Mercosur : pourquoi l’accord validé par Bruxelles divise l’Europe

La Commission européenne a validé, le 3 septembre, l’accord de libre-échange conclu avec le Mercosur. Présenté comme stratégique pour l’économie européenne, il reste l’objet de profondes divisions, notamment en France, où agriculteurs et responsables politiques redoutent ses conséquences sur l’agriculture et l’environnement.

Près d’un quart de siècle de discussions a été nécessaire pour que cet accord puisse aboutir. Le 3 septembre 2025, la Commission européenne a validé le texte de l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie). Ce partenariat, entamé dès la fin des années 1990, concerne environ 800 millions de consommateurs et couvre entre 40 et 45 milliards d’euros d’échanges annuels.

Le Mercosur, fondé en 1991, est le quatrième bloc économique mondial. L’accord vise à réduire les barrières tarifaires et non tarifaires, offrant de nouvelles opportunités commerciales. Bruxelles espère notamment accroître ses exportations de voitures, de machines, de vins et de spiritueux, tout en ouvrant les marchés publics sud-américains aux entreprises européennes.

En contrepartie, les pays du Mercosur obtiendraient des quotas pour leurs produits agricoles : viande bovine, volaille, sucre, éthanol, riz, miel et soja. L’accord est ainsi souvent résumé par la formule « viandes contre voitures ». Selon la Commission, il permettrait aux exportateurs européens d’économiser près de 4 milliards d’euros par an en droits de douane.

Outre l’aspect commercial, le texte comporte des volets de dialogue politique et de coopération sur l’éducation, la recherche, le numérique, la protection de l’environnement ou encore la cybercriminalité. Mais ces dimensions, peu controversées, sont éclipsées par les inquiétudes liées à l’impact sur l’agriculture européenne.

Les craintes du monde agricole

Depuis l’annonce de la validation, les syndicats agricoles multiplient les mises en garde. En France, la FNSEA, la Confédération paysanne, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale dénoncent un accord « toxique » et « incompréhensible ». Le COPA-Cogeca, organisation agricole européenne, s’est également exprimé contre ce traité.

Leur principale inquiétude porte sur la fragilisation de certaines filières sensibles. Les éleveurs bovins et avicoles redoutent une concurrence déloyale, en raison de coûts de production bien plus bas au Brésil ou en Argentine. Les producteurs de sucre, d’éthanol, de riz ou de miel se disent également menacés.

Des critiques portent aussi sur les normes sanitaires et environnementales. Le rapport de l’économiste Stefan Ambec, remis en 2020, avait souligné que les limites maximales de résidus autorisées au Brésil étaient supérieures à celles en vigueur en Europe. Les agriculteurs dénoncent le risque d’importations de produits utilisant des pesticides interdits ou des hormones de croissance.

Les inquiétudes se doublent de considérations climatiques. L’élevage bovin au Brésil est fortement lié à la déforestation amazonienne, facteur d’émissions de gaz à effet de serre. En octobre 2024, la Commission avait suspendu les importations de viande bovine brésilienne après avoir constaté un manque de traçabilité sur l’usage d’hormones interdites.

Mobilisations agricoles et opposition politique

L’annonce de la validation de l’accord UE-Mercosur a immédiatement déclenché une nouvelle vague de protestations dans le monde agricole. Le 4 septembre, la Confédération paysanne a déjà manifesté à Bruxelles pour dénoncer un texte jugé « incompréhensible ». La FNSEA prévoit des actions plus massives à l’automne, alors que les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale menacent de bloquer routes et raffineries.

Les critiques ne se limitent pas à la France. En Pologne, en Autriche et aux Pays-Bas, les syndicats agricoles s’alarment de la concurrence des importations sud-américaines. Le COPA-Cogeca, principale organisation européenne de producteurs, multiplie les alertes.

