C’était écrit, prévisible, inéluctable. François Bayrou et son gouvernement ont chuté ce lundi 8 septembre, par un vote de confiance, une première depuis 1958. 364 députés ont refusé de lui accorder leur confiance, scellant le destin du maire de Pau après neuf mois à Matignon.
« Mais heuuuu ! » Cette onomatopée nasillarde résonnait chaque soir sur Canal+ à l’époque où les Guignols de l’Info faisaient de François Bayrou leur tête de Turc préférée. La grosse marionnette aux oreilles décollées et aux yeux rapprochés incarnait alors le prototype même du politicien tiède et inefficace. Qui aurait cru qu’un jour, cette caricature de latex prendrait les commandes de Matignon ? Comme le note Vie-publique, c’est « la première fois sous la Ve République qu’un gouvernement est renversé sur un vote de confiance ».
Ironie du sort : « Monsieur Bayrou voulait une heure de vérité, je crois qu’il l’a », s’est exclamée Mathilde Panot (LFI), saluant d’un ton railleur ce « véritable verdict populaire ». Le parti de gauche radicale jubile du verdict et évoque déjà une motion de destitution contre Macron. Manuel Bompard raille les socialistes prêts à « semer des illusions » s’ils croyaient intégrer le prochain gouvernement. Du côté des députés de gauche institutionnelle, le spectacle est plus grave : Boris Vallaud (PS) évoque un moment « triste » et « grave », tandis que Marine Tondelier (EELV) assure que le « programme du Nouveau Front populaire [parfaitement] nous va très bien » et appelle à « lever tous ensemble » la lame de fond citoyenne. À droite, Bruno Retailleau (LR) est catégorique: « Il est hors de question qu’on accepte un Premier ministre socialiste » reprenant mot pour mot la ligne officielle de LR. Laurent Wauquiez et d’autres républicains bloquent tout compromis avec le PS. De leur côté, les macronistes, sans doute fatigués eux aussi, pressent le chef de l’État de statuer sans attendre : comme l’a proposé Gabriel Attal, l’ex-Premier ministre LREM, on devrait nommer « un négociateur » afin de sceller un véritable accord d’intérêt général avant de revenir au vote sur un gouvernement.
Pendant ce temps, les élites tentent de calmer le jeu. Le président Macron a prévu de s’entretenir avec les chefs de parti pour convaincre la droite et la gauche de participer à la rédaction d’une « feuille de route » acceptée par tous. Dans cette atmosphère de tension extrême, le mot d’ordre est à la cohabitation d’un genre nouveau ou à la dissolution : Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à déclarer publiquement qu’il n’y a « pas d’autre solution » que de dissoudre la Chambre, opinion partagée par Marine Le Pen et Jordan Bardella qui appellent à une « dissolution ultra-rapide ». La perspective d’élections anticipées plane donc au-dessus de l’horizon politique comme une épée de Damoclès. Du côté de Bayrou, on essaie tant bien que mal de sauver les meubles. L’ex-maire de Pau, battu d’emblée par l’hémicycle qui réclamait son départ, avait pourtant promis : « Cette épreuve de vérité, comme chef du gouvernement, je l’ai voulue ». Mais en pratique la tribune de l’Assemblée fut une arène impitoyable et le score sans appel. Dès l’annonce, le ciel politique s’est assombri : le président Macron, prévenu, doit maintenant « nommer dans les tous prochains jours » un nouveau locataire à Matignon, murmuraient des proches de l’Élysée.
Au dehors, la colère gronde : syndicats, jeunes diplômés, ouvriers et classes moyennes préparent déjà la guerre sociale (manifs et grèves) contre un plan budgétaire jugé « saucissonné, cruel et d’une brutalité sans précédent ». Dans la rue et chez les citoyens, la déception est à son comble. Un sondage d’opinion (Ifop pour RTL en septembre) note que 82 % des Français jugent cette situation « navrante » et la classe politique incapable (Le Parisien). Les témoignages recueillis font état d’une fatigue démocratique : un quadragénaire de Nantes résume la pensée de beaucoup : « On ne veut plus changer de marionnette à Matignon, on veut changer de film politique ». Tous semblent d’accord sur un point : il ne suffit plus d’un simple remaniement technocratique, mais d’un virage de cap. Même ses partisans les plus obstinés reconnaissent aujourd’hui que le mandat Bayrou est un échec total 9 mois « de profond bonheur », répétait-il encore lors de son dernier discours, et qui s’achève en fiasco.
