Sentinelle : quand la France importe les tensions du Moyen-Orient

Où est ton fusil ? Où est ton arme ? C’est au rythme de cette lancinante question que les Français assistent aujourd’hui à un déploiement militaire sans précédent. L’opération Sentinelle déambule dans nos rues, fusil en bandoulière, regard scrutateur, et pourtant… la menace demeure, insaisissable. 

Janvier 2015. Les attentats de Charlie Hebdo et  de l’HyperCacher secouent la France. La réponse politique ne se fait pas attendre : 10 000 militaires sont déployés sur le territoire national pour rassurer une population terrorisée. L’opération Sentinelle est née. Dix ans plus tard, ces sentinelles sont toujours là, silhouettes kaki familières dans notre paysage urbain. Et voilà qu’au lendemain des frappes israéliennes en Iran, le duo Macron-Retailleau annonce le renforcement de ce dispositif militaire. Une décision qui mérite qu’on s’y attarde, tant elle révèle les contradictions de notre politique.

L’opération Sentinelle, c’est avant tout une réponse militaire à une menace terroriste. Des soldats formés au combat conventionnel se retrouvent à patrouiller devant des écoles, des lieux de culte, des bâtiments officiels. Une mission qui n’a jamais vraiment convaincu les stratèges militaires. Dès 2017, les critiques fusaient : coût exorbitant, efficacité douteuse. En 2022, la Cour des comptes enfonçait le clou avec un rapport cinglant, évoquant un dispositif qui aurait coûté plus de deux milliards d’euros pour un bilan plus que mitigé.

L’escalade de juin 2025

Mais l’argument sécuritaire l’emporte toujours, et c’est ainsi que le 13 juin 2025, Emmanuel Macron annonce un « renforcement » du dispositif Sentinelle, « pour faire face à toutes les potentielles menaces sur le territoire national ». Dans la foulée, Bruno Retailleau adresse une circulaire aux préfets détaillant les mesures à appliquer immédiatement. La raison invoquée ? Les tensions croissantes au Moyen-Orient, après les frappes israéliennes contre des sites militaires et nucléaires iraniens.

Revenons un instant sur cette escalade qui menace d’embraser tout le Moyen-Orient. Israël, sous prétexte d’éliminer une menace nucléaire, a lancé des frappes d’une ampleur sans précédent sur le territoire iranien. L’opération « Rising Lion » a ciblé des installations nucléaires, mais aussi des résidences de hauts responsables militaires. En réponse, l’Iran a tiré plusieurs vagues de missiles balistiques sur Israël. Nous assistons impuissants à un engrenage de la violence qui semble sans fin.

Les contradictions de la diplomatie française

Face à cette situation, la position de la France est ambivalente. D’un côté, Emmanuel Macron assure que notre pays « participerait aux opérations de défense d’Israël si elle est en situation de le faire », tout en précisant qu’il « n’envisage aucunement de participer à toute opération offensive ». De l’autre, il décide de reporter la conférence internationale franco-saoudienne pour la reconnaissance d’un État palestinien, initialement prévue le 17 juin à New York.

Ce report est révélateur des contradictions de notre diplomatie. Alors que Macron avait réitéré sa « détermination à reconnaître l’État de Palestine » le voilà qui recule au premier coup de semonce israélien. Cette conférence devait pourtant marquer une étape décisive vers la mise en œuvre de la solution à deux États, seule issue viable à un conflit qui n’a que trop duré.

Pendant ce temps, à Gaza, la situation humanitaire se dégrade. Plus de 52 000 Palestiniens ont été tués depuis octobre 2023. Le blocus imposé depuis mars 2025 a paralysé les efforts humanitaires. L’UNICEF alerte sur le risque de famine qui menace des milliers d’enfants innocents. Selon les Nations unies, les trois quarts de la population gazaouie font face à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire.

L’import des tensions géopolitiques

Le renforcement de l’opération Sentinelle sur notre territoire est ainsi le symptôme d’une politique étrangère qui hésite entre soutien à Israël et défense du droit international. En mobilisant nos militaires pour protéger synagogues et écoles juives, nous importons sur notre sol les conséquences d’un conflit que notre diplomatie n’a pas su endiguer.

Les soldats de Sentinelle se retrouvent ainsi otages d’une situation qu’ils n’ont pas créée. Comme le chante Maître Gims : « J’ai vu ces gens me tendre la main, je me suis vu leur prendre tous leurs biens ». N’est-ce pas ce que nous faisons collectivement en abandonnant le peuple palestinien à son sort, tout en prétendant défendre la paix ?

Le report de la conférence sur la solution à deux États est d’autant plus regrettable qu’elle représentait une lueur d’espoir. Cette conférence devait permettre d’élaborer des recommandations concrètes pour faire avancer la résolution du conflit israélo-palestinien. En cédant aux pressions et en privilégiant une posture de soutien à Israël, la France renonce à son rôle de puissance équilibrée au Moyen-Orient.

Le miroir de nos contradictions

Car ne nous y trompons pas, le renforcement de Sentinelle n’est pas qu’une mesure de sécurité intérieure, c’est aussi un message politique. En mobilisant nos forces pour protéger prioritairement les sites de la communauté juive, comme l’a explicitement demandé Retailleau dans son télégramme aux préfets, notre gouvernement prend parti dans un conflit où la neutralité devrait être de mise.

Cette partialité est d’autant plus frappante que l’opinion publique française est divisée. Si une majorité de Français reconnaît le caractère terroriste des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, ils sont aussi nombreux à condamner la riposte disproportionnée d’Israël à Gaza. Selon un récent sondage de l’IFOP, 59% des Français estiment que la responsabilité du conflit incombe à la fois à Israël et au Hamas. 

L’opération Sentinelle devient ainsi le miroir de nos contradictions : une force militaire déployée sur notre sol pour nous protéger d’un terrorisme dont les racines plongent dans des conflits que notre diplomatie alimente par son inaction ou ses revirements. 

Vers une impasse sécuritaire

« Mais pourquoi on s’aime si on sème la haine ? » s’interroge encore Gims. Une question que nos dirigeants devraient méditer avant de reporter une conférence sur la paix tout en renforçant un dispositif militaire qui ne fait que constater notre échec collectif à construire un monde plus juste.

Car l’opération Sentinelle n’est qu’un pansement sur une plaie béante. Elle rassure peut-être temporairement une population inquiète, mais elle ne résout en rien les causes profondes de l’insécurité. Tant que la France n’assumera pas pleinement son rôle dans la résolution du conflit israélo-palestinien, elle continuera à importer sur son sol les tensions du Moyen-Orient.

En ces temps troubles, rappelons-nous que la Palestine n’est pas qu’un lointain territoire en guerre, c’est aussi une cause universelle, celle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et si nos soldats continuent de patrouiller dans nos rues, arme au poing, n’oublions pas qu’ailleurs, d’autres aspirent à vivre en paix sur leur terre palestinienne. 

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