Premier ministre : de Debré à Lecornu, une histoire de pouvoir sous la Ve République

Depuis 1958, vingt-quatre Premiers ministres se sont succédé à Matignon, révélant les métamorphoses de la Ve République. Tantôt fidèles exécutants, tantôt contre-pouvoirs, ils ont accompagné les présidents dans les grandes réformes, affronté les crises sociales et économiques, ou incarné les cohabitations. De Michel Debré à Sébastien Lecornu, l’histoire de la fonction reflète les équilibres mouvants du pouvoir exécutif en France.

Charles de Gaulle (1959-1969) : naissance de la fonction et affirmation présidentielle

Le premier Premier ministre de la Ve République, Michel Debré (1959-1962), est l’artisan de la Constitution qu’il a lui-même rédigée comme garde des Sceaux. Il accompagne la mise en place des institutions, réforme l’école, impulse la force nucléaire et gère la guerre d’Algérie. Sa démission en 1962, après un désaccord sur l’élection présidentielle au suffrage universel direct, révèle dès l’origine la dépendance mais aussi l’autonomie possible de Matignon face à l’Élysée.

Georges Pompidou (1962-1968) détient le record de longévité à Matignon : plus de six ans. Il incarne un Premier ministre modernisateur (DATAR, autoroutes, Concorde) et gère de front la contestation de Mai 68 en négociant les accords de Grenelle. Maurice Couve de Murville (1968-1969), ancien ministre des Affaires étrangères, assure ensuite la sortie de crise et la fin de la présidence gaullienne.

  • Michel Debré

Georges Pompidou (1969-1974) : entre réformes sociales et choc pétrolier

Sous la présidence de Pompidou, Jacques Chaban-Delmas (1969-1972) tente de bâtir une « Nouvelle Société », marquée par l’élargissement des droits syndicaux, la réforme du service militaire et l’actionnariat ouvrier. Mais son projet s’épuise et ses désaccords avec le chef de l’État entraînent sa démission.

Pierre Messmer (1972-1974) prend la suite dans un contexte international bouleversé. Confronté au premier choc pétrolier, il lance un vaste programme nucléaire destiné à garantir l’indépendance énergétique de la France. Le Premier ministre devient alors un gestionnaire de crise, garant de la stabilité face aux secousses extérieures.

  • Jacques Chaban-Delmas

Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) : rigueur et personnalisation du pouvoir

En 1974, Jacques Chirac est nommé Premier ministre. Dynamique mais indépendant, il quitte Matignon en 1976 en désaccord avec le président, et fonde le Rassemblement pour la République (RPR). Giscard choisit alors Raymond Barre, économiste et ancien commissaire européen, réputé pour sa rigueur. À Matignon (1976-1981), il cumule finances et direction du gouvernement, appliquant une politique anti-inflation stricte : gel des prix et salaires, hausses de cotisations sociales. Le Premier ministre devient ici la cheville ouvrière d’une stratégie économique austère mais jugée nécessaire face à la crise.

  • Jacques Chirac

François Mitterrand (1981-1995) : alternance, réformes sociales et premières cohabitations

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 nomme Pierre Mauroy comme Premier ministre. Il met en œuvre des réformes sociales majeures : semaine de 39 heures, cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans, abolition de la peine de mort, nationalisations. Mais le « tournant de la rigueur » en 1983 conduit à son remplacement par Laurent Fabius en 1984, plus jeune chef du gouvernement de la Ve République, qui s’attache à moderniser l’industrie et la recherche.

En 1986, la droite remporte les législatives et Jacques Chirac dirige la première cohabitation. L’expérience démontre la capacité du Premier ministre à imposer une orientation politique distincte de l’Élysée. François Mitterrand réélu en 1988, Michel Rocard prend Matignon : il crée le RMI, la CSG, pacifie la Nouvelle-Calédonie avec les accords de Matignon, mais recourt abondamment au 49.3.

Édith Cresson (1991-1992) devient la première femme Premier ministre, mais son passage est bref et marqué par une forte impopularité. Pierre Bérégovoy (1992-1993) lui succède, tentant de moraliser la vie politique et de réformer la PAC, avant de quitter le pouvoir après la défaite de la gauche aux législatives. Édouard Balladur (1993-1995), nommé par Mitterrand, conduit la deuxième cohabitation avec une politique libérale et des privatisations.

