Parce que l'info c'est plus que des titres

La hausse des faillites de start-up en France

La French Tech, autrefois en pleine ascension, traverse une crise sans précédent. En l’espace de 18 mois, 129 start-up françaises ont cessé leurs activités, un record historique qui fait vaciller l’écosystème. Comment expliquer cette inversion brutale de tendance, après une période marquée par des levées de fonds spectaculaires ?

La récente vague de faillites a frappé même des start-up en apparence bien établies. Made.com, plateforme spécialisée dans la vente de meubles en ligne, est emblématique de cette descente aux enfers. Après avoir été valorisée à 800 millions d’euros lors de son introduction en bourse en 2021, l’entreprise a été contrainte de déposer le bilan en novembre 2022 et a été rachetée par Next. Un autre exemple est Sigfox, figure de proue des réseaux pour objets connectés. Malgré des levées cumulées de 300 millions de dollars, l’entreprise a été revendue en 2023 pour moins de 4 millions d’euros.

Ces cas s’ajoutent à une liste de faillites qui inclut Agricool, spécialisée dans l’agriculture urbaine, ou encore Cityscoot, opérateur parisien de scooters électriques. Selon une étude de la Banque de France, 129 start-up françaises ont cessé leurs activités entre janvier 2023 et juin 2024, dont 76 placées en redressement ou liquidation judiciaire en 2023. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la majorité de ces échecs concerne des entreprises dites « matures », ayant généré un chiffre d’affaires conséquent ou attiré des financements importants.

Un financement basé sur la croissance et le risque

Les start-up se distinguent des entreprises traditionnelles par leur modèle économique axé sur l’innovation et une forte capacité de croissance. Pour se développer rapidement, elles s’appuient principalement sur des levées de fonds auprès de fonds d’investissement privés. Ces fonds, spécialisés dans différents stades de développement des start-up, jouent un rôle clé.

Les fonds de capital-risque (venture capital, ou VC) investissent dans les jeunes start-up, souvent à leurs débuts, lorsqu’elles n’ont pas encore de revenus stables. Ces investisseurs prennent des risques élevés en pariant sur l’idée, l’équipe fondatrice et le potentiel du produit. Par exemple, une start-up en phase d’amorçage peut lever quelques centaines de milliers à plusieurs millions d’euros auprès de ces fonds pour financer le développement de son produit.

À un stade plus avancé, lorsque l’entreprise commence à générer un chiffre d’affaires significatif, elle peut attirer des fonds de growth (croissance). Ces fonds injectent des dizaines ou centaines de millions d’euros pour soutenir l’expansion rapide de l’entreprise, notamment à l’international. Enfin les fonds de private equity (PE) investissent dans des entreprises plus établies et rentables, généralement avec une croissance inférieure à 30 %. Ils recourent à des leviers financiers, comme l’endettement, et utilisent des méthodes de valorisation classiques, basées sur les flux de trésorerie futurs (DCF) ou les multiples de rentabilité (PER).

L’effet de la hausse des taux d’intérêt sur le financement

Les fonds de capital-risque tels que SoftBank et Tiger Global, qui ont massivement investi dans des entreprises matures à partir de 2017, ont vu leurs pertes se multiplier, notamment en raison de prises de risques excessives et d’erreurs d’investissement, avec des exemples comme WeWork et FTX. L’injection de fonds dans des start-up en forte croissance a entraîné une explosion des valorisations, mais cette stratégie agressive a conduit à des pertes de dizaines de milliards de dollars. 

À partir de 2022, la hausse des taux d’intérêt et le retrait de ces fonds sur-capitalisés ont aggravé la crise dans l’écosystème start-up, réduisant l’accès au financement et entraînant une baisse des valorisations. Les banques appliquent désormais des taux plus élevés, rendant les emprunts plus coûteux, tandis que les investisseurs, échaudés par un environnement économique incertain, deviennent plus sélectifs.

Les investisseurs appliquent des taux d’actualisation plus élevés pour estimer la valeur des entreprises, ce qui diminue leur attrait, particulièrement pour celles qui ne génèrent pas encore de bénéfices. Par exemple, Klarna, fintech suédoise spécialisée dans les paiements différés, a vu sa valorisation s’effondrer de 85 %, passant de 45,6 milliards de dollars en 2021 à seulement 6,7 milliards en 2022. En France, cette dynamique a privé de nombreuses entreprises des financements nécessaires à leur croissance ou à la gestion de leurs dettes.

Un modèle de croissance remis en question

La quête de croissance rapide a longtemps été le Saint Graal, souvent au détriment de la rentabilité. Ce modèle, largement encouragé par les investisseurs et les fonds de capital-risque, repose sur l’idée que la priorité doit être donnée à l’expansion, quitte à accumuler des pertes dans l’espoir que la rentabilité viendra avec le temps. Mais ce pari semble de plus en plus risqué dans le contexte économique actuel. Par exemple, Agricool, qui cultivait des fruits et légumes en conteneurs, a levé 35 millions d’euros avant d’être vendue pour seulement 50 000 euros, un montant qui illustre la dévalorisation extrême de certaines entreprises.

