pour entrer dans celui du crime contre l’humanité. La Cour pénale internationale de La Haye n’a d’ailleurs pas attendu pour délivrer, le 21 novembre 2024, des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour « le fait d’utiliser la famine comme méthode de guerre ». Cette décision historique confirme la qualification criminelle des méthodes employées.
Face à cette tragédie qui se déroule sous nos yeux, une question demeure, lancinante et dérangeante : assistons-nous impuissants à une épuration ethnique en cours, menée avec les méthodes du XXIe siècle et l’assentiment tacite d’une partie de la communauté internationale ?