Le retour des Gilets Jaunes ?
Avant même que Bayrou ne morde la poussière parlementaire, la France bouillonnait déjà. Le mouvement « Bloquons tout », né sur les réseaux sociaux cet été, avait donné rendez-vous aux Français le 10 septembre pour une journée de protestation inédite. « On a fait des manifestations pour le mouvement des retraites. Il y avait 9 personnes sur 10 qui étaient contre. Et pourtant, la loi est passée quand même. Il y a un moment donné, il faut essayer autre chose », témoignait un manifestant à Besançon. Cette mobilisation citoyenne, marquée par une grève de la carte bleue et des blocages symboliques, préparait le terrain à la déflagration du 18 septembre. Car si le 10 était l’expression d’une colère spontanée, le 18 représente l’artillerie lourde du mouvement social. CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, FSU, Solidaires et UNSA : tous les syndicats de France ont appelé à une grève générale pour dire non au « musée des horreurs » budgétaire de Bayrou. « Les mesures présentées pour le budget sont inacceptables et d’une brutalité sans précédent », martelait l’intersyndicale dans un communiqué aussi unanime que cinglant. Programme comprenant notamment la suppression de deux jours fériés, des coupes dans les services publics et la remise en cause du Code du travail. Selon la CGT, plus de 600 actions de grève sont prévues sur tout le territoire le 10 septembre (énergie, transports, éducation, santé, …), ainsi qu’une « forte mobilisation » le 18 septembre à l’appel de tous les syndicats. Derrière ces appels résonne le ras-le-bol populaire : parmi les mots qui décrivent l’état d’esprit des Français, 64 % citent « l’inquiétude », 44 % « l’exaspération » et 42 % la « colère » face à la situation politique.
Le sort de Bayrou cristallise une défiance politique généralisée. Les enquêtes confirment un désenchantement record : d’après le Baromètre Cevipof 2025, seuls 26 % des Français déclarent avoir confiance dans la politique, un niveau extrêmement bas comparé à nos voisins européens. Par exemple, une étude souligne que 70 % des Français, tout comme 68 % des Italiens ou 63 % des Allemands, ne font pas confiance à leur gouvernement. Dans ce climat, chaque gouvernement est devenu instable. L’électorat, éclaté, ne soutient clairement aucun camp : l’Assemblée nationale est tripartite (gauche, centre macroniste, extrême droite) sans majorité absolue possible. « Il n’y a pas de majorité en France. Aucun des trois blocs n’a un soutien électoral qui lui permette d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale », résume le politologue Mathieu Gaillard (Ipsos). Cette impasse institutionnelle plombe toute action gouvernementale : élus et experts s’accordent à voir dans cette crise un symptôme de plus d’une Ve République qui ne trouve plus ses repères. Selon le politologue Rémi Lefebvre, on observe la fin d’un temps où le « fait majoritaire » gaullien assurait stabilité, aujourd’hui chaque alternance creuse davantage la défiance et fragilise le pouvoir central.
Ohé Ohé capitaine abandonné
À Matignon, Bayrou a fait ses valises, mais les supputations vont bon train sur son successeur. L’Élysée épluche les profils les plus variés, du technocrate au politique chevronné, pour espérer rassurer l’hémicycle. Parmi les noms évoqués :
Olivier Faure (PS) Le premier secrétaire socialiste se dit « volontaire » pour Matignon, vantant la nécessité d’un gouvernement de gauche capable de (re)négocier le budget. Il joue sa carte d’ouverture, misant sur un programme du « Nouveau Front populaire avec des compromis » pour séduire une partie des macronistes déçus.
Catherine Vautrin, l’ex-ministre (ex-LR, centriste) incarnait jusqu’ici la continuité. Un conseiller ironise qu’« elle a tout vu depuis un an, c’est son principal atout ». En revanche, être déjà dans le précédent gouvernement fait d’elle aussi la cible des opposants au « système Bayrou ».
