Ces derniers mois resteront gravés dans l’histoire de la Corée du Sud. Le président Yoon Suk-yeol a pris une décision : proclamer la loi martiale. Une mesure qui a provoqué une onde de choc parmi la population, encore marquée par les souvenirs douloureux des répressions passées.
La loi martiale en Corée du Sud consiste à suspendre l’autorité civile au profit d’un contrôle militaire total, habituellement réservé à des situations de crise extrême, telles que des guerres ou des insurrections graves. Cette mesure n’avait pas été mise en œuvre depuis 1979, lors de la dictature militaire de Chun Doo-hwan. Les habitants de Gwangju, en particulier, gardent en mémoire le massacre de mai 1980, lorsqu’une insurrection contre la loi martiale fut brutalement réprimée, causant plus de 200 morts et près de 1 800 blessés selon les chiffres officiels.
Ces souvenirs de répression ont alimenté l’indignation nationale lorsque Yoon Suk-yeol a annoncé sa décision de recourir à cette mesure exceptionnelle le 3 décembre, qui a duré 6 heures.
Une justification peu convaincante
Officiellement, Yoon Suk-yeol affirmait vouloir protéger le pays d’une menace imminente venue de la Corée du Nord. Mais cette justification peinait à convaincre, autant du côté de la population que des analystes. Depuis avril, le président se trouvait en conflit avec un parlement dominé par l’opposition, rendant impossible l’adoption de ses réformes. Isolé et sous pression, il avait accusé ses adversaires de chercher à renverser le régime.
Le soir du 3 décembre, à 22 heures, la proclamation de la loi martiale s’est traduite par l’instauration de couvre-feux, la suspension des libertés civiles et des arrestations sans mandat. Des troupes militaires ont été mobilisées pour prendre le contrôle du Parlement. Des scènes de chaos s’en sont suivies lorsque 280 militaires ont brisé les fenêtres du bâtiment et affronté le personnel parlementaire barricadé. À l’extérieur des milliers de manifestants pro-démocratie exprimaient leur colère.
Malgré cette tentative de contrôle, l’opposition parlementaire a réussi à adopter une résolution exigeant la levée de la loi martiale. Le 14 décembre, Yoon Suk-yeol a été officiellement destitué de ses fonctions.
Yoon Suk-yeol, le président déchu
Le 31 décembre, un mandat d’arrêt a été émis contre Yoon Suk-yeol pour insurrection, un crime passible de la prison à vie, voire de la peine de mort. L’immunité présidentielle ne protège pas un chef d’État lorsqu’il s’agit d’insurrection, de trahison ou d’infraction grave. Une première tentative d’arrestation le 3 janvier a échoué en raison de la résistance de sa garde présidentielle. Finalement, il a été appréhendé et placé en détention préventive à Séoul, les autorités invoquant un « risque continu de destruction de preuves ».
Ses avocats ont mis en garde contre une potentielle réaction violente de ses partisans, évoquant la possibilité d’une guerre civile.
Le 15 janvier, il est devenu le premier chef d’État en exercice à être arrêté
D’autres dirigeants sud-coréens ont connu des destitutions : Park Geun-hye et Roh Moo-hyun. Park Geun-hye a été destituée en deux étapes : d’abord par l’Assemblée nationale le 9 décembre 2016, puis confirmée par la Cour constitutionnelle le 10 mars 2017, après un scandale de corruption et de trafic d’influence. Elle est devenue la première présidente sud-coréenne à être destituée.
Roh Moo-hyun, quant à lui, a été destitué en mars 2004 par l’Assemblée nationale, suite à des accusations de violation de la neutralité électorale et de corruption. Cependant, la Cour constitutionnelle a annulé cette destitution après qu’il a fait appel de la décision, ce qui lui a permis de conserver son poste.
La politique monte à la tête
Né en 1960 à Séoul, Yoon Suk-yeol a entamé sa carrière en tant que procureur en 1994. Il s’est forgé une réputation d’incorruptible, notamment en s’attaquant à des figures politiques et économiques de premier plan. Sa nomination en tant que procureur général en 2019 avait renforcé sa notoriété.
Sa victoire à l’élection présidentielle de 2022 avait suscité l’espoir. Il a promis une politique ferme envers la Corée du Nord et un rapprochement avec les États-Unis.Pourtant, son mandat avait rapidement pris des allures de champ de bataille politique, le parlement bloquant systématiquement son agenda.
L’avenir politique de la Corée du Sud repose désormais entre les mains de la Cour constitutionnelle, qui doit statuer sur la validité de la destitution de Yoon. Les huit membres de la Cour constitutionnelle disposent jusqu’à la mi-juin pour valider cette sanction et prononcer son éviction définitive, ou bien pour rétablir son mandat. Pour confirmer la déchéance, six voix seront nécessaires. Si la destitution est confirmée, de nouvelles élections devront être organisées.
Cette crise ne constitue pas seulement une page noire de la présidence de Yoon Suk-yeol qui reste aux manettes pour au moins 60 jours mais interroge sur l’avenir de la démocratie sud-coréenne, encore fragile face aux abus de pouvoir. Une chose est sûre : l’Histoire est en marche en Corée du Sud. Pour les citoyens comme pour les observateurs internationaux, il est essentiel de suivre, analyser et ne jamais oublier les leçons que cette crise et les précédentes donnent.