Karol Nawrocki, soutenu par le parti Droit et justice (PiS), a remporté l’élection présidentielle polonaise du 1er juin 2025 avec 50,89 % des suffrages. Sa victoire face au centriste pro-européen Rafal Trzaskowski illustre la polarisation croissante de la société polonaise et consacre l’émergence d’un axe conservateur transatlantique.
Le scrutin présidentiel de 2025 en Pologne a mis en lumière la recomposition idéologique d’un paysage politique marqué par deux décennies d’alternance entre la Plateforme civique (PO) de Donald Tusk et le PiS de Jaroslaw Kaczynski. Karol Nawrocki, inconnu du grand public il y a encore un an, s’est imposé en seconde position au premier tour (29,5 %) avant de l’emporter au second tour face à Trzaskowski (49,11 %).
Historien de formation, ancien directeur du musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk puis de l’Institut de la mémoire nationale, Nawrocki a su capitaliser sur un électorat jeune (notamment 60 % des 18-29 ans) en quête d’alternatives radicales. Son positionnement hors des cadres partisans traditionnels lui a permis de capter les voix de l’extrême droite nationaliste et réactionnaire, représentée au premier tour par Slawomir Mentzen et Grzegorz Braun, qui avaient réuni à eux deux 21 % des suffrages. Le centriste Trzaskowski, bien qu’arrivé en tête au premier tour, n’a pu rallier ni les électeurs de gauche ni ceux de la « Troisième voie », divisés et peu mobilisés.
La Pologne, laboratoire du trumpisme européen
Présenté comme un disciple du trumpisme, Nawrocki a mené campagne sur des thématiques identitaires, s’attaquant au « globalisme », à la « décadence occidentale » et à l’« idéologie woke ». Son slogan, « La Pologne d’abord », emprunte directement au lexique du mouvement MAGA (Make America Great Again). Son élection est saluée par Viktor Orban et Giorgia Meloni, dans un geste qui confirme la reconfiguration des droites européennes autour de valeurs souverainistes, conservatrices et transatlantiques.
What a nail-biter! Congratulations to President @NawrockiKn on his fantastic victory in the Polish presidential elections. We are looking forward to working with you on strengthening the Visegrad cooperation. Powodzenia, Panie Prezydencie!
— Orbán Viktor (@PM_ViktorOrban) June 2, 2025
Karol Nawrocki est le premier candidat européen à avoir été publiquement adoubé par Donald Trump en cours de campagne. Le 2 mai 2025, dix jours avant le premier tour, le président des États-Unis le recevait dans le Bureau ovale, une initiative diplomatiquement inédite à ce stade d’une campagne étrangère. Ce soutien s’est confirmé lors de la tenue en Pologne de la Conservative Political Action Conference (CPAC), haut lieu du conservatisme américain. Quatre jours avant le second tour, cet événement a cristallisé la dimension internationale de la campagne. Organisée à Rzeszow à l’initiative du PiS, elle a vu défiler plusieurs figures pro-Trump comme Kristi Noem, secrétaire à la sécurité intérieure, ou Maureen Bannon, fille de Steve Bannon. Devant une assemblée de militants et d’élus, Noem a affirmé : « Karol doit être le prochain président de la Pologne », liant explicitement sa victoire à la poursuite de la coopération militaire et industrielle avec les États-Unis.
Des controverses personnelles aux ambitions institutionnelles
Le parcours de Karol Nawrocki, jusque-là inconnu du grand public, interpelle. Ancien directeur de l’Institut de la mémoire nationale, il a été rattrapé durant la campagne par plusieurs affaires : acquisition suspecte d’un appartement, soupçons de fréquentations mafieuses dans sa jeunesse, comportements violents liés à des cercles hooligans de Gdansk. Ces accusations, relayées par la presse libérale, n’ont pas entamé sa dynamique électorale.
S’il doit officiellement entrer en fonction le 6 août, après validation des résultats par la Cour suprême, des erreurs dans le décompte des voix ont été relevées dans plusieurs commissions électorales. Le président du Parlement a toutefois exclu toute remise en cause du scrutin, évoquant des « irrégularités mineures ».
Entre l’Europe de Bruxelles et celle de Budapest
Cette élection s’inscrit dans un contexte régional tendu où la Pologne, membre pivot de l’Union européenne et de l’OTAN, se retrouve tiraillée entre deux visions de l’Europe. D’un côté, Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, portait un projet d’arrimage renforcé à Bruxelles, incarné notamment par un activisme au sein du triangle de Weimar (France-Allemagne-Pologne). De l’autre, Nawrocki s’inscrit dans la lignée des dirigeants souverainistes, Viktor Orban en Hongrie, Robert Fico en Slovaquie, appelant à une Europe des nations.