Gérald Darmanin (LREM), Ministre de la Justice, il n’est officiellement « pas intéressé » à Matignon, mais reste dans les tuyaux comme recours. Même un sénateur LR le reconnaît comme un « homme qui pourrait être une solution de secours », grâce à son carnet d’adresses et sa maîtrise de l’administration. Son profil divise : apprécié pour la fermeté sécuritaire, décrié pour les affaires qui l’ont touché.
Éric Lombard, le ministre de l’Économie, ancien banquier passé du PS au centre, symbolise la compétence technocratique. « Un ex-banquier à Matignon, je n’achète pas », tonnait un élu de gauche au micro de BFMTV. Son pari : plaire aux modérés avec sa rigueur financière, quitte à effrayer les électeurs méfiants envers la finance.
Jean-Yves Le Drian, l’ancien ministre des Affaires étrangères sorti de la vie politique, pourrait représenter la solution « sage » et expérimentée, capable de rassurer les chancelleries européennes inquiètes de l’instabilité française.
Xavier Bertrand (LR), le président des Hauts-de-France, qui a déjà tenu tête au RN dans la rue (deux victoires régionales contre Marine Le Pen), séduit une partie de la droite « classe moyenne ». Très apprécié des centristes, il donnerait un signal fort à droite, mais les alliés du RN le craignent car il a souvent mis le Rassemblement national en difficulté. Le jeune leader RN lui voue presque une haine cordiale.
Jordan Bardella (RN), ce cas est le plus rocambolesque : le vice-président du RN, Sébastien Chenu, a osé déclarer que « nous sommes prêts à envoyer Jordan Bardella à Matignon »… mais à condition d’abord de passer par des élections anticipées. Dans les sondages, le RN frôle les 30–35% d’intentions de vote pour de futures législatives, et revendique ce qu’il appelle « la volonté populaire » de voir l’extrême droite entrer au gouvernement. Constitutionnellement, ce serait une première, mais en cas de nouvelles législatives, ce n’est plus tout à fait un fantasme : Bardella ferait alors figure de chef de la première force d’opposition au moins.
Dans les couloirs de l’Élysée, on évoque tout aussi bien des profils moins politiciens : un technocrate comme Jean-Dominique Sénard ou une personnalité transversale (syndicale ou associative) capable de rassembler. Au-delà des noms, l’enjeu est clair : trouver un consensus dans un Parlement fracturé. L’option d’un « négociateur » sous-entend par exemple de nommer quelqu’un de sa « zone de confort » (un macroniste modéré) pour tenir la baraque, plutôt que de risquer une cohabitation « ouverte » avec un gouvernement de gauche ou un remaniement très bancal.
Ce n’est qu’un aurevoir
« Dites à mes amis que je m’en vais », chantait donc la chanson. François Bayrou l’aura appliquée à la lettre. Mais contrairement au héros du dessin animé qui partait « vers de nouveaux pays / Où le ciel est bleu », le Premier ministre déchu ne laisse derrière lui qu’un paysage politique dévasté. La Ve République, conçue pour la stabilité gouvernementale, produit désormais l’inverse. Les « cohabitations ne sont même pas majoritaires », constate Olivier Faure, qui appelle à « une cohabitation d’un genre nouveau ». Une oxymore institutionnel qui révèle l’ampleur de la crise.
Emmanuel Macron a voulu être Jupiter. Il finit en marionnettiste sans marionnettes, dans un théâtre où plus personne ne veut jouer son rôle. Les « guignols » d’aujourd’hui ne sont plus au service du peuple comme celui de Laurent Mourguet. Ils se contentent de jouer leurs propres intérêts dans un spectacle que plus personne ne regarde avec plaisir. « Je ne peux m’empêcher de sourire », continuait la chanson de Frère des Ours. François Bayrou, lui, a oublié de sourire. Et c’est bien là tout son problème : on n’attendait de lui ni révolution ni même de vraies réformes. Juste qu’il tienne le rôle, le temps que la pièce se termine. Mais même cela, il n’y est pas parvenu.