Le 10 septembre, une journée d’arrêt du pays est annoncée sous le mot d’ordre « bloquons tout ». Né sur les réseaux sociaux au printemps, ce mot d’ordre s’est diffusé largement à la faveur de la contestation suscitée par le plan budgétaire du gouvernement Bayrou. Hétérogène et sans direction claire, le mouvement inquiète par son imprévisibilité.
Le mot d’ordre « bloquons tout » apparaît pour la première fois à la fin du mois de mai 2025, au sein d’un canal Telegram baptisé Les Essentiels. À l’origine de cette initiative, Julien Marissiaux, concepteur de sites Internet et fondateur d’un café associatif à Morbecque, dans le Nord, qui avait choisi de rebaptiser son établissement du même nom. Dès ses premières publications, ce canal appelait à « arrêter la France », en diffusant un mélange de messages liés au « ras-le-bol français », à la défense des gilets jaunes, au soutien aux TPE-PME ou encore au Frexit.
Très vite, l’appel s’est diffusé au-delà de ce cercle initial. Des vidéos relayées sur TikTok et YouTube, certaines créées par intelligence artificielle, ont amplifié la portée du mouvement. Une séquence publiée le 11 juillet, annonçant une « alerte au confinement général et illimité », a franchi le seuil des 40 000 vues. Au cours de l’été, le slogan « bloquons tout » a circulé sur l’ensemble des plateformes sociales, de Facebook à Instagram en passant par X et Telegram, sans qu’aucune organisation ne revendique de direction centrale.
Un catalyseur budgétaire
Si le slogan « bloquons tout » a trouvé un écho dans l’opinion, c’est en grande partie en raison de la présentation du plan budgétaire de François Bayrou. Celui-ci prévoit 44 milliards d’euros d’économies et évoque la suppression de deux jours fériés, mesure qui a suscité de vives critiques. Pour beaucoup, cette annonce symbolise un recul des droits sociaux dans un contexte déjà marqué par l’augmentation du coût de la vie et la fragilisation des services publics.
Ce projet budgétaire a joué le rôle de catalyseur, en concentrant des mécontentements qui s’exprimaient déjà depuis plusieurs années, à travers les mobilisations contre la réforme des retraites ou celles liées à la vie chère. Dans ce climat, l’appel à « bloquer tout » est apparu comme un mot d’ordre simple et radical, capable de rassembler des colères éparses.
Une mobilisation plurielle et difficile à cerner
Le mouvement « bloquons tout » se caractérise par son absence de structuration et par la diversité de ses soutiens. Il attire des profils très variés : militants issus de la gauche radicale, sympathisants de l’extrême droite, collectifs « antisystème » nés lors de la crise du Covid-19 ou encore anciens gilets jaunes. Cette hétérogénéité nourrit à la fois sa force d’attraction et son imprévisibilité.
Les finalités poursuivies diffèrent selon les participants. Certains revendiquent une hausse des salaires et des retraites, d’autres un boycott économique, tandis que certains groupes appellent à des formes de désobéissance civile. Sur Telegram, le canal Indignons-nous ! a pris une place centrale en rassemblant plusieurs milliers de membres et en encourageant l’organisation d’assemblées locales. Mais aucune coordination nationale claire n’a émergé, ce qui alimente l’incertitude sur l’ampleur réelle de la journée du 10 septembre.
Des actions envisagées dans de multiples secteurs
L’appel à se traduit par une grande variété de modes d’action. Certains messages incitent à la grève et à l’arrêt du travail, malgré la perte de salaire que cela suppose. D’autres promeuvent l’idée d’un « confinement volontaire », consistant à rester chez soi sans déplacements ni consommation.
Le boycott économique occupe également une place importante dans les discussions, avec des appels à ne pas utiliser la carte bancaire ou à limiter ses achats. Des blocages physiques sont évoqués, en nostalgie aux gilets jaunes, visant aussi bien les routes et les ronds-points que le périphérique parisien, les gares, les aéroports, les raffineries ou les entrepôts logistiques. L’occupation de bâtiments publics et le sabotage de radars routiers figurent également parmi les scénarios mentionnés. Dans l’éducation, l’Union syndicale lycéenne appelle au blocus des établissements scolaires et espère entraîner une mobilisation étudiante.
Des syndicats divisés, des partis en position d’arbitre
L’intersyndicale nationale, qui regroupe la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, la FSU et Solidaires, a choisi de se mobiliser le 18 septembre contre le budget Bayrou. Toutefois, plusieurs fédérations sectorielles ont déjà annoncé leur engagement pour le 10 septembre. La CGT-Cheminots appelle à une grève massive, soutenue par SUD-Rail et par le syndicat La Base à la RATP. Dans le secteur aérien, SUD-Aérien a annoncé sa participation. Les syndicats hospitaliers de l’AP-HP, ainsi que l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, ont également fait savoir qu’ils rejoindraient le mouvement.
Sur le terrain politique, La France insoumise se présente comme l’un des soutiens les plus actifs du mot d’ordre « bloquons tout ». Jean-Luc Mélenchon appelle à « une offensive déterminée » contre le gouvernement, tandis que certains députés de son mouvement encouragent les blocages dans les établissements scolaires et universitaires. Le Parti socialiste adopte une attitude plus prudente, préférant rester dans le cadre fixé par l’intersyndicale. Le Rassemblement national exprime quant à lui sa compréhension de la colère sociale, mais refuse de s’impliquer directement dans l’organisation.
Une réponse gouvernementale placée sous le signe de la vigilance
Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, estime que le 10 septembre ne devrait pas donner lieu à « un mouvement d’ampleur », mais il dit s’attendre à des « actions spectaculaires ». Dans une circulaire envoyée aux préfets, il demande la mobilisation des forces de l’ordre afin de prévenir tout blocage des infrastructures jugées essentielles, comme les raffineries, les établissements scolaires ou les bâtiments publics.
L’exécutif redoute particulièrement les perturbations dans les transports et la logistique, ainsi que l’apparition d’actions dispersées et difficilement contrôlables. Le caractère horizontal du mot d’ordre « bloquons tout » inquiète les services de renseignement, qui y voient un facteur de risque supplémentaire.
Le symptôme d’une fracture politique et sociale
Au-delà du 10 septembre, le slogan « bloquons tout » illustre une crise plus profonde. Depuis juin 2024, la vie politique française est marquée par une paralysie institutionnelle et une défiance croissante envers les responsables politiques. Le rejet des alternances successives, la perception d’élites déconnectées et la montée d’un sentiment d’abandon nourrissent la défiance.
À l’image des gilets jaunes, ce mouvement témoigne de la capacité des réseaux sociaux à agréger des colères dispersées et à contourner les structures traditionnelles. Le 10 septembre pourrait ainsi constituer un révélateur des fractures sociales et politiques qui traversent le pays, même si son ampleur reste, à ce stade, impossible à prédire.