  • Pierre Mauroy

Jacques Chirac (1995-2007) : entre réformes contrariées et cohabitation prolongée

Alain Juppé, nommé en 1995, engage une vaste réforme de la Sécurité sociale et des retraites. Les grèves massives de l’hiver 1995 précipitent son impopularité. La dissolution de 1997 tourne à l’échec et entraîne l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon.

Pendant cinq ans (1997-2002), le socialiste conduit la troisième et la plus longue cohabitation de la Ve République. Son gouvernement de « majorité plurielle » introduit les 35 heures, le dispositif des emplois-jeunes, et engage plusieurs privatisations. Éliminé au premier tour de la présidentielle de 2002, Jospin quitte la vie politique active.

Réélu, Jacques Chirac nomme Jean-Pierre Raffarin, qui mène des réformes de décentralisation et des retraites, mais dont la popularité décline après le rejet du traité constitutionnel européen en 2005. Dominique de Villepin lui succède : il tente d’imposer le Contrat première embauche (CPE), retiré après une mobilisation étudiante et syndicale massive, et gère les émeutes urbaines de 2005.

  • Alain Juppé

Nicolas Sarkozy (2007-2012) : la stabilité à Matignon

François Fillon devient en 2007 le seul Premier ministre à rester l’intégralité d’un quinquennat sous Nicolas Sarkozy. Il supervise des réformes des retraites, de la fonction publique et du système éducatif, et gère la crise financière mondiale de 2008-2009 par une politique de rigueur.

  • François Fillon

François Hollande (2012-2017) : fragilité politique et recours au 49.3

Avec l’élection de François Hollande en mai 2012, Jean-Marc Ayrault est nommé Premier ministre. Ancien maire de Nantes et président du groupe socialiste à l’Assemblée, il conduit les premiers mois du quinquennat. Son gouvernement applique une baisse de 30 % des rémunérations ministérielles, instaure une charte de déontologie, augmente l’allocation de rentrée scolaire et rétablit partiellement la retraite à 60 ans. Mais la défaite de la gauche aux élections municipales de 2014 entraîne son départ.

Il est remplacé par Manuel Valls, ancien ministre de l’Intérieur, qui occupe Matignon de mars 2014 à décembre 2016. Sa gouvernance est marquée par l’usage répété de l’article 49.3 pour faire adopter des réformes économiques contestées, comme la loi Macron et la loi Travail. Il affronte aussi les conséquences des attentats terroristes de 2015 et 2016, ainsi qu’une mobilisation sociale de grande ampleur. Son autorité, jugée énergique mais clivante, nourrit une forte opposition.

En décembre 2016, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, prend la tête du gouvernement pour assurer la fin du quinquennat pour seulement cinq mois.

  • Jean-Marc Ayrault

Sous Emmanuel Macron (2017-2025) : réformes, crises et instabilité parlementaire

  • Édouard Philippe : du réformisme aux gilets jaunes

À son arrivée à l’Élysée en mai 2017, Emmanuel Macron choisit Édouard Philippe, maire du Havre et proche d’Alain Juppé, comme Premier ministre. Sa nomination illustre une stratégie d’ouverture vers la droite modérée. Durant trois ans, Philippe conduit un programme de réformes ambitieuses : assouplissement du droit du travail, transformation de la fiscalité, réorganisation de l’assurance chômage.

Mais son mandat est rapidement marqué par des crises sociales et sanitaires. Les manifestations des « gilets jaunes », dès 2018, bousculent l’agenda présidentiel et mettent Matignon sous tension permanente. À partir de 2020, la pandémie de Covid-19 place le Premier ministre au premier plan : Philippe devient la figure d’un exécutif qui tente d’endiguer la crise sanitaire tout en maintenant l’activité économique. Sa gestion, jugée solide par l’opinion, ne suffit pas à prolonger son mandat : il démissionne en juillet 2020.

  • Édouard Philippe
  • Jean Castex : l’État au temps de la pandémie

Jean Castex, ancien maire de Prades et haut fonctionnaire, prend alors le relais. Spécialiste de la coordination administrative, il est choisi pour organiser la sortie du confinement. Son gouvernement reste centré sur la gestion de la crise sanitaire, avec la mise en place du passe sanitaire et des campagnes de vaccination, tout en amorçant une politique de relance économique. Il accompagne Emmanuel Macron jusqu’à la fin du quinquennat, avant de démissionner en mai 2022.