Les start-up qui ne parviennent pas à atteindre la rentabilité rapidement sont désormais confrontées à une pression grandissante. Les investisseurs, auparavant séduits par des promesses de croissance, exigent des preuves de rentabilité immédiates. Ce basculement a rendu le modèle de « croissance à tout prix » intenable. 

Pour soutenir cette stratégie, les start-up ont souvent misé sur des dépenses excessives en marketing, en communication, et en recrutement. Les budgets alloués à la publicité en ligne, aux partenariats stratégiques et au branding étaient astronomiques, parfois au point de ne pas pouvoir être justifiés par les revenus générés à court terme. Les entreprises consacraient aussi d’importantes sommes à l’embauche de talents, cherchant à constituer des équipes solides et compétitives, mais ces dépenses de personnel ne se traduisaient pas nécessairement par une rentabilité immédiate.

Un environnement économique défavorable

Au-delà des problèmes internes, les start-up françaises évoluent dans un contexte global marqué par des crises successives. La pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques ont contribué à ralentir la croissance économique et à fragiliser les entreprises. L’inflation persistante a également réduit le pouvoir d’achat des consommateurs, affectant la demande pour de nombreux produits et services.

Par ailleurs, les start-up font face à des défis spécifiques, comme les exigences des marchés financiers pour celles qui envisagent une introduction en bourse. Les IPO, autrefois perçues comme une solution de financement, sont devenues rares. Au début de la crise, le gouvernement français avait fixé un objectif ambitieux : faire entrer dix licornes en bourse d’ici 2025. Un pari risqué, qui soulève des interrogations : les entreprises de la French Tech sont-elles réellement prêtes à affronter la dure réalité des marchés financiers.

L’exemple de Getaround, société américaine qui a racheté Drivy en 2019 pour 300 millions d’euros, en est une illustration. Le 8 décembre 2022, Getaround fait son entrée en bourse aux États-Unis, un événement largement salué, notamment en France. Mais une semaine plus tard, le rêve s’effondre : le cours de l’action chute de 90 %, réduisant la valorisation de l’entreprise à moins de 100 millions d’euros. Un effondrement brutal que les médias ont curieusement largement ignoré. Les chiffres, pourtant, sont parlants : 60 millions d’euros de revenus pour 100 millions d’euros de pertes, et une levée de fonds de 600 millions de dollars depuis sa création, dont 300 millions lors de la série D en 2018.

Cette débâcle soulève une question plus large sur l’entrée en bourse des licornes. En 2022, plus de 1 000 entreprises tech dans le monde étaient valorisées à plus d’un milliard de dollars. Pourtant, seulement 200 d’entre elles ont réussi à entrer en bourse avec une valorisation dépassant ce seuil, au cours des dix dernières années. Ce contraste met en lumière les difficultés croissantes des star-up à maintenir des valorisations élevées et à convaincre les investisseurs dans un contexte économique de plus en plus difficile.

Quelles perspectives pour l’écosystème start-up ?

La bourse n’a jamais été le terrain de jeu idéal pour les start-up tech françaises. En 2021, Deezer faisait son entrée en bourse avec une valorisation de 1 milliard d’euros, mais l’action a dégringolé de 35 % dès le premier jour, pour se stabiliser aujourd’hui autour de 340 millions d’euros. De son côté, Believe, également introduite en bourse en juin 2021 à 2 milliards d’euros, voit sa capitalisation tomber sous la barre du milliard aujourd’hui.

Malgré l’augmentation des faillites, l’écosystème français conserve une certaine résilience. Les entreprises capables de s’adapter, en mettant l’accent sur la rentabilité et en réduisant leur dépendance aux capitaux externes, parviennent à maintenir leur trajectoire. Cependant, cette transition implique des sacrifices. De nombreuses start-up ont dû réduire leurs effectifs, repenser leurs stratégies marketing ou abandonner certains marchés.

Dans les années à venir, les start-up pourraient ne plus être évaluées uniquement sur les montants qu’elles lèvent, mais aussi sur leur capacité à créer des emplois durables, à incarner des valeurs solides et à générer une activité économique significative. Des indicateurs comme la Rule of 40, qui allie croissance et rentabilité, deviennent de plus en plus courants. Parallèlement, le concept de « Centaure » commence à rivaliser avec celui de Licorne, en mettant l’accent sur les entreprises générant plus de 100 millions d’euros de revenus. Ce changement de perspective marque déjà une évolution importante dans la manière d’évaluer les jeunes pousses.

Le média

Nos projets

Nous contacter

Nous rejoindre

Retour en haut