Sur le plan politique, l’opposition est tout aussi transversale. En France, le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) dénoncent d’une même voix une « capitulation ». Le centriste Pascal Canfin, eurodéputé Renew, a annoncé une initiative transpartisane visant à « suspendre l’adoption » du texte au Parlement européen. En Autriche, le gouvernement a réaffirmé son hostilité, tandis que plusieurs députés polonais, y compris au sein du parti au pouvoir, ont exprimé leur refus.

Ces mobilisations traduisent un malaise plus large sur la politique commerciale de l’UE. Les agriculteurs reprochent à Bruxelles de sacrifier leurs filières pour favoriser les exportations industrielles, tandis que les ONG environnementales dénoncent un « accord climaticide ». Les manifestations annoncées pourraient rappeler celles de 2020, lorsque les négociations sur le Mercosur avaient déjà provoqué des blocages dans plusieurs capitales européennes.

Les garanties obtenues par la France

Face à ces critiques, la Commission européenne a tenté d’apporter des réponses. Elle a présenté un « acte juridique complémentaire » qui renforce les mesures de sauvegarde pour les produits sensibles : bœuf, volaille, sucre, éthanol. La clause de sauvegarde prévoit que si les importations progressent de plus de 10 % ou si les prix chutent d’autant, l’UE pourra intervenir dans un délai de vingt jours.

Un fonds d’ajustement d’un milliard d’euros, financé via la Politique agricole commune (PAC), doit venir en aide aux filières touchées. Bruxelles promet également un renforcement des contrôles aux frontières pour vérifier que les produits importés respectent bien les normes sanitaires et phytosanitaires européennes, lesquelles ne seront pas modifiées.

Paris, longtemps opposée au texte, a salué ces mesures comme allant « dans le bon sens ». Mais le gouvernement français reste prudent. Il insiste pour que la clause de sauvegarde puisse être déclenchée par un seul État membre, et appliquée temporairement avant toute décision définitive. La France souhaite en outre que ces garanties soient juridiquement contraignantes pour les pays du Mercosur, et pas uniquement pour la Commission.

Un accord géopolitique stratégique

Au-delà des débats agricoles, l’accord UE-Mercosur s’inscrit dans une stratégie plus large de diversification des partenariats commerciaux. Bruxelles souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine, dans une logique de « de-risking ». L’Amérique du Sud offre des débouchés pour les industries européennes, mais aussi des ressources stratégiques comme le lithium ou le cobalt, essentiels à la transition énergétique.

Plusieurs États membres, notamment l’Allemagne, soutiennent l’accord. Berlin voit dans ce traité une opportunité pour son industrie automobile et ses exportateurs. Le président du Conseil européen, Antonio Costa, a défendu un texte qui, selon lui, renforcera la « compétitivité » du continent.

Côté sud-américain, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, qui assure actuellement la présidence tournante du Mercosur, souhaite une ratification rapide avant la fin de l’année 2025.

Un processus de ratification incertain

La validation du 3 septembre ne marque que le début d’un long parcours institutionnel. Pour entrer en vigueur, le texte doit obtenir l’aval des 27 États membres et du Parlement européen. Or, rien n’est acquis.

Plusieurs scénarios sont possibles. Le plus exigeant, la ratification intégrale, nécessiterait l’unanimité des États et des ratifications nationales. Mais la Commission pourrait privilégier une « scission » du texte, permettant au seul volet commercial d’être adopté à la majorité qualifiée et par le Parlement européen, comme pour l’accord UE-Canada (AECG).

Le débat s’annonce houleux au Parlement, où les opposants vont des écologistes à l’extrême droite. En France, la fragilité politique du gouvernement de François Bayrou complique encore la donne. Pour bloquer l’accord, une « minorité de blocage » regroupant au moins quatre États représentant 35 % de la population européenne serait nécessaire. Paris espère rallier la Pologne, l’Autriche ou encore l’Italie, mais l’équilibre demeure incertain.

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