Fin de vie, le feu vert des députés

L’Assemblée nationale a adopté, le 27 mai, en première lecture, la proposition de loi sur la fin de vie. Portée par le député MoDem Olivier Falorni, cette réforme, si elle est définitivement adoptée, marquera une évolution importante dans le champ des libertés individuelles. Le texte prévoit un encadrement strict de l’accompagnement des malades souhaitant recourir à une substance létale.

Adopté par 305 voix contre 199 sur 504 votes exprimés, le texte a divisé l’hémicycle, partagé entre une gauche et un bloc central largement favorables, et une droite ainsi qu’une extrême droite majoritairement hostiles. Cinquante-sept députés se sont abstenus. En parallèle, l’Assemblée a voté à l’unanimité un texte renforçant les soins palliatifs. Le Premier ministre François Bayrou, traditionnellement réservé sur le sujet, a salué le « chemin de fraternité » ouvert par cette avancée législative, tout en exprimant ses interrogations personnelles. « Je me serais abstenu si j’avais été député », a-t-il déclaré, tout en affirmant sa confiance dans le travail parlementaire.

Le débat, qualifié de « respectueux et d’une grande qualité », a permis de délimiter les contours d’un dispositif encadré. La ministre de la Santé Catherine Vautrin a affirmé que le patient se trouve « au centre du processus » et que la liberté comme la dignité « ne s’arrêtent pas aux portes de la mort ».

Les fondements du droit à l’aide à mourir 

Le texte institue un droit à l’aide à mourir pour les personnes majeures, atteintes d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, provoquant des souffrances réfractaires aux traitements. Le patient doit être en mesure d’exprimer une volonté libre et éclairée. L’administration du produit létal, de préférence auto-administré, peut être effectuée par un professionnel de santé si le malade est physiquement incapable d’agir seul.

Le recours aux termes « suicide assisté » ou « euthanasie » a été écarté, les législateurs préférant une terminologie moins connotée. Néanmoins, la portée du texte revient à autoriser l’un et, à titre exceptionnel, l’autre. Le cadre procédural est rigoureux : demande formalisée, évaluation collégiale, information sur les soins palliatifs, avis psychologique proposé, et délai de réflexion obligatoire. Le patient peut se rétracter à tout moment.

Des garanties renforcées pour les patients et les soignants

Le texte assure au patient le droit de choisir le moment et les conditions de sa mort, tout en interdisant que celle-ci se déroule dans un lieu public. Les frais sont pris en charge par l’Assurance maladie. Le recours devant le juge administratif est ouvert au seul patient, à l’exclusion de ses proches (hors majeurs protégés).

Pour les professionnels de santé, une clause de conscience est instaurée. Les praticiens opposés à la procédure devront orienter le patient vers un confrère volontaire. Une commission spécialisée supervisera le dispositif, tandis que la HAS (Haute Autorité de Santé) et l’ANSM (Agence Nationale de la Sécurité du Médicament) seront chargées de définir les protocoles et substances autorisés.

Un délit d’entrave à l’aide à mourir est créé, pénalisant les tentatives d’empêcher une personne d’accéder à ce droit ou de s’informer, y compris en ligne. Les propos tenus dans un cadre familial ou amical sont explicitement exclus du champ d’application. La peine encourue peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Cette mesure suscite des inquiétudes chez une partie des soignants et des députés opposés au texte, qui se demandent jusqu’où ira son interprétation et craignent que cela n’éloigne les professionnels se sentant en insécurité juridique. Certains estiment qu’il est « curieux de vouloir sanctionner lourdement quelqu’un qui propose une autre solution que la mort ».

Évolution de la législation française sur la fin de vie

La proposition de loi s’inscrit dans une longue évolution législative amorcée dès les années 1990. La loi Évin de 1991, suivie de celle de 1999, a reconnu l’accès aux soins palliatifs comme un droit fondamental. En 2002, la loi Kouchner a affirmé le droit de chaque patient à refuser un traitement, sans toutefois se prononcer explicitement sur la fin de vie.

Un tournant s’opère avec la loi Leonetti de 2005, qui interdit l’obstination déraisonnable, autorise l’arrêt des traitements sous conditions et introduit la notion de directives anticipées. En 2016, la loi Claeys-Leonetti vient compléter ce dispositif. Elle rend les directives anticipées contraignantes pour les médecins et crée un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, dans le cas de souffrances insupportables lorsque la mort est inéluctable à court terme.

Cette trajectoire législative témoigne d’un mouvement progressif vers la reconnaissance des droits des patients en fin de vie, dans une logique de soulagement de la souffrance et de respect de l’autonomie. Parallèlement, plusieurs pays occidentaux (Belgique, Espagne, Autriche, Suisse, Pays-Bas, Luxembourg, Canada, certains États américains…) ont franchi une étape supplémentaire en légalisant l’euthanasie et/ou le suicide assisté, ce qui alimente aujourd’hui le débat français.

Un bouleversement démocratique et éthique salué et contesté

Du côté des partisans, l’émotion dominait. « Un vote historique », selon Jonathan Denis (ADMD), tandis qu’Olivier Falorni louait « une belle loi républicaine » ancrée dans les valeurs de la République.

Les opposants, eux, s’inquiètent d’un changement profond de la mission médicale. La SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs)  redoute une « nouvelle norme du mourir », dans un contexte de fragilité de l’offre de soins. La Conférence des évêques de France a mis en garde contre une rupture du pacte social, et plusieurs députés, comme Philippe Juvin, plaident pour une société qui « aide à vivre ».

Parmi les 199 députés qui se sont opposés à la loi créant un droit de fin de vie :

  • 101 députés du Rassemblement national 11 députés du groupe Ensemble (contre 64 pour et 14 abstentions),
  • 1 députée de La France insoumise 
  • 4 députés socialistes 
  • 34 députés du groupe Droite républicaine,
  • 1 députée du groupe Ecologiste et social
  • 9 députés du groupe Démocrates 
  • 13 députés Horizons 
  • 3 députés du groupe LIOT 
  • 1 député du groupe Gauche démocrate et républicaine,
  • l’ensemble des 16 députés du groupe UDR, conduit par Éric Ciotti,
  • et 5 députés non inscrits 

Un processus législatif encore en cours et un calendrier incertain

La proposition de loi doit encore être examinée par le Sénat, potentiellement dès l’automne 2025, avant un éventuel retour à l’Assemblée pour de nouvelles lectures. La ministre de la Santé espère une adoption définitive d’ici à 2027. Plusieurs décrets d’application seront nécessaires pour la mise en œuvre du texte, qui s’étendra également aux collectivités d’outre-mer par ordonnance.

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