Zevent : Impossible n’est pas français

Seize millions d’euros. Le chiffre tombe dimanche soir à une heure du matin, dans l’indifférence générale des médias traditionnels, pendant que France Télé rediffusait ses sempiternelles séries dominicales. Pourtant, dans un palais des congrès montpelliérain transformé en QG de la solidarité numérique, l’histoire venait de basculer. Le Zevent 2025 explosait tous les records mondiaux de générosité en ligne, détrônant même l’empire MrBeast et ses 12 millions de dollars.

« C’est incroyable ce qu’on vit. J’ai tellement de chance de faire ce que je fais et de le faire grâce à vous », lâche Adrien Nougaret, alias ZeratoR, les larmes aux yeux devant ses caméras. Difficile d’imaginer qu’il y a neuf ans, le même homme organisait dans son sous-sol montpelliérain le « Projet Avengers », premier nom de cette révolution caritative. 170 770 euros récoltés, 17 streamers, 34 heures de direct. À l’époque, on était loin du rouleau compresseur actuel. 

Comme souvent dans l’histoire des grands mouvements populaires, tout commence par un appel. En 2016, face aux sécheresses éthiopiennes, un streamer belge lance Gaming for Good. ZeratoR répond présent, fédère sa communauté, et sans le savoir, pose les bases de ce qui deviendra le plus gros événement caritatif français sur Internet. « Avenger un jour, avenger toujours ! », comme le rappellent les nostalgiques de la première heure.

Car l’ascension est fulgurante : 451 851 euros en 2017 pour la Croix-Rouge après l’ouragan Irma, puis le premier million franchi en 2018. 2019 marque l’entrée dans la cour des grands avec 3,5 millions pour l’Institut Pasteur, avant les 5,7 millions de 2020 en pleine pandémie. Depuis 2021, le Zevent caracole autour des 10 millions, devenant « le plus gros événement caritatif au monde sur Twitch ».

16 millions d’euros : la claque américaine

Mais 2025, c’est autre chose. Une déflagration. En cinquante heures chrono, 325 streamers français pulvérisent le record américain de MrBeast. « On a explosé son propre record. Il s’agit désormais du marathon caritatif en ligne le plus lucratif de l’histoire », confirme L’Eclaireur. Un camouflet pour l’hégémonie philanthropique outre-Atlantique, où Jimmy Donaldson règne en maître avec ses 432 millions d’abonnés YouTube.

« Ce week-end, tous les regards étaient tournés vers le ZEVENT 2025 », note ActuStream. Et pour cause : dès le premier jour, les compteurs s’affolent. Le million d’euros tombe en 2h53 chrono, du jamais-vu. Le soir même, Angle Droit, streameuse clermontoise jusque-là confidentielle, encaisse 50 000 euros d’un coup, don anonyme le plus important de l’histoire de l’événement. « On a enquêté toute la nuit pour voir si c’était un vrai donateur », raconte ZeratoR, encore sous le choc.

Le dimanche soir, quand l’organisateur annonce avoir dépassé les 10 millions à 20h30, « des streameuses se jetent dans une piscine à balles sous une pluie de confettis ». L’euphorie est totale. Sur les réseaux, les témoignages affluent : « Notre génération est incroyable ! », « Chaque année c’est un record ! Mais là ça a atomisé les précédents ! ».

Samuel Etienne et l’art du don de soi

Car derrière les chiffres, il y a les hommes. Et leurs folies. Samuel Etienne, présentateur de Questions pour un champion, s’est fait tatouer un dragon dans le dos pendant des heures, face caméra, pour atteindre son palier de 500 000 euros. « J’y crois vraiment au million parce que l’an dernier, j’avais été étonné du niveau qu’on avait atteint », confie-t-il à France Inter. Pari réussi : il termine à 403 041 euros, et promet de se présenter à la présidentielle si les dons atteignent le million.

