La démission du premier ministre Khadga Prasad Sharma Oli, le 9 septembre 2025, n’a pas suffi à apaiser la contestation qui embrase le pays. Des affrontements meurtriers, des bâtiments officiels incendiés et l’instauration d’un couvre-feu national plongent le Népal dans une crise politique et sociale d’une ampleur inédite.
Depuis le début du mois de septembre, la jeunesse népalaise s’est soulevée contre ce qu’elle perçoit comme un système verrouillé par la corruption et le népotisme. Inspirés par la révolution étudiante du Bangladesh en août 2024, des milliers d’élèves et d’étudiants sont descendus dans les rues de Katmandou et des principales villes du pays.
L’étincelle est venue le 4 septembre, lorsque le gouvernement a décidé de bloquer 26 plateformes numériques, dont Facebook, Instagram, X, LinkedIn ou WhatsApp. Officiellement motivée par l’absence d’enregistrement légal de ces services, la mesure a été interprétée comme une tentative de museler une génération habituée à s’exprimer en ligne. Seul TikTok, autorisé depuis 2024, est resté accessible.
Sur les réseaux encore ouverts, les hashtags #NepoKid et #NepoBaby ont cristallisé le ressentiment d’une jeunesse qui accuse les élites de monopoliser le pouvoir.
Une répression sanglante
Le 8 septembre, la contestation a franchi un cap. À l’appel de l’ONG Hami Nepal, des milliers de jeunes en uniforme scolaire ont défilé pacifiquement dans la capitale. Les forces de l’ordre ont d’abord tenté de disperser la foule à l’aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau, avant d’ouvrir le feu. Le bilan officiel fait état de 19 morts et de plus de 400 blessés, dont une cinquantaine dans un état critique.
La presse népalaise a dénoncé un « massacre ». Face à l’indignation, le ministre de l’intérieur, Ramesh Lekhak, a présenté sa démission dans la soirée. Mais le choc provoqué par ces violences a radicalisé la contestation.
L’effondrement du pouvoir
Le lendemain, malgré le couvre-feu, des groupes de jeunes hommes ont pris pour cible les symboles de l’État. Le Parlement, le siège du gouvernement (Singha Durbar), la Cour suprême, ainsi que les résidences de plusieurs responsables politiques ont été incendiés ou saccagés. Des hôtels de luxe, des médias et des commissariats ont également été visés.
Peu après 11 heures, le premier ministre Khadga Prasad Sharma Oli a annoncé sa démission. Âgé de 72 ans, le dirigeant communiste, qui avait déjà occupé à quatre reprises le poste de chef du gouvernement depuis 2015, a justifié sa décision par les « circonstances exceptionnelles » et la volonté de « faciliter la voie vers une résolution politique ».
Mais son départ n’a pas apaisé les manifestants. Dans la vallée de Katmandou, envahie par une épaisse fumée, certains protestataires ont brandi des armes, probablement dérobées aux forces de sécurité en déroute.
Une armée en première ligne
Le 9 septembre au soir, le chef des armées, le général Ashok Raj Sigdel, a ordonné le déploiement de troupes dans la capitale et autour de sites stratégiques, dont l’aéroport. Au petit matin, l’armée a proclamé un couvre-feu national. Les rues restaient jonchées de carcasses de véhicules et de débris de bâtiments incendiés.
Le président Ram Chandra Poudel a exhorté à la retenue et au dialogue. L’ONU, par la voix de son haut-commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dite « consternée par l’escalade de la violence ». Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a rappelé que « la stabilité, la paix et la prospérité du Népal sont d’une importance capitale » pour New Delhi.
Une instabilité chronique
La crise actuelle s’inscrit dans une longue histoire d’instabilité politique. Depuis la proclamation de la république en 2008, le Népal a vu se succéder quatorze premiers ministres en dix-sept ans. Les gouvernements, souvent minoritaires, reposent sur des alliances fragiles entre le Parti marxiste-léniniste unifié (UML), le Parti du Congrès et les maoïstes, sans parvenir à stabiliser le pays.
Cette instabilité est aggravée par une corruption endémique. Les accusations d’accaparement du pouvoir et de népotisme visent l’ensemble de la classe politique. Les nominations au sein de l’administration sont régulièrement critiquées comme relevant davantage des réseaux d’allégeance que du mérite.
Khadga Prasad Sharma Oli, décrit par ses adversaires comme un « maître dans l’art de la manipulation », a incarné cette dérive. En 2021, il avait été reconduit au pouvoir seulement quatre jours après une motion de censure, en vertu d’un article de la Constitution lui permettant de revenir à la tête du gouvernement en l’absence de majorité claire. Son retour en juillet 2024, grâce à un accord avec son rival du Congrès, avait déjà nourri le scepticisme de l’opinion publique.
Un pays parmi les plus pauvres du monde
Au-delà de la crise politique, le malaise est alimenté par une situation économique et sociale précaire. Enclavé dans l’Himalaya, faiblement industrialisé, le Népal figure parmi les pays les plus pauvres du globe. Plus de 20 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, selon les statistiques officielles.
L’économie repose essentiellement sur l’agriculture et le tourisme de haute altitude, tandis que les infrastructures demeurent déficientes. Malgré une croissance du produit intérieur brut de 4,6 % en 2024-2025, en légère progression par rapport à l’année précédente (3,6 %), cette amélioration reste insuffisante pour répondre aux attentes d’une population jeun, l’âge médian est de 23 ans.
Chaque jour, environ 2 000 personnes quittent le pays pour chercher un emploi à l’étranger. Cette émigration massive a donné naissance à un véritable système mafieux, où des agences de recrutement endettent lourdement les candidats au départ en échange de visas et de promesses d’embauche. Près de 10 % des Népalais vivent désormais à l’étranger, et les transferts de fonds ont atteint 12,6 milliards de dollars (10,7 milliards d’euros) en 2024-2025, selon les données officielles.
L’émergence d’une figure nouvelle
Dans ce paysage bouleversé, une personnalité attire désormais l’attention : Balendra Shah, 35 ans, ingénieur civil de formation et ancien rappeur, élu maire indépendant de Katmandou en 2022. Connu pour sa lutte contre la corruption et sa popularité auprès des jeunes, il a rapidement apporté son soutien aux étudiants.
Tout en appelant à la retenue, Balendra Shah a exhorté la nouvelle génération à « prendre les rênes du pays » et a lancé un appel à l’engagement civique. Sa posture tranche avec celle des dirigeants traditionnels, perçus comme usés et éloignés des préoccupations de la jeunesse.
Pour l’heure, le Népal demeure plongé dans une incertitude profonde. L’armée tente de maintenir l’ordre, les réseaux sociaux ont été rétablis et une enquête sur les violences policières a été annoncée. Mais la perspective de « vacance du pouvoir », selon l’expression reprise dans la presse népalaise, continue d’alimenter les inquiétudes.