Iciar Bollaìn revient sur l’histoire du premier homme politique condamné pour harcèlement sexuel en Espagne, à travers le récit de sa victime, Nevenka Fernandez.
Ils n’étaient déjà plus nombreux dans les salles de cinéma pour la troisième semaine du film biopic réalisé par Iciar Bollaín. Sorti le 6 novembre dernier en France, ce drame espagnol raconte la véritable histoire de Nevenka Fernandez, qui a 25 ans, est choisie par Ismael Alvarez, maire de la commune de Ponferrada, pour être à la tête du département des finances du conseil municipal. Malgré les mises en garde, elle commence une relation intense mais de courte durée avec son supérieur, qui, incapable d’accepter cette rupture, commence un harcèlement sexuel constant, passé sous silence par le reste des employés de la ville. Après quelques mois à subir cet enfer, Nevenka fuit à Madrid, en arrêt maladie pour dépression, avant de revenir à Ponferrada pour dénoncer les actions d’Ismael Alvarez à la presse et annoncer qu’elle porterait plainte pour harcèlement sexuel. Un an plus tard, il est reconnu coupable et condamné à neuf mois de prison, 6480 € d’amende et 12 000€ d’indemnités à verser à la victime. Nevenka Fernández, malgré sa victoire judiciaire, a été abandonnée par ses collègues, qui ont témoigné en faveur de son agresseur, et peine à trouver un travail en Espagne. Elle s’exile au Royaume-Uni, puis en Irlande, où elle réside toujours.
Un film immersif et des interprétations marquantes
Le récit raconté ici par Bollain, toujours porté à travers les yeux de Nevenka, interprété par Mireia Oriol, se veut volontairement non fiable. La ville de Ponferrada est presque exclusivement plongée dans un manichéisme inévitable, à l’exception de la conseillère de l’opposition, Charo Velasco, que l’on rencontre comme adversaire politique redoutable, avant d’être un précieux soutien pour Nevenka. Mireia Oriol incarne à la perfection ce rôle de femme jeune, forte et sûre d’elle, dans un premier temps, avant de sombrer dans une dépression aiguë, en sursaut à chaque appel, et au bord du gouffre où son harceleur l’a précipité. Urko Olazabal, dans ce rôle d’un homme puissant et mauvais, prêt à tout pour parvenir à ses fins, brille tout autant dans un registre radicalement différent. Le jeu de plans, de lumières et de sons, pour faire ressentir cette détresse, fonctionne de pair avec les dialogues : justes.
Un combat individuel qui préfigure un mouvement global
Et cette justesse est avant tout portée par le message qu’elle veut faire parvenir à son auditoire : cette histoire vraie s’est déroulée au début des années 2000, à l’heure où la parole des femmes se libérait difficilement. Nevenka Fernandez est la première femme espagnole à avoir obtenu la condamnation d’un homme politique, et ce, malgré des témoignages en sa défaveur, de la part de collègues prêts à mentir. Ses collègues, la ville entière de Ponferrada et la presse, autant d’acteurs qui l’auront peu à peu abandonnée. Quatre ans avant l’apparition du terme « Me too » pour qualifier les actes d’agressions sexuelles, physiques et morales et 15 ans avant le désormais tristement célèbre hashtag, la réalisatrice du film souligne d’ailleurs que Nevenka « est ce qu’on appelle une pionnière. #MeToo est un mouvement de solidarité et un cri pour que les femmes se rassemblent, alors que personne ne s’est mobilisé pour Nevenka à l’époque. »
En Espagne, comme ailleurs, la situation évolue, mais doucement. Jusqu’en 2022, la charge de la preuve incombait aux victimes. Ce n’est désormais plus le cas, les potentiels agresseurs doivent démontrer qu’ils ont bien reçu le consentement de leurs partenaires. Une loi critiquée, notamment par la droite et l’extrême droite, représentée par le parti Vox, lui-même représenté par Jordan Bardella au Parlement Européen. Mais, l’Espagne a récemment défrayé la chronique en 2023, alors que Luis Rubiales, président de la fédération espagnole de football, a embrassé de force une des joueuses, Jennifer Hermoso, au moment de la remise des médailles : un signe que malgré les avancées, le chemin reste encore long.