Depuis 2011, la Syrie est au cœur d’un conflit complexe et meurtrier, où aspirations populaires, affrontements militaires et rivalités géopolitiques s’entrelacent. Alors que le pays semblait s’enfoncer dans une guerre d’usure sans vainqueur, une offensive spectaculaire menée par les rebelles de Hayat Tahrir al-Cham (HTS) a récemment bouleversé les équilibres. La chute d’Alep, en seulement quatre jours, a marqué un tournant dans ce conflit.
En mars 2011, à Deraa, des manifestants descendent dans les rues pour réclamer des réformes démocratiques et dénoncer la corruption du régime de Bachar al-Assad. Ces protestations, réprimées dans le sang, déclenchent un cycle de violence qui ne cessera de s’amplifier. La révolte, d’abord pacifique, se militarise rapidement sous l’impulsion de défections au sein de l’armée et de la montée en puissance de groupes armés.
Le régime syrien, déterminé à conserver le pouvoir, répond par une répression implacable. Parallèlement, l’opposition se divise en factions disparates, allant des rebelles laïques aux groupes islamistes radicaux. Cette fragmentation entraîne une multiplication des fronts. L’entrée en scène de puissances étrangères complique davantage la situation : l’Iran et la Russie interviennent pour soutenir Damas, tandis que les États-Unis, la Turquie et les pays du Golfe épaulent certaines forces rebelles.
En 2014, le conflit prend une nouvelle dimension avec l’apparition de l’État islamique (EI). Profitant du chaos, cette organisation jihadiste s’empare de vastes territoires en Syrie et en Irak, proclamant un « califat ». La lutte contre l’EI devient la priorité internationale, reléguant au second plan le combat entre Assad et ses opposants.
Malgré ces bouleversements, Bachar al-Assad parvient à conserver le contrôle d’une grande partie du territoire. Avec le soutien décisif de la Russie à partir de 2015, son armée reprend des positions stratégiques, notamment Alep en 2016. Néanmoins, certaines régions, comme la province d’Idlib, restent hors de sa portée, sous domination du HTS. Ce groupe, fondé en 2017 après la fusion de six factions rebelles syriennes, s’impose par sa discipline et sa stratégie, établissant un « gouvernement » autoproclamé : le Gouvernement de salut syrien. Ce dernier administre la région, avec une police et des institutions qui ont pris le pas sur les conseils locaux.
Un nouveau tournant avec l’offensive rebelle de 2024
Après des années de guerre d’usure, la Syrie semblait s’installer dans un statu quo instable. Mais le 27 novembre, HTS, sous la direction d’Abou Mohammed al-Joulani, lance une offensive fulgurante depuis Idleb. L’opération, nommée « Dissuasion de l’agression », débute par des attaques massives sur Alep, une ville qui symbolisait autrefois la victoire du régime syrien.
En seulement une semaine, les rebelles prennent le contrôle de la ville, malgré des combats de rue intenses et des bombardements incessants. Le bilan est déjà lourd : 727 morts, dont 111 civils. Dans une vidéo diffusée sur Telegram, Abou Mohammed al-Joulani appelle à une « conquête sans vengeance » et évoque le désir de refermer les plaies ouvertes en 1982, lors de la répression sanglante de Hama par le régime d’Hafez al-Assad, père de l’actuel président. Ce massacre, ayant causé des dizaines de milliers de morts, reste gravé dans la mémoire collective comme un épisode brutal de l’histoire syrienne.
Un régime fragilisé face à une armée démoralisée
La prise d’Alep révèle la profonde fragilité du régime syrien. Les soldats loyalistes, épuisés par plus de dix ans de guerre, sont démoralisés par des conditions de vie désastreuses. Payés à peine 20 dollars par mois pour les simples soldats et 80 dollars pour les officiers – une misère dans un pays en crise économique –, ils manquent de nourriture, de carburant et d’équipement. Avant l’offensive, plusieurs chars stationnés à Alep étaient hors d’usage, faute de carburant.
La corruption ronge également l’armée. Des officiers détournent les fonds destinés aux troupes, aggravant leur désillusion. Privés de soutien, environ 1 500 soldats syriens ont accepté de déposer les armes et de rentrer chez eux sous la protection offerte par HTS, un coup dur pour le moral des forces pro-Assad.
Cette débâcle expose également la fragilité des soutiens internationaux du régime. La Russie, concentrée sur son conflit en Ukraine, a réduit son engagement en Syrie. L’Iran, sous pression des sanctions économiques et des frappes israéliennes, ne peut plus apporter une aide significative. Même le Hezbollah, traditionnel allié de Damas, semble s’être retiré pour gérer ses propres priorités au Liban.
Bachar Al-Assad en fuite, les rebelles proclament Damas libre
La chute d’Alep ouvre une nouvelle phase dans le conflit syrien. Les rebelles pourraient capitaliser sur leur succès pour tenter une avancée vers Homs ou même Damas, mettant directement en péril le régime d’Assad. De son côté, le gouvernement syrien pourrait tenter une contre-offensive, mais les chances d’une victoire rapide paraissent faibles, tant l’armée est affaiblie.
Dans la nuit du 7 au 8 décembre, le groupe HTS a pris possession de Homs et le matin même, Damas, est entre leurs mains. Bachar Al-Assad a fuit marquant la fin d’un règne de 24 ans. Les rebelles syriens ont annoncé la chute de Bachar Al-Assad sur la télévision publique, le qualifiant de « tyran ». Ils déclarent avoir libéré les prisonniers politiques et appellent à préserver les biens de l’État. Plus tôt, ils avaient proclamé la « libération » de Damas via Telegram, affirmant qu’Assad avait quitté le pays depuis l’aéroport international de la capitale.
Rami Abdel Rahmane, de l’OSDH, confirme cette fuite, tandis qu’Abou Mohammed Al-Jolani, chef de la coalition rebelle HTS, exhorte ses forces à ne pas toucher aux institutions publiques, sous contrôle du Premier ministre en attendant une transition officielle. Une nouvelle ère semble s’ouvrir pour la Syrie.