Viktor Orban a d’ailleurs été le premier à saluer la victoire de Nawrocki, immédiatement suivi par le Slovaque Fico. En Europe centrale, le groupe de Visegrad, affaibli par les divisions internes depuis le début de la guerre en Ukraine, pourrait se reconstituer autour d’un dénominateur idéologique commun : populisme, souveraineté, conservatisme moral, méfiance vis-à-vis de Bruxelles et ressentiment envers Berlin.
Un revers majeur pour Donald Tusk
Pour Donald Tusk, la victoire de Nawrocki est un coup dur. L’ancien président du Conseil européen, revenu à la tête du gouvernement polonais en décembre 2023, s’était engagé à rétablir l’État de droit et à renforcer les liens avec Bruxelles. Ce retour au pouvoir, salué comme un tournant pro-européen, est désormais fragilisé.
Karol Nawrocki devrait entrer en fonction le 6 août 2025, après validation des résultats par la Cour suprême. Dès l’annonce de sa victoire, les cadres du PiS ont réclamé la démission de Donald Tusk et la mise en place d’un gouvernement technique. Toutefois, le Premier ministre, malgré ce revers électoral, a obtenu le 11 juin un vote de confiance au Sejm (243 voix pour, 210 contre), consolidant temporairement sa coalition.
Mais la marge est étroite, la coalition gouvernementale ne dispose que de 12 sièges d’avance et reste soumise aux tensions internes, notamment avec le Parti paysan polonais (PSL), plus conservateur. Sans majorité qualifiée des deux tiers, elle ne peut surmonter le veto présidentiel, que Nawrocki pourra brandir pour bloquer des lois-clés sur l’État de droit, la justice ou l’IVG. Dans les couloirs du Parlement européen, certains eurodéputés redoutent un retour de la stratégie du « veto national », qui paralyse toute avancée dans les négociations à l’unanimité. Déjà, le refus de la Pologne d’appliquer le pacte européen sur la migration et l’asile, soutenu par Nawrocki comme par Tusk, illustre les limites de la solidarité communautaire.
Une alliance populiste transatlantique
Ce scrutin marque aussi un tournant idéologique au sein du continent. À travers la figure de Karol Nawrocki, c’est toute une vision du monde qui s’implante durablement dans l’un des pays les plus peuplés de l’Est européen : celle d’un nationalisme identitaire, antisystème, profondément atlantiste mais hostile aux institutions libérales. Une vision renforcée par les liens désormais assumés entre les droites radicales européennes et les sphères trumpistes aux États-Unis.
Les chercheurs du Centre pour les études politiques à Varsovie notent que « la Pologne est devenue le premier laboratoire d’exportation réussie du trumpisme en Europe », après des tentatives infructueuses en Allemagne ou en Roumanie. Ce succès tient autant à la porosité de la société polonaise aux thématiques religieuses, sécuritaires et anti-migrants, qu’à l’efficacité de la stratégie électorale du PiS et de ses relais internationaux.
L’émergence d’un axe conservateur allant de Budapest à Rome, en passant désormais par Varsovie, redessine la carte politique du continent. Il fragilise les équilibres au sein du Conseil européen et renforce les tensions avec les États membres à orientation libérale, notamment la France, l’Allemagne et les pays scandinaves.
Le spectre de la recomposition des droites
À l’horizon des élections législatives prévues pour 2027, l’issue du scrutin présidentiel nourrit des hypothèses de recomposition à droite. Le PiS, renforcé par la victoire de Nawrocki, pourrait s’allier avec Konfederacja pour revenir aux affaires par les urnes. Ce scénario, qualifié de « catastrophe » par plusieurs commentateurs pro-européens, serait l’aboutissement d’un recentrage du débat politique sur les thèmes de l’identité, de la souveraineté et de la sécurité nationale.
Pour Donald Tusk, maintenir la cohésion de sa coalition jusqu’en 2027 devient une course contre la montre. D’autant que les velléités de sabotage parlementaire pourraient s’accumuler : blocage du budget, contestation des réformes, référendums impulsés par la présidence… Autant d’obstacles qui compliquent la gouvernance.
Dans une société polonaise profondément divisée, où le clivage ville-campagne, jeunes-vieux et laïc-religieux est de plus en plus marqué, l’élection présidentielle de 2025 apparaît comme un révélateur d’un malaise politique durable. La capacité du pays à sortir de cette polarisation, à l’intérieur comme sur la scène européenne, reste incertaine.