Nommé le 9 septembre, Sébastien Lecornu aura dirigé le gouvernement le plus éphémère de la Ve République. Douze heures à peine après la publication de la liste de ses ministres, le Premier ministre a remis sa démission à Emmanuel Macron. Un départ express qui plonge la France dans un vide exécutif inédit et aggrave une crise politique déjà à son paroxysme.
Dimanche 5 octobre, après près d’un mois de tractations, Sébastien Lecornu dévoile la composition de son gouvernement. Dix-huit ministres, un exécutif « resserré », promis à s’élargir avec des ministres délégués. La déclaration de politique générale était prévue deux jours plus tard à l’Assemblée nationale.
Mais dès le lendemain, tout s’effondre. Le lundi 6 octobre au matin, l’Élysée annonce que le Premier ministre a présenté sa démission, aussitôt acceptée par Emmanuel Macron. Moins de vingt-quatre heures après sa formation, le gouvernement Lecornu est dissous. Il n’aura connu ni premier conseil des ministres, ni discours de politique générale.
« On ne peut pas être Premier ministre quand les conditions ne sont pas réunies », a expliqué Sébastien Lecornu depuis Matignon à 10h45, évoquant un « manque de compromis » et « des postures partisanes » qui auraient rendu impossible la gouvernance. En quelques heures, la Ve République vient de connaître son gouvernement le plus bref avec douze heures d’existence.
L’impossible compromis
Âgé de 39 ans, Sébastien Lecornu incarnait pourtant une figure solide du macronisme. Passé par tous les gouvernements depuis 2017, il a été successivement secrétaire d’État à la Transition écologique, ministre des Collectivités territoriales, des Outre-mer, puis des Armées. Ancien membre des Républicains, il s’était imposé dans le premier cercle d’Emmanuel Macron, dont il partageait le pragmatisme et la loyauté institutionnelle.
Cette démission intervient dans un contexte de tension extrême, où la stabilité institutionnelle du pays semble vaciller. Depuis la dissolution de juin 2024, trois Premiers ministres se sont succédé sans parvenir à bâtir une majorité durable. Après François Bayrou et Michel Barnier, Sébastien Lecornu est le troisième à renoncer, incapable de surmonter les divisions d’un Parlement éclaté entre trois blocs irréconciliables.
L’épisode marque aussi un tournant institutionnel. Depuis le mois de juillet, Emmanuel Macron a retrouvé la faculté de dissoudre l’Assemblée nationale, une option désormais ouverte face à la paralysie politique. Cette possibilité redonne au président une arme décisive, mais aussi périlleuse, celle d’une dissolution qui pourrait conduire à une nouvelle configuration parlementaire tout aussi ingouvernable.
Une équipe contestée dès son annonce
Dès la publication de la liste des ministres, les critiques se sont multipliées. À droite, le président de LR, Bruno Retailleau, a dénoncé un gouvernement « sans rupture » et a convoqué une réunion d’urgence de son comité stratégique. Son entourage déplorait un exécutif « trop recentré sur Renaissance » et « en décalage avec l’air du temps ». Xavier Bertrand, également issu des rangs de la droite, a jugé que « le gouvernement Lecornu n’était qu’un prolongement du macronisme », estimant qu’« on ne pouvait pas y participer ».
La nomination de Bruno Le Maire au ministère des Armées a fini d’attiser les tensions. Ancien ministre de l’économie, il symbolisait pour beaucoup la dérive budgétaire des dernières années. À gauche, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a qualifié cette décision de « provocation ». Marine Le Pen, du Rassemblement national, a moqué un « retour pathétique » de « l’homme qui a mis la France en faillite ».
Le lendemain matin, la pression politique était devenue insoutenable. Les Républicains menaçaient de retirer leur soutien, le PS annonçait qu’il voterait la censure, tandis que le RN et La France insoumise réclamaient ouvertement la chute du gouvernement.
« les conditions ne sont pas réunies »
À 10h45, depuis Matignon, Sébastien Lecornu s’est exprimé pour expliquer sa décision. « On ne peut pas être Premier ministre quand les conditions ne sont pas réunies », a-t-il affirmé, évoquant un « manque de compromis » et des « postures partisanes » ayant rendu toute gouvernance impossible.
Le désormais ex-chef du gouvernement a regretté que les partis politiques aient « fait mine de ne pas voir la rupture profonde » que représentait, selon lui, le renoncement à l’article 49.3 de la Constitution. En refusant d’utiliser ce mécanisme, il espérait instaurer un fonctionnement plus parlementaire, fondé sur la négociation. Mais les oppositions n’y ont vu qu’une faiblesse.
« Les partis continuent d’agir comme s’ils avaient la majorité absolue », a-t-il déploré, dénonçant la montée des « appétits électoraux » à l’approche de la présidentielle. Il a conclu en appelant à « l’effacement de certains egos » et à « toujours préférer son pays à son parti ».
La démission de Sébastien Lecornu a immédiatement ravivé les tensions autour du chef de l’État. Emmanuel Macron se retrouve seul en première ligne, sans Premier ministre et sans majorité stable. Le mutisme présidentiel depuis la chute de François Bayrou a ulcéré une partie de son camp, où la lassitude le dispute désormais à la résignation.
Les oppositions, elles, ont multiplié les appels à des mesures radicales. Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a exhorté le chef de l’État à « rendre la parole aux Français », estimant que « la stabilité reviendra par le retour aux urnes ». Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, a jugé que « trois Premiers ministres défaits en moins d’un an, c’est une faillite du pouvoir macroniste », avant d’appeler le président à « partir ». Du côté des Républicains, David Lisnard a exhorté Emmanuel Macron à « programmer sa démission » pour « préserver les institutions et débloquer la situation ».
Les options possibles
En quelques heures, la démission de Sébastien Lecornu a ouvert une période d’incertitude totale pour l’exécutif. Trois options principales s’offrent désormais à Emmanuel Macron.
La première consiste à nommer un nouveau Premier ministre capable de rassembler une majorité élargie autour d’un programme commun restreint. Ce scénario paraît toutefois difficile, tant les équilibres parlementaires sont précaires. La droite, divisée, hésite entre l’opposition frontale et la coopération limitée, tandis que la gauche refuse toute participation à un gouvernement jugé « macroniste ».
La deuxième option est celle d’une dissolution. Depuis juillet, le chef de l’État en a recouvré le droit, un an après la dissolution de 2024. En renvoyant les députés devant les électeurs, Emmanuel Macron espérerait clarifier le rapport de force politique. Mais le risque est immense, les sondages récents donnent le Rassemblement national largement en tête, suivi par La France insoumise, tandis que la majorité présidentielle s’effrite. Une nouvelle élection législative pourrait accentuer la fragmentation plutôt que la résoudre.
Enfin, la troisième hypothèse, évoquée à voix basse jusque dans les rangs du pouvoir, serait celle d’une démission présidentielle. Plusieurs figures de l’opposition, de Mathilde Panot à David Lisnard, y appellent ouvertement, estimant que la situation institutionnelle est devenue intenable. Cette option, sans précédent sous la Ve République depuis Charles de Gaulle, bouleverserait durablement la vie politique française.
Dans l’immédiat, Emmanuel Macron semble privilégier une solution de continuité, en maintenant un gouvernement démissionnaire chargé d’expédier les affaires courantes. Mais la pression s’intensifie. Entre l’échec de trois Premiers ministres en moins d’un an, la montée des tensions partisanes et la menace d’une dissolution à haut risque, le président aborde l’une des séquences les plus périlleuses de son second mandat.