Domingo, le roi des cagnottes avec 1 478 766 euros récoltés, proposait quant à lui un cours d’opéra pour 75 000 euros. Antoine Daniel, l’éternel second avec 1 218 554 euros, multipliait les donation goals déjantés : « 600 000€ : On monte le plus haut sommet de Bretagne (385 mètres) avec JDG (Oxygène + Sherpas), une immense aventure humaine ».

« Merci Julie pour tes 2 euros, merci Anonymous pour tes 500 balles ! », scandent les streamers à intervalles réguliers. Car c’est aussi ça, le Zevent : un mélange détonant entre la course aux millions et la reconnaissance de chaque petit don, chaque geste solidaire.

La France d’en bas contre l’Amérique d’en haut

« J’en ai ras le cul qu’il [Macron] fasse sa promo sur notre putain de dos », crachait déjà Antoine Daniel en 2022, après le traditionnel tweet présidentiel de félicitations. Cette année, pas de message officiel. L’Élysée boude-t-il ? Peu importe : le peuple français a parlé.

Car au-delà des polémiques, le Zevent révèle une France qu’on ne voit jamais dans les médias dominants. Celle de « Sylvain, 32 ans, développeur web à Nantes » qui lâche « 500 balles pour la Ligue contre le cancer, ma grand-mère en est morte l’an dernier ». Celle de « Marine, étudiante à Strasbourg » qui « donne mes 50 euros d’économies, c’est moins qu’un resto mais c’est avec le cœur ».

Florent Groberg, sociologue spécialiste des cultures numériques, y voit « l’émergence d’une solidarité horizontale, qui court-circuite les institutions traditionnelles ». De fait, quand les politiques bafouillent sur l’hôpital public, les streamers agissent. « Merci aux soignants, aux aidants, aux personnes qui font en sorte que les parcours de soins se passent bien », témoigne Angle Droit, avant d’ajouter : « Les personnes à qui on peut en vouloir, ce sont ceux qui ont détruit l’hôpital public ces dernières années ».

Drôle d’époque que la nôtre, où la charité devient spectacle et le spectacle, nécessité. Jimmy Donaldson, alias MrBeast, a théorisé cette économie de l’attention caritative. Ses Beast Games à 10 millions de dollars de prix, ses visites de plateaux facturées 100 000 dollars, son *Team Water* qui vise 40 millions pour l’accès à l’eau potable : l’Américain a industrialisé la générosité.

« Hey, les milliardaires ! J’aimerais beaucoup prendre une partie de votre insondable richesse et l’utiliser pour réaliser n’importe quel projet philanthropique », lance-t-il sur X. Modèle fascinant et inquiétant à la fois, où les inégalités génèrent leur propre antidote médiatique. MrBeast, héritier digital des grandes fondations américaines, de Carnegie à Gates, mais en mode TikTok.

Le Zevent français, lui, reste artisanal. Communautaire. « C’est français 🇨🇵 », revendique un donateur sur Instagram. Pas d’ego démesuré, pas de call aux milliardaires. Juste des streamers qui « se débrouillent avec les moyens du bord » pour faire du bien, comme dirait l’autre.

57 millions d’euros plus tard

Depuis 2016, le Zevent a récolté plus de 57 millions d’euros. Sea Shepherd a pu acheter un nouveau bateau, un hôpital de Centrafrique a été financé. Cette année, huit associations se partageront les 16 millions : la Ligue contre le cancer, l’Association française des aidants, Nightline, Helebor, Le Rire Médecin, Sourire à la Vie, L’Envol et Sparadrap.

« Vous faites de nos vies un rêve, on essaie d’embellir les vôtres », conclut ZeratoR dans son message final, reprenant une phrase qu’il avait déjà prononcée dans un précédent live. Formule éculée ? Peut-être. Mais qui sonne juste dans un monde où la solidarité institutionnelle s’effrite.

Car c’est bien ça, l’enseignement du Zevent 2025 : quand les États se désengagent, quand les politiques déçoivent, les citoyens inventent leurs propres solutions. Imparfaites, chaotiques, parfois exclusives, mais redoutablement efficaces. L’Internet français vient de donner une leçon d’humanité au monde entier. Et ce n’est sans doute qu’un début.

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