  • Jean Castex
  • Élisabeth Borne : la réforme des retraites sous contrainte parlementaire

Nommée en mai 2022, Élisabeth Borne devient la deuxième femme Premier ministre sous la Ve République, trente ans après Édith Cresson. Polytechnicienne, ancienne ministre des Transports puis du Travail, elle arrive à Matignon dans un contexte inédit : l’absence de majorité absolue pour le président réélu, Emmanuel Macron.

Rapidement, elle se retrouve au cœur d’un exercice politique périlleux. Pour faire adopter ses textes, la cheffe du gouvernement recourt à plusieurs reprises à l’article 49.3 de la Constitution, notamment lors du vote de la réforme des retraites, qui suscite d’importantes mobilisations sociales. Son mandat illustre la difficulté de gouverner avec une majorité relative, entre compromis et passages en force.

Après un an et demi à Matignon, elle démissionne en janvier 2024, laissant place à Gabriel Attal.

  • Élisabeth Borne
  • Gabriel Attal : l’expérience du plus jeune Premier ministre

Emmanuel Macron choisit ensuite Gabriel Attal, nommé le 9 janvier 2024. À 34 ans, il devient le plus jeune Premier ministre de la Ve République. Ancien porte-parole du gouvernement et ministre de l’Éducation nationale, il incarne une génération politique nouvelle, plus directe dans son style de communication.

Mais sa mission est vite compromise par les réalités parlementaires : confronté à une majorité relative, il affronte des manifestations agricoles massives et une séquence politique tendue. La dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, suivie d’élections législatives anticipées, se solde par un échec pour la coalition présidentielle, devancée par ses opposants. Attal démissionne en juillet, après à peine six mois à Matignon. Il assure toutefois les affaires courantes durant 51 jours, jusqu’à la nomination de son successeur.

  • Gabriel Attal
  • Michel Barnier : un gouvernement minoritaire vite renversé

Le 5 septembre 2024, Emmanuel Macron confie les clés de Matignon à Michel Barnier. Ancien commissaire européen, négociateur en chef du Brexit, il devient à 73 ans le plus âgé Premier ministre nommé sous la Ve République. Son profil d’homme d’expérience vise à rassembler au-delà des clivages partisans.

Son gouvernement, formé d’une coalition entre macronistes et Républicains, reste cependant minoritaire à l’Assemblée. Pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Barnier engage la responsabilité de son équipe. Une motion de censure est déposée et adoptée en décembre 2024. Son mandat, d’une durée de 99 jours, entre dans l’histoire comme l’un des plus brefs de la République.

  • Michel Barnier
  • François Bayrou : un vote de confiance historique perdu

Après cette chute rapide, Emmanuel Macron se tourne vers François Bayrou. Fondateur du Mouvement démocrate, plusieurs fois candidat à la présidentielle, il est nommé Premier ministre le 13 décembre 2024. Âgé lui aussi de 73 ans, il devient le deuxième plus âgé chef du gouvernement de la Ve République.

Sa mission, annoncée dès sa nomination, est de réconcilier les forces politiques dans un Parlement divisé. Mais les équilibres sont trop précaires. Le 8 septembre 2025, son gouvernement perd un vote de confiance, une situation inédite depuis 1958. Cet échec signe la fin de son mandat et marque une nouvelle étape de l’instabilité institutionnelle.

  • Francois Bayrou
  • Sébastien Lecornu : Matignon face à l’épreuve des compromis

Le même jour, Emmanuel Macron nomme Sébastien Lecornu. Ancien ministre des Armées, il prend ses fonctions à 39 ans dans un contexte de fragmentation politique extrême. Son rôle est d’ouvrir un cycle de consultations avec les différents groupes parlementaires afin de bâtir des compromis, en particulier sur le budget.

Sa nomination illustre l’adaptation forcée de la fonction de Premier ministre : d’un rôle d’impulsion réformatrice, il devient celui d’un négociateur permanent, chargé de préserver la gouvernabilité du pays. Dans un exécutif affaibli, Matignon redevient le centre des équilibres politiques.

  • Sébastien Lecornu

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