Qui est donc Sébastien Lecornu, 39 ans, qui vient de décrocher le pompon de Premier ministre ? Un pur produit de l’ambition française, taillé dans le marbre des opportunistes politiques.
Né d’une secrétaire médicale et d’un technicien aéronautique, le bonhomme a gravi les échelons avec la méthode d’un alpiniste en cordée : toujours regarder vers le sommet, et tant pis pour ceux qu’on piétine en chemin. À 19 ans, il devient le plus jeune assistant parlementaire de l’Assemblée nationale. À 22 ans, le plus jeune conseiller ministériel du gouvernement Fillon. À 28 ans, le benjamin des présidents de conseil départemental. Une ascension si fulgurante qu’elle donnerait le tournis à un cosmonaute de Baïkonour. Comme l’observe un de ses anciens compagnons de route : « Sébastien peut être très dur et méprisant avec tous ceux qu’il considère comme moins bon que lui ». Charmant programme pour diriger le pays.
Le parcours de Lecornu illustre parfaitement l’art français de la girouette politique. Militant UMP à 16 ans, fidèle de Bruno Le Maire, directeur de campagne adjoint de François Fillon, puis transfuge chez Macron dès 2017. Un CV qui ferait pâlir d’envie les plus grands contorsionnistes du Cirque Plume. « C’est le mec de droite que les gens de gauche aiment bien », résume un député macroniste. Traduction : c’est un homme de droite déguisé en centriste modéré, le parfait camouflage pour faire passer la pilule de la droitisation assumée de Renaissance.
Un ministre qui aime « l’ordre » et les gros chèques
Car Sébastien Lecornu, contrairement à ses prédécesseurs Barnier et Bayrou, n’aura aucun mal à avaler les couleuvres présidentielles. L’homme « aime l’ordre », comme il le confesse lui-même. Un aveu qui en dit long sur sa conception de la démocratie : circulez, il n’y a rien à débattre, le chef a parlé !
Cette obsession de l’ordre s’accompagne d’un petit faible pour les arrangements financiers douteux. Notre nouveau Premier ministre a déjà eu maille à partir avec la justice pour « prise illégale d’intérêts », 7 874 euros à rembourser à l’État. Sans compter l’affaire du « gros chèque » de 100 000 euros versé à un proche de Macron pour rédiger un livre sur le service militaire adapté, commande passée sans appel d’offres quand il était ministre des Outre-mer. Comme disait Audiard, autre passion commune avec Macron, « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. »
Le spécialiste des Outre-mer et autres territoires oubliés
En tant que ministre des Outre-mer, Lecornu s’est illustré par sa gestion pour le moins… créative des crises. Souvenons-nous de la Guadeloupe en 2021 : face à la colère sociale, notre homme propose tout bonnement l’autonomie de l’île. « D’après eux, la Guadeloupe pourrait mieux se gérer elle-même », explique-t-il alors, comme s’il s’agissait de refiler un dossier encombrant à un stagiaire. Une méthode qui consiste à répondre aux revendications sociales par des réponses institutionnelles : quand les gens ont faim, on leur propose de changer de constitution !
L’opposition de droite avait alors crié au « lâchage », Marine Le Pen accusait le gouvernement d’être « prêt à lâcher la Guadeloupe ». Rétrospectivement, on peut y voir un entraînement grandeur nature : Lecornu apprend à lâcher les territoires difficiles pour mieux se concentrer sur les dossiers qui comptent vraiment. Une philosophie politique qu’on pourrait résumer par « diviser pour mieux régner, abandonner pour mieux se maintenir ».
De Droite en République En Marche
Le plus fascinant chez Lecornu, c’est sa capacité à incarner la synthèse parfaite du macronisme tardif : l’alliance du cynisme de droite et du progressisme de façade. Cet ancien des Républicains n’a jamais caché sa filiation « séguiniste » ni ses tentations identitaires. Il dîne avec Marine Le Pen chez Thierry Solère, fréquente assidûment Gérald Darmanin, et cultive ses réseaux dans l’électorat populaire normand qui vote de plus en plus RN.
Bref, Lecornu incarne cette droite décomplexée qui a trouvé en Macron le véhicule idéal pour ses ambitions : suffisamment centriste pour rassurer la bourgeoisie parisienne, suffisamment sécuritaire pour ne pas effrayer les électeurs de Pécresse. « Entre protéger et libérer, il choisit la seconde occurrence », résume Le Monde. Et entre gouverner et servir, il choisit clairement la seconde option.
À quoi s’attendre du gouvernement Lecornu ?
Avec Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron s’offre enfin le luxe d’un Premier ministre à sa main. Fini les velléités d’indépendance d’un Barnier ou d’un Bayrou ! Le nouveau locataire de l’hôtel du Premier ministre aura pour mission principale de tenir jusqu’en 2027 sans faire de vagues, tout en préparant discrètement la succession présidentielle.
Côté gouvernement, on peut s’attendre à du recyclage en cascade. Bruno Retailleau devrait conserver l’Intérieur, les deux hommes « s’entendent très bien », histoire de maintenir cette fameuse « droitisation » dont se gargarise l’administration Macron. Les autres portefeuilles seront probablement distribués selon la méthode éprouvée : des techniciens discrets aux postes sensibles, des figures politiques aux ministères d’apparat. Car c’est bien là le génie de Lecornu : incarner l’efficacité technocratique tout en préservant les équilibres politiciens. Un gouvernement « de poids lourds avec des hommes et des femmes d’expérience », comme l’avait promis Bayrou, mais version discount et sans risque de contradiction.
En somme, avec la nomination de Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron réalise enfin son rêve : gouverner avec son double…